Myanmar 12

Atter­ri à huit heures à Myeik, sur la mer d’Andaman. De l’aéroport, nous tra­ver­sons la ville à pied. C’est l’heure de la ren­tée des class­es. Aux abor­ds des écoles — bâti­ments ouverts avec ses class­es en galerie — mille potach­es en uni­formes peignés à l’eau. Un vendeur de crêpes attire tous les regards. Silen­cieux, les enfants atten­dent leur tour. Ce sont les seuls à ne pas se laiss­er dis­traire. Les autres nous fix­ent, à la fois effrayés et curieux. Lorsque nous apercevons un ate­lier mécanique ou une sta­tion d’essence (quelques bouteilles de 2 temps posées sur un car­ton), nous deman­dons à louer une moto, mais ici, on ne par­le pas l’anglais. « Hel­lo » est le seul mot con­nu. J’essaie de traduire sur mon télé­phone. Le résul­tat n’est pas meilleur. Nous atteignons le port. Envasé, jonché d’ordures, puant, il est digne de l’Inde pro­fonde. En retrait, un joli marché cou­vert aux stands de vieux teck. Dans les bou­tiques, assis­es au milieu des casseroles, longyi, man­darines, marteaux et sacs de toile, les vendeuses, en tailleur, impas­si­bles. J’achète un sac de billes pour deux francs. Ce que je vais en faire ? Jouer au pot, dis-je à Aplo (De fait, j’ai joué aux « cani­cas », mot espag­nol pour « billes », presque chaque jour, qua­tre ans d’affilée, à Madrid, autour de 1977).

Myanmar 10

Sen­ti­ment de pénétr­er la cap­i­tale (enfin, celle d’avant 2005) par les bas-fond. Il est passé minu­it. L’air épais et noir freine les mou­ve­ments. Aplo sug­gère de quit­ter la gare de Ran­goun à pied. Les chauf­feurs de taxi guet­tent les derniers clients de ce dimanche. Je fais signe, négo­cie. Instal­lés sur la ban­quette d’un véhicule qui a per­du ses sus­pen­sions, nous cir­cu­lons au-dessous de la ligne des immeubles. Eclairage pau­vre, motos garées, gar­gotes. Arrivés au Sun­shine hol­i­days – un bloc lugubre au per­son­nel endor­mi — nous deman­dons la direc­tion du bar. Sur une ter­rasse cou­verte, une paire de jeunes Améri­caines, fardées et sonores, pre­mières touristes de la semaine.

Myanmar 9

En fin de compte, nous aurons roulé quelque treize heures dans ces wag­ons des années 1930 tirés par une loco­mo­tive qui tangue. Fenêtres et portes ouvertes, dans des fau­teuils mas­sifs mal arrimés au planch­er (upper class), nous sau­tons comme des poupées sur ressort. Roues, moteur, sif­fle­ments et rythme des tra­vers­es, le vacarme est assour­dis­sant. Sur le côté des voies, des maisons famil­iales où jouent des enfants, leur par­ents occupés à séch­er leur récolte, dans la cour­sive des dizaines de paysannes et d’ado­les­cents mon­tés en s’ac­crochant au con­voi: ils vendent à la criée des nouilles au gin­gem­bre, du pain de crevette et des noix, de la mangue verte, des œufs de per­dreau, du cur­ry… l’énuméra­tion serait longue. Dans l’après-midi, Aplo achète deux riz et des épis de maïs. Tan­dis que nous man­geons, une bande de souris net­toie les déchets sous nos pieds. Par­ti de Naypyi­daw comme nous, un moine rieur. Après qua­tre cent kilo­mètres, au soleil décli­nant, il achète deux douzaines de pois­sons secs. A une heure du matin, au milieu des feux de poubelle que des vagabonds allu­ment pour se réchauf­fer, nous entrons dans Rangoun.

Myanmar 8

Tou­jours à moto, sans repères (peu de pan­neaux, moins d’une cinquan­taine pour la cap­i­tale) dès lors que les routes et avenues sont conçues sur un mod­èle unique et qu’il n’y a presque aucun immeu­ble sur les côtés, nous roulons trente kilo­mètres pour attein­dre la gare cen­trale, édi­fice couleur alu­mini­um dont le hall est muni d’un lus­tre géant. Un indi­vidu dort con­tre un pili­er, une femme de ménage pousse une ser­pil­lère sur deux cents mètres. Au guichet, l’employé nous dit de venir same­di matin, une heure avant le départ du train pour Ran­goun. Temps de voy­age prévu, 12 heures.

Myanmar 7

A un chauf­feur-livreur qui se tenait au car­refour de l’avenue Thin­ga­ha, nous avons loué sa moto chi­noise : à l’avant, qua­tre vitesses pro­gres­sives, à l’arrière qua­tre vitesses dégres­sives. Les casques en plas­tique sont munis de pare-brise dans le style agents du feu. Avec cet équipage, nous roulons en direc­tion des fontaines géantes aux tulipes de plâtre qui décorent les croise­ments du cen­tre de Naypyi­daw, puis instal­lons la caméra au scotch sur l’avant du caré­nage de la moto avant d’entrer dans la zone mil­i­taire, autour du par­lement. Bien­tôt seuls, ou à peu-près (une voiture à l’horizon, un pié­ton sous les palmiers cubains), je con­duis au milieu des vingt pistes sur plusieurs kilo­mètres. Sur le côté, porte mon­u­men­tale, gradins de parade, postes de guet. Puis l’enceinte noir et or du par­lement, clos de l’extérieur, plus vaste que Lau­sanne, et désert. Nous ressor­tons par l’autre bout. Le mil­i­taire de fac­tion s’incline. Nous con­tournons deux stades. Les por­tails sont fer­més par de gros cade­nas. Der­rière une colline en pente douce, une « zone » d’habitation pop­u­laire : cinquante locat­ifs à l’identique.

