Mois : mai 2018

Boire

Boire veut dire trop boire. Mais à l’in­verse? Boire “raisonnable­ment”? Boire de justes quan­tités, cela a‑t-il un sens? Car lors, pourquoi boire?

Amour

Chez Rousseau, intéres­sante dis­tinc­tion entre amour de soi et amour-pro­pre. L’un antécé­dent, naturel, l’autre social, résul­tat per­ver­ti du pre­mier, créant dans l’in­di­vidu ce besoin de se mon­tr­er et de se van­ter pour faire val­oir son existence.

Tarbes

A Tarbes, dans un super­marché en réfec­tion. Les clients, innom­brables, poussent leurs char­i­ots à tra­vers des cour­sives insta­bles, pour­suiv­ant les pro­duits qui char­ri­ent ici et là, à bord d’é­tagères sur routes le per­son­nel chargé du réa­gence­ment. Les légumes sont sur le park­ing, les fro­mages au milieu des pan­talons. Sor­tant du park­ing, la Dodge roule sur des bouteilles cassées.
-Etrange, juge Aplo.
-Tout est comme ça désor­mais — pénible.

Balaruc

Le soir, nous atteignons l’hô­tel des curistes, à Balaruc. Prévoy­ant de voy­ager seul, j’ai réservé une cham­bre sim­ple. Je sug­gère un lit de camp. Le patron pro­pose un lit plus grand mais unique. Puis il fait porter par son fac­to­tum qui vient de com­mencer le ser­vice du restau­rant le néces­saire dans une cham­bre de réserve; celui-ci se présente à l’é­tage avec son nœud papil­lon, jette une mate­las dans le vestibule, annonce qu’il apportera des servi­ettes. Nous sommes en soupente, dans une sorte de gale­tas. La nuit, je me réveille et hume l’air: sen­sa­tion de dormir dans un garde-meu­ble de l’ar­mée du salut.

Bac 3

A Genève, je vais au bureau et remue le stock. A force de per­sévérance, je trou­ve ma canne à pêche. Elle est der­rière les car­tons de robi­nets, de joints et de douchettes anales qui nous sont restés sur les bras suite à la fail­lite de la société de san­i­taire. Son état véri­fié, je la cache dans une anfrac­tu­osité du mur (c’est un mod­èle de prix), puis je déje­une avec Luv, en face de la gare, dans cette brasserie qui donne sur la scène de la drogue, la rue de la Servette et sa cour des mir­a­cles, heureux de voir que ma fille va bien, qu’elle tra­vaille avec patience ses cours du col­lège, dans un monde bâti à sa mesure. Elle s’en va, Aplo me rejoint. Entre temps, il a vu son amie qui vit à Lau­sanne et lui a expliqué la sit­u­a­tion. Nous roulons jusqu’à Carouge où je dois obtenir le dupli­ca­tum de la carte grise de ma Dacia récem­ment mise en vente. Avant d’emprunter l’au­toroute, nous filons les yeux grands ouverts en direc­tion de Saint-Julien à la recherche d’une boîte à let­tres. La carte grise con­fiée aux bons soins de la poste, je tourne la voiture en direc­tion du Bachet-de-Pesay, entrée de l’au­toroute fer­mée. Je tourne le voiture. Nous voici enfin dans la bonne posi­tion. Alors le télé­phone sonne. Mamère: “tu ne peux pas con­duire dans ce état!” J’ac­célère. “Promets-moi, dès que tu auras passé la fron­tière, gare la voiture sur le côté et repose-toi!”
-Dès que j’au­rai quit­té la Suisse, ça ira mieux.
 

Bac 2

Au télé­phone, Olof­so s’écrie: “Tu ne peux pas faire ça! Et il faudrait je donne mon accord? Main­tenant, juste main­tenant? Pourquoi ne pas y avoir pen­sé plus tôt?”
-… il vient de me mon­tr­er ses notes.
Elle rac­croche. Et rap­pelle. Aplo répond, sort dans la rue, tourne en rond, écoute, hésite. Fin de la con­ver­sa­tion. D’un pas lent, il vient vers moi:
-Bon, je viens!
J’ap­pelle l’é­cole. La pro­fesseur prin­ci­pale :
-Prenons ren­dez-vous, nous en dis­cuterons.
-Madame, je pars dans cinq min­utes.
-Vous… Com­ment ça? Et votre fils, qu’en dit-il? Est-ce qu’au moins il vien­dra au cours?
-Quand est-ce?
-La cloche ne va pas tarder à son­ner.
-Je vous l’en­voie. Il vous dira ce qu’il en pense.
Je rac­croche. A Aplo:
-Tu montes voir ta pro­fesseur, tu lui expliques!
Pen­dant ce temps, je charge la voiture: tapis, livres, bière, tables de nuit et table d’écri­t­ure. Le portable sonne. Cette fois, c’est la direc­trice. Elle ne com­prend pas. Et insiste: Aplo a un devoir de maths cette semaine, il lui reste toute la fin du pro­gramme à voir!
-Ecoutez, lui dis-je, il a fait 5 sur 20 à son exa­m­en de math, vous pensez vrai­ment qu’il va remon­ter sa note d’i­ci à ven­dre­di?
Avan­tage, je paie cette école. Il y a deux ans, le directeur de l’é­cole de sec­ondaire de Jolimont de Fri­bourg, un Français, à pu, avec l’aide du préfet africain de ce can­ton, me faire arrêter à l’aéro­port de Coin­trin alors que je m’en­volais pour Lon­dres afin de me con­train­dre à pay­er une amende d’or­dre pour avoir sor­ti Aplo de l’é­cole pen­dant une demi-journée, mais là, nous sommes dans le privé, je suis client, avan­tage aux (faux) riches.

