Lieu

Grand soleil sur Agrabuey. Quelques mou­tons dans les pacages. Au loin l’aboi des chiens de chas­se. Nichés la semaine, mais calmés par les battues d’au­tomne. Dans le cœur du vil­lage, une tran­quil­lité de pierre que seule rompt une fois l’heure une fois la demi-heure la cloche des anci­ennes écoles. Au jardin je soulève, je pompe, je tire, je m’étire. Puis je fais un pain et cui­sine avec Gala en buvant de la bière ou du vin. Au cré­pus­cule, nous allons sur le bord de la riv­ière, marcher quelques pas, cueil­lir du bois tombé, saluer les voisins. 

Sauterelle 3

Main­tenant que je me suis rangé à l’avis de Gala, il me revient que Travis me dis­ais la semaine dernière: “Oh, non tu ne peux pas imag­in­er, la nuit, autour de la mai­son, en plein cen­tre de Détroit, j’ai des chevreuils, des san­gliers et des coy­otes, et dans le caniveau cir­cu­lent des loutres”.

Sauterelle 2

A Gala je racon­te l’in­ci­dent de la sauterelle améri­caine. “Mais enfin, me dit-elle, réfléchis! D’où a t‑elle pu venir?”. Et de répon­dre: “Avec tes Améri­cains bien sûr, des Etats-Unis ! Ils l’ont apportée dans leurs valises”.

Raymond Abelio 2

“Aus­si l’in­tel­lectuel, là-bas [en Argen­tine], rede­vient-il assez vite fidèle à l’Eu­rope, à son anci­enne idée de l’Eu­rope. Au début, le matin, alors que je m’en­fonçais à cheval dans des champs d’herbe plus vastes que la France []… J’ai dure­ment appris que cette terre plate et indéfinie, puis­sante et grasse, peut devenir la plus effroy­able des pris­ons, qu’elle le devient même sans faute pour tous ceux qui ne sont pas encore assez présents à eux-mêmes pour n’être plus jamais pris­on­niers nulle part…”, La Fos­se de Babel.

Incendie

Notre-Dame de Paris: le gou­verne­ment boute le feu, les dona­teurs aident à la recon­struc­tion. Impres­sion­nant ce que peux un seul homme mal tourné, bien manip­ulé, le prési­dent de France. Et ce que peu­vent par opti­miste et croy­ance 340’000 fidèles. Cela alors que tous, du sin­istre à la fin du chantier, demeurent en place tels chiens de faïence: crim­inel d’une part, human­ité d’autre part.

Raymond Abelio

“En fait, l’Ar­gen­tine ne fut pour moi qu’un autre monastère, mais immense. Cinq années durant, je fis là l’ex­péri­ence d’un pays sta­tique, exacte­ment ce qu’est en Europe la Suisse, cen­tre immo­bile du tour­bil­lon occi­den­tal”, La Fos­se de Babel.

Fatigue

Lenteur, flux de parole alen­ti, phras­es frag­iles. Ne sais pas. Trop à faire. Alors que je ne fais rien. Si — de la musique avec FL stu­dio, des recettes de cui­sine, un peu de saoulerie. J’ou­blie de dire qu’en­tre-temps sont venus Travis (et son amie de l’Ore­gon), mon hôte à Detroit lors de l’écri­t­ure de Forde­troit — c’é­tait il y a dix ans. Qu’il a fal­lût s’oc­cu­per, les occu­per et mon­tr­er l’Es­pagne. D’abord le monastère troglodyte de San Juan de la Peña. Je donne le choix, ce pou­vait aus­si être la gare de tran­sit de Can­franc, bâti­ment long, très long, instal­lé dans une gorge, bâti­ment à l’his­toire fran­quiste et nazi. Ce que j’évi­tai de pré­cis­er mon ami du Michi­gan étant un homo­sex­uel-végé­tarien-gauchiste. Or, il but deux bouteilles de Somon­tano rouge et même plus la veille de la vis­ite et se trou­va, le ven­tre ali­men­té de légumes, j’imag­ine, en déficit de forces et prof­i­ta donc peu de la vis­ite, tan­dis que je con­dui­sais dans les lacets du haut-Aragón la KIA de loca­tion et son amie, que je croy­ais Indi­enne native, qui était une Gina à l’as­cen­dance mex­i­caine, le câli­nait et je con­tin­u­ais de con­duire sur des routes en lacets, tra­vail­lant mes com­men­taires en anglais sur l’his­toire ibérique. Ain­si, je suis fatigué et je pars pour Barcelone dépos­er Aplo qui se rend à Budapest où il fera la fête avec un copain mil­i­taire suisse arrivé de Dubaï et accueil­lir Gala dont l’avion atter­rit avec une heure et demie de retard (neige à Coin­trin) et arrive en chaise roulante, et en pleine forme. 