Myanmar 6

Mon­tés dans un camion de prox­im­ité à qua­tre heures, puis de la gare routière, dans un bus blanc. Dès que le moteur est démar­ré, l’assistant du chauf­feur prend place sur le marchep­ied. Penché sur la route, il crie : « Naypi­do, Naypi­do, Naypi­dooo ! ». Lorsque qu’un poids-lourd arrive en sens con­traire, il indique l’écart néces­saire à son chauf­feur en mon­trant un doigt pour chaque dizaine de cen­timètres. Lorsqu’un pié­ton cam­pé sur le bord de la route hèle notre bus, il le sig­nale au chauf­feur qui plante sur les freins. Le client monte. S’il est chargé, l’assistant porte et range. Le bus fait aus­si poste. Des paysans appor­tent des sacs de graine, des bidons d’huile, des caiss­es. L’assistant met où il peut, on repart. A huit heures, à la hau­teur d’un hameau, tous les sièges sont occupés, le couloir se rem­plit : ce sont écol­iers, carta­bles au dos, qui vont à l’école. Ils descen­dent deux kilo­mètres plus loin. Et l’assistant, caché der­rière la porte à van­tail dont il se sert comme d’un boucli­er fixe la route et soudain se penche, le bras ten­du, un doigt indi­quant la direction :

-Naypi­dooo ! Naypi­do, Naypido, !

Myanmar 5

Deux livres que l’on trou­ve en Bir­manie, des goss­es les vendent sur les quais de l’Irrawadi et devant les tem­ples: La forêt de rubis de Kessel et Une his­toire bir­mane de Georges Orwell, copies pirates des orig­in­aux. Pour ce dernier, la cou­ver­ture jaune est frap­pée du signe des édi­tions Ivrea. Directeur d’édition : Gérard Lebovici.

Myanmar 4

Sur­gi des champs, alors que j’en­tre dans un tem­ple au boud­dha assis, un jeune touriste à barbe et mon­o­cle désigne la porte que je viens de franchir, “la porte du bien, il faut d’a­vancer et reculer… deux fois”, puis comme j’assène un coup sur la cloche des prières, “main­tenant, tu t’age­nouilles, tu dis ta prière, tu te relèves et tu recom­mences… trois fois”. Je le regarde incré­d­ule. Et pour­su­is en direc­tion de la niche.
-Le boud­dha assis. En verre et en or. Bonne journée!
Il recule, dis­paraît. Une moto démarre der­rière le bananier.

Myanmar 3

Retour en camion­nette à Man­dalay. Routes à piste unique par dessus les collines pour quit­ter Katha et rejoin­dre la plaine. Ensuite, défilé de vil­lages paysans, de tem­ples boud­dhiques et de postes de police. Après huit heures de route, le chauf­feur nous dépose au Tiger One où j’emprunte l’ar­gent du récep­tion­niste pour pay­er le pas­sage. Nous sor­tons boire entre la 77ème et la 31ème quand un incendie se déclare dans le cen­tre com­mer­cial. Mille badauds ques­tion­nent les pom­piers mon­tés sur dix camions. A deux heures du matin, le sin­istre est sous con­trôle, la police boucle le secteur. Au réveil — douze heures d’un som­meil coma­teux — nous faisons la lessive dans la baig­noire de l’hô­tel. J’at­tends main­tenant un guide du gou­verne­ment que j’ai loué pour une heure de con­ver­sa­tion: il a reçu tan­tôt mes ques­tions sur Naypyi­daw, la cap­i­tale militaire.

Myanmar 2

Levé à qua­tre heures pour se ren­dre sur les berges de l’Ir­rawady. Rues noires, chiens errants, cuisinières endormies dans des chais­es longues, des chauf­feurs, un porc. Les moines men­di­ants ne sont pas encore sor­ti pour la quête quo­ti­di­enne. Nous roulons à tra­vers un ter­rain de foot, puis un tem­ple, débou­chons devant une case­mate. Le toit est en feuilles de bananier, il n’y a ni porte ni fenêtres. Une vache à bosse s’en­fuit. Autour d’un feu, deux ado­les­cents en longyi. Shwe empoigne nos bagages (il est le seul con­duc­teur de tuk-tuk à avoir accep­té de faire cette course au milieu de la nuit), emprunte un sen­tier. Le limon glisse sous nos pieds. Amar­ré dans l’eau tran­quille un gros bateau. Je fais remar­quer à Aplo que nous serons moins à l’étroit que la veille. Il me dit que je con­fonds, il s’ag­it de l’embarcadère. Mai alors où est notre bateau? Shwe récupère une planche et abor­de l’embarcation d’un pêchcur. Il appelle. A l’é­tage, un homme se réveille. Les Bir­mans parlent.Shwe fait des gestes. “Oui”, “non”, “pas”. Retour à l’hô­tel Katha. Le veilleur de nuit, un gosse, appelle la cap­i­tainer­ie à Man­dalay.
-Aujour­d’hui, le bateau est annulé. Demain aus­si. Peut-être mer­cre­di.
Il rou­vre la cham­bre, nous nous met­tons au lit.