Bac

Après quoi je dis à Mamère ce que je pense de ces Suiss­es abrutis de civisme qui, non con­tents d’avoir dans les jambes des pop­u­la­tions d’ec­to­plasmes débar­qués des poubelles du tiers-monde, redou­blent de zèle, font de la vie en société une sci­ence exacte et por­tent aux con­seils de vil­lage des édiles qui les rançon­nent pour lancer des pro­jets somp­tu­aires telles que ces éta­bles de luxe pour vach­es fri­bour­geois­es qui dépar­ent la cam­pagne ou ces park­ings de bitume lisse avec horo­da­teurs qui écrasent dix prés, me couchant en colère, me réveil­lant en colère, avant de regag­n­er l’ar­rière-bou­tique de Lau­sanne où, rece­vant Aplo quelques heures avant de pren­dre la route pour l’Es­pagne, celui-ci me présente des notes de bac blanc médiocres, ce qui m’amène à le plac­er devant un dilemme, con­tin­uer la pré­pa­ra­tion de l’épreuve ain­si, avec ses pro­pres moyens, ou réu­nir dans l’heure ses cours dans une valise et mon­ter en voiture afin que je lui explique à rai­son de sept heures quo­ti­di­ennes, dix jours de suite, dans la mai­son d’A­grabuey, à mille kilo­mètres, com­ment faire pour étudi­er, mémoris­er, organ­is­er et présen­ter val­able­ment la matière de son examen.

Etouffer 2

A peine instal­lé dans la ferme, Mamère demande de l’aider. Nous char­geons la Toy­ota, nous roulons jusqu’à la déchet­terie. Nous roulons pare-chocs con­tre pare-chocs, à tra­vers ce vil­lage de paysans désor­mais encom­brés de hangars Aldi, Lidl, Den­ner, Migros, Bric­o­chose et Choseau­to. Com­men­taire de Mamère:
-C’est la plus mau­vaise heure.
Celle où les hommes et les femmes du vil­lage finis­sent le tra­vail et mon­tent en voiture pour se répan­dre à cinquante mètres, en même temps, tous, dans les cen­trales d’achat, ce qui leur per­met de con­stater que “c’est le plus mau­vaise heure”. Du moins pour ceux qui ne priv­ilégient pas d’abord le pas­sage en déchet­terie, celui-ci étant le com­plé­ment logique de l’achat de choses embal­lées, frag­iles, inutiles, encom­brantes et usées, que l’on jette. Ici et là, je vous prie, dans des con­teneurs, des seaux, des bennes, des ton­neaux dûment éti­quetés par des fonc­tion­naires orange qui une baguette à la main, la gueule avinée, diri­gent en chefs d’orchestres cette sym­phonie du déchet. Mais tout cela est si sym­pa­thique! Les vil­la­geois se salu­ent, fiers de mon­tr­er qu’ils jet­tent par civisme et con­nais­sent leur affaire:
-L’huile ménagère, dans le bleu Roger?
-Mer­ci Jean.
Et comme nous sommes venus, nous repar­tons, dans le petit embouteil­lage-minute qui égaye à heure fixe, qua­tre fois par jour, la vie quo­ti­di­enne de ce vil­lage autre­fois sensé.

Etouffer

Des papiers, encore des papiers, des papiers fac­tures, des papiers-verse­ments, des let­tres-con­tes­ta­tion et des répons­es-types, ce régime affreux qui étouffe comme étouf­fait dans le film Brasil sous une tor­nade de papi­er ce pau­vre pié­ton qui se hâtait vers son tra­vail. Ayant fini le mien, traiter ces et class­er ce papi­er, je monte en train pour rejoin­dre la Glâne. Or, à peine assis dans le wag­on, j’ai dans le dos une Arabe qui dia­logue en arabe dans son télé­phone portable, que je prie de se taire, qui se tait pour faire enten­dre aus­sitôt, à deux sièges du mien, une Brésili­enne qui dia­logue en brésilien dans son télé­phone, et dans ces con­di­tions, celles du chara­bia uni­versel qui bloque toute vel­léité de pen­sée ou de lec­ture, nous tra­ver­sons le Lavaux, Puidoux-Chexbres et Palézieux. Peu après, au milieu d’un champ, la valise ouverte, je me change, c’est à dire que je quitte mes jeans pour enfil­er une paire de Bermudes et c’est ain­si que Mamère, descen­due me pren­dre en voiture me décou­vre, en slips, sur le bord de la route.

Swiss

Léger retard de l’avion en rai­son de la grève des aigu­illeurs du ciel mar­seil­lais; ces luttes anachroniques, rel­e­vant du sport, ne finiront-elles donc jamais d’emmerder le reste de l”Europe? Pen­dant le sur­vol de Lyon, le pilote suisse-alle­mand est fier d’an­non­cer qu’il a pu accélér­er et rat­trap­er le retard. A bord, j’achète une car­touche de cig­a­rettes pour les employés et comme l’hôtesse me demande si je prends les “miles”, je lui sug­gère de les inscrire sur la carte de Mon­frère qui, instal­lé à l’autre bout de l’ap­pareil, voy­age en pre­mière. A Coin­trin, c’est Mon­père et sa femme qui nous accueil­lent et nous ramè­nent à Lau­sanne à bord de la Mer­cedes des années 1980 qu’il vien­nent de rap­porter de Budapest(si je com­prends bien, ils font le voy­age une semaine sur deux). Con­ver­sa­tion de tou­jours: les dernières éclairages his­toriques autour de la per­son­nal­ité d’Hitler dont Mon­père a pris con­nais­sance par ses lec­tures de la semaine et me voici à nou­veau dans l’ar­rière-bou­tique, ravi d’en­ten­dre chanter les oiseaux dans la nuit précoce.