Dernières quatre séances d’écriture dans le jardin d’Agrabuey. Je referme le cahier, j’inscris le titre: “Commence une nouvelle partie. Gouvernance et gaming au XXIème siècle”. Le soir je rejoins Evola à Piedralma, je dors sur le toit de la camionnette avec les oiseaux.
Propriété
Le voyage relève désormais du périple électronique. Ce ne sont pas les trains, les bus, les avions mais les codes-barres, les fouilles, les enregistrements. Parti de Hyères à midi j’enchaîne huit moyens de transport. En fin d’après-midi j’atteins le terminal 2 de Barcelone-El Prat. Un bus me conduit à la gare de l’aéroport. Là, j’aide une Française qui pianote sur l’écran du distributeur de tickets à remplacer le Catalan par l’Espagnol puis a commander son billet. Nous passons ensemble le tourniquet, voici le quai. La rame entre en gare. Elle se rend alors compte qu’il lui manque sa valise. Elle alerte le personnel de la Renfe, décide tout de même de me suivre jusqu’à Sants, nous sommes au centre-ville au milieu de la pire jungle d’Espagne. Je commence une série de démarches par téléphone. Le Bureau des objets trouvés de l’aéroport est sur répondeur. J’insiste, j’envoie un mail. L’heure de mon train pour le Nord approche. La voyageuse choisit de retourner à l’aéroport. Je passe le contrôle bagage. La police privée m’arrête: “cet homme transporte des armes!”. On me place en cellule. Incrédule, j’ouvre ma valise. J’oubliais la baïonnette soviétique achetée dans une boutique hongroise de Militaria. Un des faux policiers la met dans sa poche. Je m’énerve, je la reprends. Mon train est dans deux minutes. Le faux policier: “partez de l’idée que vous allez le manquer”. Je rafle la baïonnette, passe sous la barrière de sécurité, choisis au hasard un jeune assis dans la salle d’attente et je lui donne l’arme: “tiens, un cadeau!”. Les faux policiers me troussent, récupèrent la baïonnette, m’arrêtent, me flanquent en cellule, appellent les vrais policiers. “Il m’est interdit de voyager avec cette arme, leur dis-je, bon, mais je suis libre de la donner à qui je veux non, elle m’appartient?” Réponse: “vous verrez ça avec la police (la vraie)!”. Je manque mon train. Arrive un trio militarisé dont un Colombien et un demi-vieillard équipé d’une mitraillette. Questions, rapport, dissuasion, explicatif sur les lois… le grand ridicule. Ne reste qu’une solution, les amadouer afin qu’ils m’achètent un autre billet de train (sans quoi je vais perdre 80 Euros). Sorti de cellule le Colombien m’annonce que plainte pénale sera déposée (donc argent encaissé). A mon tour, j’avertis que la baïonnette coûte une fortune, que je déposerai plainte pour saisie d’une pièce de collection. Deux heures d’attente pour le train suivant. Pauvre Evola à l’autre bout de la ligne! 22 heures, quand je monte enfin dans sa voiture, je prends le volant pour rouler deux cent kilomètres.
Authentification
Levé à l’avance, je vérifie mes billets de train et d’avion français et espagnols, je descends la valise dans la voiture, Gala démarre, elle m’arrête au pied d’un immeuble de bureaux. Dix minutes avant le rendez-vous chez le notaire, je suis devant sa porte. La cloche de l’église de Hyères sonne neuf heures. Le bureau est éteint, personne en vue. Le régional à destination de Marseille Saint-Charles est dans moins de trente minutes. Entre-temps, Maître Bégaud trouvé au hasard d’une liste de notaires doit procéder, sur demande des fonctionnaires de Berne, à l’authentification de ma signature afin que l’Etat suisse sache que je suis bien Alexandre Friederich. Les minutes passent. Immeuble éteint, bureaux vides. La conclusion est évidente: la France! Mais non — nous sommes dimanche. Gala et moi nous trompons de jour. Retour au port, retour dans l’appartement. Toute la semaine, j’ai écrit Gouvernance et gaming au XXIème siècle adossé à la capitainerie avec en tête les jours et les heures afin de ne pas interrompre le raisonnement qui structure l’essai. Or, jeudi, après de la séance de travail, Gala m’a assuré que nous étions vendredi d’où l’erreur de calendrier. Il est encore tôt. Que faire? Je me couche. Au réveil, Gala est absente. Je descend sur la Marina. Quarante voitures américaines sont alignées devant les yachts, le badauds défilent. Plus loin, c’est le marché artisanal. Je retrouve Gala. Nous prenons une tomate coeur-de-boeuf, de la tapenade, du poivre aux morilles et du Merlot. Nous dînons, nous retournons au lit. Au réveil je prépare ma valise, mes billets de train et d’avion français et espagnols, demain j’ai rendez-vous chez le notaire.
Grande distribution
Supermarché d’enseigne à Hyères. Gitans roumains couchés devant la porte coulissante, homme de la sécurité en box devant le portique, coursives sans clients. Musique en sourdine, chantier électrique au rayon fromages. Les prix sont indécents. Nous lorgnons les étiquettes l’air vexé. En sortie de parcours, un choix restreint dans le panier, dix caisses couvertes de capotes et barrées, deux scanners devant lesquels tendre ses produits pour l’encaissement automatique. Je fais appeler une employée. Elle va venir, me dit-on. Elle finit par venir. Elle avait un appel privé en cours. Le téléphone remisé, elle s’installe à la caisse, nous renvoie peser notre piment marocain, facture, remet sur le tapis roulant qu’elle débranche le panneau “fermé” et s’en va. Dans le couloir qui ramène au parking un Africain juché sur un escabeau frit une crêpe Suzette pour une grand-mère à chien.
Hyères-port
Un centaine de bateaux sont garés dans la Marina au-dessous du balcon où je lis. Des voiliers, des yachts, des petits croiseurs. Les plus imposants ont leur piscine et leur voiture embarquée, mais les promeneurs s’arrêtent avec admiration devant celui qui est monté de trois moteurs en ligne gros comme des baignoires et de désigner les moteurs, la main sur la bouche, en hochant la tête, l’air ravi.
Adorno
En même temps qu’il contribue à la définition de la Personnalité autoritaire pour ses commanditaires de la C.I.A Adorno critique dans ses Minima Moralia le potentiel totalitaire de l’Amérique. Il s’autorise ce jeu de dupes parce qu’en vertu de sa conformation anti-bourgeoise et anti-nationaliste il cautionne pleinement l’idée marxiste d’un homme nouveau, d’un homme à construire selon un patron idéologique. Or, toute idée de construction dirigée est par principe inhumaine.