La vérité de l’empire américain c’est Hollywood.
Sud-Nord
De retour de Málaga, je me gare pour la nuit sur une piste de camions dans la Manche. Au loin, l’hôtel Castillo dont la façade rapportée imite une forteresse. La camionnette donne sur des aplats de culture et des cônes de sable. Le crépuscule brûle le paysage. J’ai de la bière en litres et un gadget hongrois qui donne la wi-fi à bord. La température chute. Le cerveau cherche un rêve: ce sera une équipée de sous-marins frayant leur passage dans un couloir d’eau. Tiré du sommeil par le froid, je lance le chauffage dans la partie camping et me rendors dans la fournaise. J’ai dîné d’ œufs de truite achetés près de Grenade dans cette ferme construite sur Riofrío. La vendeuse réunit la tranche de pain, les barquettes de beurre et le demi-citron dans une boîte de carton frappée d’une couronne. Tant de soins me réjouissent. C’est à l’annonce de la facture que je comprends : c’était bien quinze grammes de caviar, mais pas 15 Euros. Je renonce — d’où la marmelade de truite. Le matin, alors que je me brosse les dents sur le terrain vague (les camionneurs sont partis à l’aube), une patrouille de la garde civile vient s’assurer que la camionnette n’est pas volée. Il est huit heures au bar de l’hôtel, le patron grille sur un feu de bois les chorizos du petit-déjeuner. Si je me lève, c’est pour arriver avant le soir dans le Nord : il a neigé, il va neiger, j’ai le col de Monrepós à franchir et mes pneus patinent comme un savon mouillé. Sur la route en pente qui mène au village je roule au pas, fixe le ravin, me cramponne. Je laisse la camionnette entre l’abreuvoir et l’ancienne école. Impossible d’aller plus loin, les rues d’Agrabuey sont encroûtées de glace. Il fait zéro dans la maison.
Grave (suite)
Or, c’est exactement ce que je fais, cela depuis des années, et selon Prilepine (in Pathologies) qui parle ici de son père, celui-ci est mort le lendemain de la première attaque: “Quand papa lisait, il ne respirait pas d’une façon régulière, comme le font d’habitude les humains et les mammifères. Il emmagasinait de l’air, et il restait allongé un bon moment, sans rien dire, les yeux fixés sur son livre. Puis il expirait, respirait normalement quelques instants, terminait sa page, la tournait, faisait à nouveau provision d’air.”
Cybernétique
Impressionné par cette conclusion spéculative néanmoins logique de Cerise: “La société sans contact, objectif du Great Reset, consiste à enfermer les gens chez eux en les convaincant par un immense lavage de cerveau médiatique qu’il est devenu dangereux de sortir, puis à utiliser leur énergie physique et mentale comme batterie pour faire fonctionner le cyber-espace (télétravail, interface corps-machine de Microsoft, etc.).”
Grave (suite)
Troqué les cacahouètes contre un bol de médicaments. Produits aux noms barbares, acide acetilsalicilique, rosuvastatine, brilique ticagrelor à fonction d’anti-plaquettes, anti-coagulant, ralentisseur et fluidifiant. Assorti de ce conseil, ne pas boire. Comment? Car je ne suis pas de cette école des dégustants qui aiment à faire vaciller un fond de vin dans un fond de verre, mais de ceux qui éclusent les quantités en bocks. Donc je m’inquiète. Les premiers jours, pas d’effet secondaire, plus tard des périodes de suffocation: je me couche, c’est la nuit, je me réveille, je ne respire plus. Il faut absorber l’air à grandes lampées pour lisser les effets d’emballement, le cœur tape, saute, se tait, tape. Pour prendre la mesure du danger, je lis la posologie du médicament: déconseillé aux arythmiques, aux Vietnamiens, aux Chinois, aux alcooliques. Je cesse la prise. “Jamais sans l’avis d’un médecin”, proteste Gala. Résultat? Inchangé. Je suffoque.