Etouffer 2

A peine instal­lé dans la ferme, Mamère demande de l’aider. Nous char­geons la Toy­ota, nous roulons jusqu’à la déchet­terie. Nous roulons pare-chocs con­tre pare-chocs, à tra­vers ce vil­lage de paysans désor­mais encom­brés de hangars Aldi, Lidl, Den­ner, Migros, Bric­o­chose et Choseau­to. Com­men­taire de Mamère:
-C’est la plus mau­vaise heure.
Celle où les hommes et les femmes du vil­lage finis­sent le tra­vail et mon­tent en voiture pour se répan­dre à cinquante mètres, en même temps, tous, dans les cen­trales d’achat, ce qui leur per­met de con­stater que “c’est le plus mau­vaise heure”. Du moins pour ceux qui ne priv­ilégient pas d’abord le pas­sage en déchet­terie, celui-ci étant le com­plé­ment logique de l’achat de choses embal­lées, frag­iles, inutiles, encom­brantes et usées, que l’on jette. Ici et là, je vous prie, dans des con­teneurs, des seaux, des bennes, des ton­neaux dûment éti­quetés par des fonc­tion­naires orange qui une baguette à la main, la gueule avinée, diri­gent en chefs d’orchestres cette sym­phonie du déchet. Mais tout cela est si sym­pa­thique! Les vil­la­geois se salu­ent, fiers de mon­tr­er qu’ils jet­tent par civisme et con­nais­sent leur affaire:
-L’huile ménagère, dans le bleu Roger?
-Mer­ci Jean.
Et comme nous sommes venus, nous repar­tons, dans le petit embouteil­lage-minute qui égaye à heure fixe, qua­tre fois par jour, la vie quo­ti­di­enne de ce vil­lage autre­fois sensé.