Ce matin, parcouru Feu. Il y a des bifurcations et des impasses. Au fond d’une de ces impasses, je me retrouve devant un miroir.
Voyage 4
Après le repas à l’hacienda servi dans un restaurant aéré où dînait un groupe venu assister à un séminaire de « biotypes », Toldo me promène à travers la propriété, 100’000 mètres de jardins, de cellules, de communs pour méditer, jeuner, manger, réfléchir et des palapas (sortes de palestres où s’entraîner), des serres, des terrasses. Dans ce vert paradis, les ruines d’une ancienne fabrique de chanvre (tresse de cordes destinées à la marine). Toldo me montre les pièces d’eau (il aime se baigner, dans le froid, dans le chaud) et un habile système d’adduction qui distribue l’eau de la nappe souterraine au moyen de “bisses”. Piscines, étangs, puits, arrosage, couloir de natation, fontaines, tout est connecté. Sur notre passage, des grenouilles s’enfouissent entre les nénuphars. « Il y a aussi des crocodiles », fait Toldo. Je crois à une plaisanterie. « Un était déjà là, l’autre c’est le voisin qui nous l’a donné ».
-Et ils mangent quoi ?
-Des iguanes.
Voyage 2
Que faire ? A quoi rime ce jeu? Je n’y vois goutte. Bâton devant, je sonde le sol, j’avance. Il faut tenir la distance entre les deux murs. Le couloir du labyrinthe se resserre. Puis il fait un coude, il s’élargit. Je suis renvoyé d’où je viens. Il n’y a pas de lune. Les palmiers flottent. Un vent léger traverse la jungle. Les bambous claquent des dents : tchac-tchac. Maintenant des racines gonflent sous mes pas. Il faut ralentir. J’enjambe. Et je progresse. A nouveau je suis arrêté. Quelque chose. Un tronc? Un pas de côté, en se tenant au mur. De grosses pierres rondes noires, je ne sais pas. Des oiseaux crient. Il fait nuit. Dix minutes que je erre. La fatigue me rattrape. Pas celle du corps, celle de l’esprit. Ce jeu tombe au mauvais moment: encore abruti par le vol de Madrid, la nuit à l’hôtel Revolución, le second vol vers Mérida, la journée en ville, la course en voiture, pour aboutir ici, dans ce noir. Mais il faut continuer, marcher devant soi — ce que je fais. Soudain je m’arrête. Marcher, on ne peux plus: jaillis de terre, des fûts bloquent le passage. Soulagement. J’ai trouvé. C’est la réponse qu’il s’agit de ramener au maître du labyrinthe: une fois reconnu l’obstacle, comprendre que l’« on ne peut pas » et rebrousser chemin. Ce que je fais. Le pas est mieux assuré, plus rapide, je crois reconnaître des pans de ciel, des morceaux de mur. Dix minutes pour revenir au point de départ. Enfin je débouche sur la place des Quatre éléments. Je prends la sente qui conduit à l’entrée de l’hacienda, devant le portail j’appelle le gardien. Il refuse le bâton que je luis tends.
-Non, non, fait-il atterré. « El patrón » veut que vous alliez au bout !
-Ben voyons…
Le gardien reste ferme : il faut.
Donc je retourne dans le labyrinthe. A nouveau je choisis terre. Et je marche. Plus vite. Jouant du bâton. Ecartant les bambous, glissant sous les palmes. Arrivé au fond des sinuosités, au fond du labyrinthe, je prends la mesure de cet obstacle, l’obstacle qui obstrue le passage. Ce n’est pas impossible. Suffit de ne pas être gros. Je ne le suis pas. D’avoir le corps souple. Voyons… Je me tords, je me contorsionne. Pour ramener le reste du corps, je tire. Voilà, je suis passé. De l’autre côté de l’obstacle, à nouveau le couloir de pierre. Qui conduit à d’autres couloirs de pierres. La marche reprend. Je sors enfin du labyrinthe et trouve Juan et Toldo assis devant une fontaine aux anges.
-Tu étais où ?
