Grand soleil sur Agrabuey. Quelques moutons dans les pacages. Au loin l’aboi des chiens de chasse. Nichés la semaine, mais calmés par les battues d’automne. Dans le cœur du village, une tranquillité de pierre que seule rompt une fois l’heure une fois la demi-heure la cloche des anciennes écoles. Au jardin je soulève, je pompe, je tire, je m’étire. Puis je fais un pain et cuisine avec Gala en buvant de la bière ou du vin. Au crépuscule, nous allons sur le bord de la rivière, marcher quelques pas, cueillir du bois tombé, saluer les voisins.
Sauterelle 3
Maintenant que je me suis rangé à l’avis de Gala, il me revient que Travis me disais la semaine dernière: “Oh, non tu ne peux pas imaginer, la nuit, autour de la maison, en plein centre de Détroit, j’ai des chevreuils, des sangliers et des coyotes, et dans le caniveau circulent des loutres”.
Raymond Abelio 2
“Aussi l’intellectuel, là-bas [en Argentine], redevient-il assez vite fidèle à l’Europe, à son ancienne idée de l’Europe. Au début, le matin, alors que je m’enfonçais à cheval dans des champs d’herbe plus vastes que la France []… J’ai durement appris que cette terre plate et indéfinie, puissante et grasse, peut devenir la plus effroyable des prisons, qu’elle le devient même sans faute pour tous ceux qui ne sont pas encore assez présents à eux-mêmes pour n’être plus jamais prisonniers nulle part…”, La Fosse de Babel.
Incendie
Notre-Dame de Paris: le gouvernement boute le feu, les donateurs aident à la reconstruction. Impressionnant ce que peux un seul homme mal tourné, bien manipulé, le président de France. Et ce que peuvent par optimiste et croyance 340’000 fidèles. Cela alors que tous, du sinistre à la fin du chantier, demeurent en place tels chiens de faïence: criminel d’une part, humanité d’autre part.
Fatigue
Lenteur, flux de parole alenti, phrases fragiles. Ne sais pas. Trop à faire. Alors que je ne fais rien. Si — de la musique avec FL studio, des recettes de cuisine, un peu de saoulerie. J’oublie de dire qu’entre-temps sont venus Travis (et son amie de l’Oregon), mon hôte à Detroit lors de l’écriture de Fordetroit — c’était il y a dix ans. Qu’il a fallût s’occuper, les occuper et montrer l’Espagne. D’abord le monastère troglodyte de San Juan de la Peña. Je donne le choix, ce pouvait aussi être la gare de transit de Canfranc, bâtiment long, très long, installé dans une gorge, bâtiment à l’histoire franquiste et nazi. Ce que j’évitai de préciser mon ami du Michigan étant un homosexuel-végétarien-gauchiste. Or, il but deux bouteilles de Somontano rouge et même plus la veille de la visite et se trouva, le ventre alimenté de légumes, j’imagine, en déficit de forces et profita donc peu de la visite, tandis que je conduisais dans les lacets du haut-Aragón la KIA de location et son amie, que je croyais Indienne native, qui était une Gina à l’ascendance mexicaine, le câlinait et je continuais de conduire sur des routes en lacets, travaillant mes commentaires en anglais sur l’histoire ibérique. Ainsi, je suis fatigué et je pars pour Barcelone déposer Aplo qui se rend à Budapest où il fera la fête avec un copain militaire suisse arrivé de Dubaï et accueillir Gala dont l’avion atterrit avec une heure et demie de retard (neige à Cointrin) et arrive en chaise roulante, et en pleine forme.
Sauterelle
Aux prises la nuit avec un insecte de la taille d’une main. Il volette dans mon rêve. La taille du corps, mais encore le vrombissement effraient mes compagnons. Saisis la bête, me crient-ils. Je la fixe. Je ne ressens aucune peur. , ne fais rien. Au petit-déjeuner, assis près de la fenêtre qui donne sur la jardin, je remarque une ombre. Je m’approche. Le soleil éclaire une sauterelle américaine de la taille d’une main. Elle est immobile entre la vitre de fenêtre et la moustiquaire extérieure. Elle fixe le jardin. Je dis “sauterelle américaine” car j’ai traduit il y a trente ans pour le Washington Institute un dossier sur ces prédateurs du blé et me souviens des photographies d’illustration. Plutôt que de me débarrasser de la bête, je la laisse accrochée face au soleil pour la montrer le soir venu à Aplo qui arrive par l’avion de l’après-midi à Barcelone. Lorsque nous revenons dans la maison le soir, je vois que la sauterelle à creusé dans le treillis de la moustiquaire, à l’endroit précis où je l’ai vue accrochée le matin, un trou de la taille d’une paume de main. S’il lui a fallût creuser ce trou pour s’échapper, d’où a‑t-elle pu venir?
Piedralma
En route pour le terrain. La voie par la vallée n’est toujours pas réparée. Hier le journal local annonçait la fin des travaux. Nous roulons soixante kilomètres supplémentaires, gravissons un col. Evola nous accueille entouré de ses chats. Nous tirons à l’arc, au pistolet, dînons d’une fondue française brassée dans un pot de grès. Il fait doux pour la saison, la rivière est basse, chevreuils et sangliers viennent boire. Je fais mon lit en partie basse du van, Aplo dort à l’étage. Il sort sur le court de tennis en milieu de nuit et photographie le ciel.
Musique
Ce matin arrivée d’Aplo par le train de Saragosse. Dès l’après-midi nous installons les claviers, les écrans, le micro. Puis je cuisine. Nous dormons. Le lendemain, étude du logiciel de musique FL studio. J’ai pris mes premiers repères il y a deux ans. Plein d’illusion, je croyais alors fabriquer des titres en quelques jours. Ce n’est pas compliqué, c’est complexe. Les instruments tombent en cascades sur l’écran, chacun a plus de boutons qu’un adolescent. Puis il faut savoir la musique. Du moins si l’on veut tirée d’autres sons que ceux qu’offre le mode d’emploi. Dans les années 1980, avec la TR-909, la Bass-Line ou le sequencer MC-202, j’étais comme aujourd’hui parfaitement ignorant de ce que l’on nomme partition, harmonie ou octave. Dans cette génération, nous étions des pionniers. Un titre qui se résumait à penser que la musique ne requiert ni savoir ni talent. Trente ans ont passé. Le résultat est là: une musique robotique, mal faite, répétitive, une décadence. Historiquement, je suis donc moins mauvais qu’auparavant. Plus représentatif. Ce qui ne veut pas dire que l’affaire est emportée. Nous travaillons tous les jours. Au bout de la semaine nous aurons “mis en boîte” un titre. Nom de mon groupe Longfasfuckedwhitelife. Celui d’Aplo Avid-core. Pour le style, il relève de l’art brut. Ou plutôt de ce que je sais faire (et surtout de ce que je ne sais pas faire). Ajoutons que l’intuition du fonctionnement de la machine est du côté d’Aplo. Seul, j’en serai encore à chercher l’allumage.