Bon mot

Cet ordre des phras­es qui aboutit au bon mot, témoigne de votre esprit, place en société. Dans le groupe des sym­bol­istes (Rég­nier, De Gour­mont, Schwob), le souci est con­stant. Pas le bon mot des vaude­villes qui est une jon­g­lerie, un à‑propos, une cla­que­tte, le trait d’e­sprit, ce jeu pro­fond qui en quelques syl­labes capte et sidère. En tant que régime lit­téraire et social, il per­siste et tourne à l’in­quié­tude — peut-être parce qu’il se perd — chez les mod­ernes Valéry, Léau­taud, Gide. Longtemps il est cul­tivé. Le ciné­ma en joue. Dans un film comme “La maman est la putain”, cent cinquante ans après la fin de la cour royale, Eustache s’en moque, mais c’est du ciné­ma, c’est répété, chauf­fé et réchauf­fé. Donc il se peut que cet art fin, qui oblige au cal­cul en temps réel, déjà pose des dif­fi­cultés aux inter­locu­teurs. Aujour­d’hui? Où les ouvri­ers en langue pensent que la rime fait le poète? Puis l’Amérique lit­téraire est passée par là! “J’i­rai cracher sur vos tombes”, c’est d’abord l’aveu de la fin du monde-langue.

Piedralma

Evola se promène avec son chat. “Quand la pente est trop raide et que Tao peine, dit Evola, je ralentis”.

Révolution

Si l’on inver­sait les droits et les devoirs, servir en tant que fonc­tion­naire rede­viendrait un mérite. Ain­si, chaque fonc­tion­naire, en fonc­tion de sa caté­gorie de ser­vice, serait rémunéré sur une base virtuelle. En début de mois, l’employé d’E­tat sait pou­voir attein­dre le salaire fixé par con­trat et peut-être le dépass­er. Pour cela, chaque ser­vice ren­du au citoyen est payé par le citoyen à con­di­tion que le fonc­tion­naire pré­posé à la tâche ait résolu un prob­lème facil­i­tant la pro­duc­tion économique, c’est à dire que l’in­ter­ven­tion du fonc­tion­naire a con­tribué à l’en­richisse­ment général de la société. A l’in­verse, une procé­dure qui ralen­tit ou empêche l’in­no­va­tion, la créa­tion, l’in­ven­tion ou encore entrave l’ini­tia­tive, bref pénalise le tra­vail, n’est pas rémunérée et le salaire du fonc­tion­naire demeure virtuel. Côté inci­ta­tion, il est aisé d’imag­in­er qu’un fonc­tion­naire qui con­tribue à la flu­id­ité des échanges donc à la richesse de la nation puisse prof­iter, en sus de son salaire con­tractuel, de bonus. Ce que sig­ni­fie le mot “fonc­tion­naire”: con­tribuer par un acte respon­s­able, au nom de l’E­tat, au fonc­tion­nement de l’économie.

Feu

Les feuilles pla­nent, tombent, la tem­péra­ture baisse, l’hiv­er vient — comme chaque année la chaudière tou­sse, elle cale. J’ap­pelle le plom­bier. Vic­tor n’est pas au vil­lage. Il est à hue et à dia, les chaudières des Pyrénées ont toutes calé, il vien­dra “dès que je peux”. Du jardin, je monte des bûch­es. Or, il a plu. Je fais séch­er. J’al­lume. Le feu peine. Il ne fait pas froid. Dans la soirée, la mai­son prend quelques degrés. A dix-huit heures, cours de Pilates dans la bib­lio­thèque com­mu­nale puis résul­tat des élec­tions dans l’Em­pire améri­cain: on veut croire à une amorce de démon­di­al­i­sa­tion. Si Kennedy devient min­istre de la san­té, lui qui croit que le virus est poli­tique, ira-t-il jusqu’à mon­ter des tri­bunaux ? En atten­dant, j’é­coute Meth et Chat Pile, j’achète des bil­lets d’avion pour le Mex­ique, je recom­mence mes envois aux édi­teurs de “Gou­ver­nance et Gam­ing — Scé­nar­ios pour un esprit arti­fi­ciel”. Le lende­main, l’un des édi­teurs sol­lic­ités répond: “sur ces sujets, nous n’ac­cep­tons que les travaux uni­ver­si­taires”. Allia, qui n’a pas accusé récep­tion du man­u­scrit envoyé fin juin pub­lie ce jour d’Adorno “Com­bat­tre l’an­tisémitisme”. On ne peut mieux (plus mal) choisir le moment. Moi qui suis ama­teur d’Adorno et admire sa fig­ure intel­lectuelle, je préfère retenir en matière de four­voiement sa con­tri­bu­tion à l’abom­inable “Etudes sur la per­son­nal­ité autori­taire” dont il a d’ailleurs, avec hon­nêteté, fait la cri­tique et dénon­cer la responsabilité.

