Mois : mai 2018

Penderie

L’apparte­ment de Mala­ga offrant peu d’ar­moires, Gala a exigé en avril de l’an­née passée que j’achète une pen­derie. Pay­er, n’est pas réjouis­sant; pay­er des meubles en pous­sière encore moins; mais tra­vailler avec une vendeuse devant un écran à créer ce meu­ble est un cal­vaire. L’opéra­tion a duré trois heures. Trois de plus pour rédi­ger le con­trat et sign­er les papiers. Ma frus­tra­tion était telle que je suis allé acheter un shak­er a pro­téines dans une bou­tique de mus­cu­la­tion. Une semaine plus tard, des ouvri­ers instal­laient la pen­derie mod­u­laire de cinq mètres de long et deux de haut dans la cham­bre en alcove de notre duplex. Gala y a rangé ces car­tons de chaus­sures vides. Pour ses vête­ments, ils sont restés comme d’habi­tude dans des valis­es garées sous le lit. Début févri­er, avant de don­ner le con­gé, j’ai pub­lié une annonce: “armoire neuve, achetée 1200 Euros, à ven­dre”. Qua­tre, trois puis deux cent Euros. J’ai ren­du les clefs de l’ap­parte­ment, l’ar­moire est restée sur place. Tout à l’heure, un habi­tant de Fuen­giro­la appelle. “J’ai deux soeurs, des veuves, qu’in­téressent votre pen­derie. Puis-je mon­ter?”
- Désolé, je suis à Agrabuey, à mille kilo­mètres de Mala­ga.
Or, mir­a­cle. A l’in­stant, j’ap­prends que le pro­prié­taire de l’im­meu­ble a fait le néces­saire, il a ven­du la pen­derie et m’en­voie l’argent.

Zombies

Au pied de la mon­tagne, ce super­marché Car­refour de qua­tre cent mètres de côté qui ouvre sur une esplanade conçue pour mille voitures. Hier, nous étions six clients. Aplo effrayé me dit: “c’est angois­sant!”
-Tu trou­ves? Moi, j’aime ce vide. Evidem­ment, il ne faudrait pas que ça ferme.
Plus tard, chargé de nos cabas qui con­ti­en­nent de la viande hachée, des tacos, des chips, deux jeans à 12 Euros, plusieurs salades et trois baguettes de pain (je con­gèle), nous tran­si­tons par la galerie com­mer­ciale: la moitié des com­merces sont aban­don­nés.
-Un film de zom­bies, remar­que encore Aplo.
De fait, le park­ing offre une vue sur­prenante. Il n’y a qu’une voiture, ma Dodge. Réfléchissant, je cal­cule qu’il en ira de même à Puente la Reina, la ville la plus proche. Intu­ition récom­pen­sée puisque j’achète dans ce mag­a­sin de sport qui à Noël débor­dait de clients une paire de chaus­sures de skis et une autre de marche au quart de leur valeur.

En route

Les jeux sont faits, nous sommes en route pour un sys­tème total­i­taire à moins qu’un obsta­cle majeur, guerre civile ou une rup­ture économique, ne con­tre­carre les des­seins des mal­faisants — souhaitons-le!

Hirondelles

Temps superbe, le soleil éclaire la val­lée dès huit heures, l’air est vif, nous sor­tons étudi­er au jardin. Pro­gramme du jour, His­toire et mémoire de la sec­onde guerre, puis, en philoso­phie, La démon­stra­tion, enfin un devoir de sci­ences poli­tique, Car­ac­téris­tiques socio-cul­turelles du vote. Au-dessus de nos têtes passent et repassent les hiron­delles qui nichent dans notre mur de façade. A midi, Aplo choisit un thème de dis­ser­ta­tion et cha­cun s’y colle. Les Etats-Unis de 1918 à nos jours. Nous com­parons les résul­tats, et c’est l’heure de dîn­er, je cui­sine les bro­chettes de crabe et de poulpe achetées ce matin au marché ambu­lant qui, une fois par semaine, pour un quart d’heure, installe son stand sur la place du village.