Voyage
Trois fois Toldo a changé le programme. Ce soir, il le change encore. Sorti d’une cantina où j’ai dîné, je reçois un message : « nous partons demain matin, où es-tu? ». Son chauffeur me prend à l’hôtel Revolución à 5h30. Nous roulons dans la nuit. En haut de Reforma, nous dépassons trente, cinquante, cent cyclistes. Un club pédale derrière sa voiture-balai. Le trafic est énorme, la pollution terrible. A l’obscurité s’ajoute l’obscurité. Quand nous bifurquons vers le quartier résidentiel de Bosque de Lomas, d’autres cyclistes. Ceux-là grimpent les pentes aiguë des collines du Bosque. Le quartier est fait de bosses. Bâties au-dessus des vallons, les villas ne sont accessibles que par une de leurs façades. Les plus techniques ont des ascenseurs sur la face aveugle. Mais le plus étonnant demeure l’ambiance. Les arbres qui déploient leur frondaisons sur les toitures ferment le ciel au-dessus de ce quartier-écrin. C’est là que vit Toldo. Il descend d’une maison verticale, sort par une porte basse, s’engouffre dans la voiture. Le chauffeur démarre. Une heure plus tard, nous embarquons à l’aéroport de Toluca dans un avion de l’Aero bus. Vol rapide pour la capitale du Yucatán, Mérida. Là Toldo s’habille et part pour son bureau. Comme il part en voiture, j’en profite. Quartier des hôtels internationaux. « C’est là que nous sommes. », dit-il en désignant au loin une tour de verre et de métal. Et ses jardins-fontaines, ses restaurants d’esplanade, ses polices privées, sa flotte de véhicules. Grosse enseigne au nom de Toldo en haut de la tour. Je siffle d’admiration. « Oh, nous n’avons que sept étages », dit Toldo. Nous prenons l’ascenseur. Au septième, Toldo ouvre la porte d’un bureau. Apparaît Gonzalo. La dernière fois que je l’ai vu, c’était sur les bancs du lycée français de Mexico, nous avions 18 ans. « Tu ne m’as pas dit que Gonzalo serait là ! », fais-je observer plus tard. Toldo : « je ne le savais pas ». ‑Mais il travaille bien pour toi. “Oui, bien sûr… parmi quelques milliers d’autres”. Puis : « je vais dire à un chauffeur de te donner une moto et tu peux retourner chez moi ». Me voici à rouler dans le plan en quadrillage de Mérida. J’aboutis dans une maison-villa. Étroite comme un couloir, elle est longue comme le kilomètre. Du vestibule à la piscine, tout s’aligne : salle de bains, salon, cuisine, terrasse. C’est la maison qu’a fait rénover Toldo près du centre historique. A deux heures, retour au pied de la tour. Nous avons rendez-vous pour aller dîner. J’attends dans la cour avec les concierges, les gardiens et les fontaines. Enfin, l’ascenseur s’ouvre. Toldo, un employé, Gonzalo. Mais ce dernier repart pour Mexico. Il s’excuse : une affaire vient de tomber. Nous allons au restaurant à pied (les déplacements à pied sont rares). Il fait chaud. Il fait très chaud. Offre de poissons fins au milieu de tablées de femmes surmaquillées et de Messieurs en santé. Majordomes et serveurs, luxe et réserve. Tous: “Monsieur Toldo, par ici je vous prie!”. A notre table attend l’un des gourous de Toldo – il nous accompagnera pendant quatre jours. Cheveux gris, figure émaciée, catogan, yogi, il a quatre-vingt-huit ans. Il est peintre. Et sympathique. Au milieu des tables du restaurant occupées par ces couples argentés, il montre des feuilles qu’il a cueillies sur un arbre sacré avant de les mettre à sécher. Des feuilles géantes. Du type nénuphars. Il explique la technique de vernissage, passe les feuilles par-dessus nos assiettes. Nous dînons de poulpe, de « ceviche », de « guacamole ». Après quoi je rentre dormir. Puis je cherche de la bière. Je n’aurai pas le temps de la boire : nous repartons. Cette fois, Toldo prend le volant. Nous quittons Mérida. La route trace à travers une jungle d’arbustes poussiéreux. Partout le long de la voie des travaux. Les femmes agitent des fanions rouges, des encagoulés aplanissent un bitume fumant. Descendus de voiture, dans la nuit, nulle part, Toldo tend les clefs au gardien qui a ouvert le portail de l’hacienda Shambalante. Le gardien les empoche et nous remet trois bâtons. Juan, le peintre yogi, part devant, Toldo ferme la marche. Nous cheminons sur une sente marquée de pierre. Elle serpente. Elle aboutit sur une place circulaire entourée de hauts murs.
« Tu prends terre, eau, feu ou air ? », demande Toldo.
Il me remet un bâton, je m’enfonce dans le labyrinthe.