Sauterelle

Aux pris­es la nuit avec un insecte de la taille d’une main. Il volette dans mon rêve. La taille du corps, mais encore le vrom­bisse­ment effraient mes com­pagnons. Sai­sis la bête, me cri­ent-ils. Je la fixe. Je ne ressens aucune peur. , ne fais rien. Au petit-déje­uner, assis près de la fenêtre qui donne sur la jardin, je remar­que une ombre. Je m’ap­proche. Le soleil éclaire une sauterelle améri­caine de la taille d’une main. Elle est immo­bile entre la vit­re de fenêtre et la mous­ti­quaire extérieure. Elle fixe le jardin. Je dis “sauterelle améri­caine” car j’ai traduit il y a trente ans pour le Wash­ing­ton Insti­tute un dossier sur ces pré­da­teurs du blé et me sou­viens des pho­togra­phies d’il­lus­tra­tion. Plutôt que de me débar­rass­er de la bête, je la laisse accrochée face au soleil pour la mon­tr­er le soir venu à Aplo qui arrive par l’avion de l’après-midi à Barcelone. Lorsque nous revenons dans la mai­son le soir, je vois que la sauterelle à creusé dans le treil­lis de la mous­ti­quaire, à l’en­droit pré­cis où je l’ai vue accrochée le matin, un trou de la taille d’une paume de main. S’il lui a fal­lût creuser ce trou pour s’échap­per, d’où a‑t-elle pu venir? 

Piedralma

En route pour le ter­rain. La voie par la val­lée n’est tou­jours pas réparée. Hier le jour­nal local annonçait la fin des travaux. Nous roulons soix­ante kilo­mètres sup­plé­men­taires, gravis­sons un col. Evola nous accueille entouré de ses chats. Nous tirons à l’arc, au pis­to­let, dînons d’une fon­due française brassée dans un pot de grès. Il fait doux pour la sai­son, la riv­ière est basse, chevreuils et san­gliers vien­nent boire. Je fais mon lit en par­tie basse du van, Aplo dort à l’é­tage. Il sort sur le court de ten­nis en milieu de nuit et pho­togra­phie le ciel.

Musique

Ce matin arrivée d’Ap­lo par le train de Saragosse. Dès l’après-midi nous instal­lons les claviers, les écrans, le micro. Puis je cui­sine. Nous dor­mons. Le lende­main, étude du logi­ciel de musique FL stu­dio. J’ai pris mes pre­miers repères il y a deux ans. Plein d’il­lu­sion, je croy­ais alors fab­ri­quer des titres en quelques jours. Ce n’est pas com­pliqué, c’est com­plexe. Les instru­ments tombent en cas­cades sur l’écran, cha­cun a plus de bou­tons qu’un ado­les­cent. Puis il faut savoir la musique. Du moins si l’on veut tirée d’autres sons que ceux qu’of­fre le mode d’emploi. Dans les années 1980, avec la TR-909, la Bass-Line ou le sequencer MC-202, j’é­tais comme aujour­d’hui par­faite­ment igno­rant de ce que l’on nomme par­ti­tion, har­monie ou octave. Dans cette généra­tion, nous étions des pio­nniers. Un titre qui se résumait à penser que la musique ne requiert ni savoir ni tal­ent. Trente ans ont passé. Le résul­tat est là: une musique robo­t­ique, mal faite, répéti­tive, une déca­dence. His­torique­ment, je suis donc moins mau­vais qu’au­par­a­vant. Plus représen­tatif. Ce qui ne veut pas dire que l’af­faire est emportée. Nous tra­vail­lons tous les jours. Au bout de la semaine nous aurons “mis en boîte” un titre. Nom de mon groupe Long­fas­fucked­whitelife. Celui d’Ap­lo Avid-core. Pour le style, il relève de l’art brut. Ou plutôt de ce que je sais faire (et surtout de ce que je ne sais pas faire). Ajou­tons que l’in­tu­ition du fonc­tion­nement de la machine est du côté d’Ap­lo. Seul, j’en serai encore à chercher l’allumage.