Fatigue

Par­fois épuisé, mais fatigué, pas que je me sou­vi­enne; voilà qui change. Si j’en­tre­prends une répa­ra­tion, fais une course, traite une affaire, je me réjouis d’en finir, de m’asseoir, de me couch­er, ne serait-ce que pour divaguer, activ­ité entre toutes la plus utile et la plus por­teuse. Penser vaut mieux que faire. Si j’en par­le, c’est que je trans­portais tan­tôt à tra­vers le vil­lage une sec­tion de gout­tière, du vieux tuyau et des piles de car­ton après avoir per­cé, vis­sé, retourné la terre et rem­poté un palmi­er. Dans cet état, je croise la vielle dame qui vit au-dessus de la ruine. Elle approche lente­ment, me voit. J’at­tends (peut-être est-elle sourde), la salue.
-Vous allez bien? Il a man­qué pleu­voir.
-Pleu­voir? Oui, oui. Je me promène.
Je com­prends alors que si elle veut faire la prom­e­nade jusqu’au bout, elle ne peut en plus par­ler de la pluie et du beau temps, que c’est l’un ou l’autre, précédée et suiv­ie comme elle de la fatigue.

Etouffer 3

Selon mon habi­tude, j’é­coute les derniers qua­tre-vingt, cent, cent-dix albums rock et folk pub­liés qu’af­fiche mon site à for­fait et en retiens, après écoute intu­itive, quelques-uns dont celui-ci, Com­plic­it du groupe Bad Breed­ing, soit Res­pi­ra­tion dif­fi­cile; pour Aplo qui pré­pare en cui­sine des tacos et pour lequel je vocif­ère à mesure mes appré­ci­a­tions, je fais, spécu­lant sur les pre­miers riffs, “du punk!”, puis “atten­dons la voix..”, et impa­tient, mimant les effets sonores, “le type va chanter comme ça (j’imite)”. Ce qui a lieu et, aus­sitôt m’ar­rache:
-Mais, c’est du Crass!
Ce que véri­fie le graphisme de la pochette, des écri­t­ures majus­cules organ­isées autour d’un cer­cle. Logo qui me rap­pelle que le 29 avril, comme je sor­tais de la sta­tion de métro Château rouge, à Paris, pour rejoin­dre l’ap­parte­ment de mon édi­teur, quarti­er de la Goutte d’or, au milieu des nègres, reten­tit soudain d’une fenêtre au pre­mier étage, le pre­mier titre du célèbre album de Crass, Christ (qui m’a accom­pa­g­né pen­dant des années et dont le son me ren­voy­ait brusque­ment à l’ado­les­cence), hymne post­punk à l’anarchisme.

Etre

Etre jeune et avoir l’idée du monde, c’est à dire la force d’en­tr­er dans la vie à par­tir des possibles.

Tonte

Mon voisin, un ancien ban­quier, a un gazon impec­ca­ble.
-Mais enfin Luis, com­ment fais-tu?
-Je tonds.
-Tu ne sèmes pas?
-Je tonds.
-Mais enfin Luis, moi aus­si je tonds?
-Je tonds et je tonds et je tonds encore.
-Evidem­ment. Alors que je voy­age.
-Oui. En tout cas, ne renonce pas, insiste et tonds, n’ar­rête jamais de tondre!

Agrabuey

Ce matin, dans Agrabuey, corvée de print­emps. Ana la femme du maire pelle l’eau de la fontaine, Miguel arrache l’herbe poussée entre les pavés, le guide req­uis pour la manoeu­vre (faute de neige, il est ces jours sans tra­vail) niv­elle les bor­dures à la débrous­sailleuse. Un ser­pent s’échappe. Il ond­ule, n’en pou­vant plus s’ar­rête sur mon pas de porte, au milieu de la rue de Bar­rio Cam­po (le vil­lage-champ). Aplo quitte la table de tra­vail où il traite sous forme de dis­ser­ta­tion et en anglais le sujet d’é­conomie “spaces and exchanges”. Nous fixons la bête quand approchent les deux frères Jésus.
-Il est mort, déclare l’aîné.
L’autre le soulève.
-La queue est coupée.
Puis ils s’at­taque­nt à ma chaudière expli­quant: “Alexan­dre, il te manque mil de pres­sion! Là, tu vois? Tu ouvres cette vanne, et quand l’aigu­ille noire rejoint la rouge…”
-Pas si vite!
Je fonce à l’é­tage, reviens avec une feuille de papi­er et un sty­lo, note le tout en français et applique du scotch sur les dif­férente vannes, nom­mant l’une “A”, l’autre “B”, la troisième “hiv­er”, la suiv­ante “été” comme si les deux frères allaient m’en­fer­mer dans un sous-marin dont j’au­rai à assur­er la cap­i­tainer­ie pour un long voyage.

Divertissement

Lancer de hache au crépuscule.