Week-end

Trois jours sur les bor­ds du lac de Neuchâ­tel, à Bevaux, avec Gala, Aplo et Luv, et son ami, un aimable étu­di­ant à boucles d’or­eilles et pan­talon bouf­fant. Le pro­prié­taire de la loca­tion allume un feu dans une soucoupe géante posée sur le gravier du jardin. Aplo sculpte une cit­rouille. Il m’of­fre un abon­nement UFC. Le lun­di et le mar­di, cha­cun repart dans sa direc­tion, Gala Lau­sanne, Aplo Genève, Luv Neuchâ­tel, pour moi l’Es­pagne, via le camp­ing de l’Isle-Blanc et ses cen­trales près Montélimar.

Schweiz

Après huit heures de route au départ de l’Alle­magne, récupéré les socles de bois qui servi­ront d’as­sise pour le cube à la sci­erie de Zoll­haus, en con­tre­bas du Lac noir. Comme le périmètre de l’u­sine ferme à 19h00, il faut cacher une moitié des socles — ceux qui ne tien­nent pas dans le van — der­rière un stand de tir aban­don­né si l’on veut en dis­pos­er avant lun­di. Je viens de pay­er ce matériel Fr. 1700.-. Et alors? Le ser­vice n’est pas com­pris. Gala déposée à l’hô­tel de Swartzen­burg, Domo et moi revenons à Zoll­haus, char­geons le reste des socles, roulons sur le Pont de Berne, déchar­geons le stock en vielle-ville de Fri­bourg, puis je reviens à Schwartzen­burg, dans le brouil­lard, la nuit, man­quant écras­er un fou qui marche le long de la route et sur la route, un fou qui marche de nuit, sans torche. 

Culture

Mag­nifique Bav­ière à Waal. Tables de bois à l’auberge, bock de blonde servis par de jeunes gens blonds, mar­ronniers cen­te­naires der­rière les fenêtres à croisil­lons, clocher à bulbe et une cham­bre au par­quet ver­nis qui occupe un demi-étage. Terre riche, paix, langue, un havre pour l’esprit.

Mosonmagyaróvár 2

Bourg plat, endor­mi, sans âge. De la lumière jaune der­rière les fenêtres à rideaux. Des cou­turières en fichus dans les cours pavées, en vit­rine des robes de mar­iées, dans le canal du vieux moulin de l’eau claire. Sor­ti d’un café pour alcooliques, un nain se pré­cip­ite à notre ren­con­tre. Il me tend la main, demande d’où je viens, demande où je vais, demande de l’ar­gent. Sous un grand cru­ci­fix, une fille fait le trot­toir. La brume accroche à nos semelles. Retour à l’hô­tel, le Sim­bad (et ses bains d’eau de source). J’évite de manger. Me rem­plis de bière. Gala com­mande un canard. Patates farineuses, sauce à grumeaux, légumes mous. Elle rap­porte son plat à la serveuse: “don­nez-ça aux chiens!”.

Guide-ânes

Au Kiskakukk, le restau­rant vieille Hon­grie de la rue Poz­sonyi, côté salle boisée, avec ma belle-mère que je remer­cie de son aide dans la négoce des cubes et du prochain trans­port vers la Suisse ren­du pos­si­ble par un de ses con­tacts. Autour de notre table, des Asi­a­tiques de toute l’Asie. Dix, douze, quinze. Des auda­cieux venus au Kiskakukk sur la foi d’un guide touris­tique pour Asi­a­tiques. Gala, Chiara et moi sommes les seuls à manger, boire et con­vers­er. Les Asi­a­tiques décryptent le menu, com­man­dent du bout du doigt, pho­togra­phient leur plat, goû­tent, picorent, paient, s’en vont. Pour cause: ils ne vien­nent pas manger, ils vis­i­tent. Et pas un pour boire. Des ver­res d’eau.

Monory city

Le quarti­er chi­nois de Budapest, une rue au milieu d’une friche, pleine de Chi­nois, des Chi­nois qui trans­portent, négo­cient, pal­abrent, ava­lent des nouilles et jouent aux cartes, comptent leur argent et leurs avoirs, briquent des Lexus, des Porsche, des Mer­cedes. Je cherche du tis­su tech­nique en rouleau pour l’emballage du cube. Domo a con­tac­té une courte­pointière suisse, elle a don­né les indi­ca­tions. Porte à porte toute la mat­inée. Des sou­tiens-gorge, des pan­neaux solaires, des pouss­es de soja, pas de tis­su. Dans une cour intérieure, der­rière une fontaine en stuc décorée de pan­das adultes, des palettes brisées, des déchets de car­ton, des que­nouilles de cel­lo­phane et au sol, deux car­cass­es de cochons san­guino­lentes. A la fin, je demande à un Chi­nois s’il par­le anglais. Il ne par­le pas anglais. Je repars bre­douille à tra­vers les ban­lieues qu’Or­ban rase ici et là par coupes som­bres pour bâtir des stades ovoïdes, rec­tan­gu­laires, sphériques, des stades géants, enc­los der­rière des grilles, dés­espéré­ment vides, qui affichent des mes­sages élec­tron­iques: Steffie Graf ten­nis exhi­bi­tion, Pan­tera met­al night, Anoth­er Brick In The Wall inter­na­tion­al show…