Jouissance visible chez certains qui parlent fort à doubler leur corps physique d’un corps sonore.
Chiens
Epidémie de chiens. Il n’y a pas fabrique du silence, mais il y a fabrique du bruit. Les animaux conçus en éprouvette, congénitalement perturbés, aboient. Sur le marché, une bête de compagnie pèse son poids de croquettes. Ainsi va l’économie, elle pourrit la vie des gens en multipliant les nuisances: qui remplissent les tiroirs-caisses.
Automne
Grand silence. Fontaine au loin, sommeil aidé — j’ai avalé pour tenir la distance, éviter de longues plages dialectiques, à se perdre et se chercher, de la métadoline. Endormi, je pense : “ça ne marche pas ce truc, je ne dors pas”. D’accord, je suis fatigué. Donc je peine à trouver le sommeil. Avant de donner samedi huit heures de cours (défense, évacuation, refuge), l’estomac perforé par une tranche de cabillaud dans son huile, je n’ai pas fermé l’oeil. Alors je récupère. Et j’ai mal partout (la partie pieds-poing du cours). Rêve qui tourne au cauchemar qui tourne au rêve. J’apprends à connaître mes amis. Certains que je n’ai pas vu depuis vingt ans. D’autres qui ces jours ne me font pas réponse mais, dans le rêve, avouent des traits de caractère que je ne connaissais pas. Soupçonnais. Traits qui sont étranges, dangereux. Je me rendors. Est-ce que je dormais? Cela va mieux. Beau soleil. L’oiseau est de retour. Il siffle. Je siffle. Nous causons. Le matin, mais il est déjà tard, je me décide à corriger le pamphlet. D’abord au jardin, alors que l’ouvrier fraise le portique de notre église, l’ouvrier est sous les nuages, au-dessus de la maison. Puis à mon bureau, ravi d’être aussi outrancier. Le pamphlet, plus facile que l’essai. Difficile d’écrire dans les règles de la raison. D’ailleurs! “Gouvernance et gaming”, envoyé ici et là et encore et à mon éditeur habituel, pas de réponse, pas même un accusé de réception. Le monde, plat comme un marché où personne n’ose plus publier son opinion, dire sa position, revendiquer son idée.
Demain (notr pays)
Nous écrirons les mêmes livres, nous enregistrerons les mêmes titres, nous parlerons la même langue et aurons le même caractère, nous serons celui que nous ne sommes pas, soit ce que nous sommes; l’individu aura son musée, la notion de “personne” deviendra difficile à saisir, un concept pour intellectuels.
Pompes
La voisine, au loin, au fond de son jardin. Vieille dame chenue le menton sur la poitrine. Elle a un livre sur les genoux? Elle lit? Dans mon jardin, sous le prunier, je fais des pompes, je souffle, je ahane. La vielle dame le menton toujours sur la poitrine mais je ne vois plus le livre. Tombé à ses pieds? Elle ne bouge pas sur la chaise. Elle a calculé sa position. Un rayon de soleil donne sur sa tête blanche. Bientôt, me dis-je, je serai comme ça. Et je fais des pompes, encore des pompes. Oui, bientôt, je serai assis à attendre la mort. Ce que cela me fait? Rien. Je fais des pompes. Puis je sors du prunier, je m’avance vers la barrière. La vieille dame est en vue. Je salue de la main. Je crie: “oh la!”. Aucune réaction. Rien. Je me remets aux pompes.