Voyage 2
Que faire ? A quoi rime ce jeu? Je n’y vois goutte. Bâton devant, je sonde le sol, j’avance. Encore faut-il tenir la distance entre les deux murs. Par endroits le couloir du labyrinthe se resserre. Puis il fait un coude et s’élargit. Je suis alors renvoyé dans la direction d’où je viens. Il n’y a pas de lune. Les palmiers flottent En hauteur flottent les feuilles des palmiers. Un vent léger agite les bambous: et les bambous: tchac-tchac. Un bruit de pluie. Maintenant des racines gonflent sous mes pas. Il me faut ralentir. J’enjambe. Je progresse. A nouveau je suis arrêté. Quelque chose. Un tronc? Un pas de côté, je me tiens au mur. De grosses pierres rondes noires, je ne sais pas. Des oiseaux crient. Dix minutes que je erre dans le noir. La fatigue me rattrape. Pas celle du corps, celle de l’esprit. Ce jeu tombe au mauvais moment: encore abruti par le vol depuis Madrid, la nuit à l’hôtel Revolución, le second vol vers Mérida, la journée en ville, la course en voiture, pour aboutir ici, dans ce noir. Mais il faut continuer, marcher devant soi — ce que je fais. Quand soudain, je m’arrête puis je ne le peux plus, des fûts on jailli de terre, ils sont devant moi, ils bloquent le passage. Je suis soulagé. J’ai trouvé la solution : c’était ça, aller jusqu’à l’obstacle, le reconnaître, comprendre que « on n epeutr pas » et alors rebrousser chemin. C que je fais. Dix minutes de plus à marher dans la nuit. Cette fosi d’une pas plsu rapide, il me semble reconnaître des morcaux de mur de ciel, d’arbres. Je débouche su rla place o~u nous aonv chois entre les quatre éléments. Et je reprnds la sente, arrive au portail, avise le gardien , lui tend le baton. Il est aterré :
-Non, non.
« Comment ça ? ».
- « El patrón » veut que vous alliez au bout !
-Ben voyons…
Le gardien reste ferme : il faut aller au bout.
Donc je retourne dans le labyrinthe. A nouveau je choisis terre. Et je marche. Plus vite. Jouant du bâton. Arrivé devant l’obstacle, j’en prends la mesure. Ce n’es pas impossible. Il ne faut pas être gros. Je ne le suis pas. Il faut avoir le corps fin. Et souple. Souple, ça ira, fin, c’est à voir. Je me contorsionne et finis par passer. De l’autre côté de l’obstacle, nouveau couloir de pierre qui conduit à d’autre couloirs de pierres. Et la marche reprend. Quand je sors enfin du labyrinthe, je trouve Juan et Toldo assis devant une fontaine aux anges.
-Tu étais où ?
Après-midi
A la recherche de Isabel la Católica à bord d’un taxi brinquebalant. Manqué m’y rendre à pied. J’aurai eu tort. C’est introuvable. Le chauffeur demande, il me laisse dans la voiture, il se plie en quatre. Bien sûr, j’ai trop payé : il fait le travail. « Wendy », l’employée de Imprenta Cauthemoc, a confirmé l’adresse et donné le numéro. Sans dire que dix-huit bureaux portent le numéro 121c. Pour l’apprendre, il faut discuter avec un vendeur de tortilla. Celui-ci m’emmène à travers un labyrinthe d’escaliers, de portes et de cours. Wendy est assise dans un petit bureau rempli de brochures (ce que je fais fabriquer). Le contrat est conclu en quelques minutes, je remonte dans le taxi. Bien content de cette course le chauffeur achète sur le retour aux ambulants installés le long des trottoirs: il me fait goûter des « víboritas », gélatines sucrées en forme de vipères puis des raisins au chocolat et de la mangue au chili ; pour lui il prend des cigarettes à l’unité, les fume l’une après l’autre.
Matin
Promenade dans le quartier de l’Alameda en passant par Hidalgo. Sur le Zócalo bouclé par la police, préparatifs pour une reconstitution historique « la conquête de Tenochtitlan par Cortés ». Derrière les barrières, des indiens en costumes, des Espagnols en armure et des fanfares de l’armée (celles-ci authentiques). Devant les barrières, cireurs de chaussures, « peones » qui aident les bourgeois à se garer, police de proximité, aztèques qui vendent de la bimbeloterie, touristes en Bermudes. En haut d’une façade, côté est de cette place qui est la plus grande et la plus connue du Mexique, le bar en terrasse où nous avons passé la soirée avec Luv et Toldo il y a 25 ans, au centre, la Cathédrale baroque où j’ai écouté Guy Bovet jouer du Pachelbell il y a quarante ans. Dans le parc d’Hidalgo, une faune de clochards dont la peau a la même teinte que la terre. Au pied des arbres, ils gisent à demi-morts. Partout des gamins hirsutes, noirs de saleté. Dans les jupes de leurs mères, des sucreries. Les femmes vendent à l’encan. Sur un îlot côté Revolución, trois cent individus défoncés au cannabis sous la banderole « Défense des droits humains du fumeur de haschich ». Les plus atteints rampent au sol, cherchent un mur où s’appuyer.
Hotel Revolución, Mexico D.F.
Perdu dans son costume, le réceptionniste de vingt ans enregistre ma réservation comme on gèrerait une affaire décisive pour l’avenir de l’humanité. En même temps qu’il fait, il dit ce qu’il fait. La concentration est si forte qu’il n’a pas le temps de regarder le client, d’écouter le client, de sourire. Ce réceptionniste me rappelle mon médecin de Châtel-Saint-Denis, jeune lui aussi : qui pose des questions le nez dans l’ordinateur, tape la réponse sans vous regarder, serre la main sans changer de position et vous envoie à la prise de sang : « vous recevrez les résultats par mail ».