Catégorie : Inconsistance

Port-Lauragais 2

Comme je me rase dans les toi­lettes publiques, quar­ante enfants descen­dent d’un bus sco­laire. Ils vont aux uri­noirs. Les pro­fesseurs cri­ent: “n’ou­bliez pas de vous laver les mains!”. Sauf que le dis­trib­u­teur de savon est de mon côté. Que je suis au milieu. Que je suis grand et qu’ils sont petits. Il y a celui qui lorgne sur le dis­trib­u­teur, n’ose pas, renonce. Celui qui s’in­ter­roge, cherche une solu­tion. Celui qui me regarde, demande “je peux pren­dre du savon Mon­sieur?”, se sert, remer­cie. Puis il y a le routi­er. Lui aus­si a besoin de savon. Les mains mouil­lées au-dessus de son lavabo, il repère le dis­trib­u­teur, tend les mains par-dessus mon lavabo, comme si je n’ex­is­tais pas se sert. 

Port-Lauragais

La camion­nette dans le dos, un litre à la main, je fais face aux touristes qui mouil­lent leurs pénich­es sur le plan d’eau de Port-Laura­gais. Ici se ren­con­trent les auto­mo­bilistes de la A61 et les plai­sanciers qui des canaux du Midi. Il y a trente-trois ans, je voy­ageais comme eux à bord d’une péniche de loca­tion. Nous arriv­ions en famille de Castel­naudary, nous atteignions Toulouse où j’a­chetais le lende­main l’al­bum Unbe­ha­gen de Nina Hagen. Je prends une pho­to des pénich­es et l’en­voie à mon père avec ce mes­sage: “nous étions ici il y a 33 ans”. De Hon­grie, il me répond. “je ne recon­nais pas”. J’ou­vre un autre litre. Je pré­pare un pique-nique. Saucis­son, pain, cor­ni­chons. Ne manque que la moutarde. Elle est dans l’ar­moire à vict­uailles. En appui sur la ban­quette arrière, la planche de surf empêche l’ac­cès. Est-ce que je veux ma moutarde? Ce serait meilleur avec de la moutarde. J’ex­trais la planche de la camion­nette, l’ap­puie à la ver­ti­cale con­tre la por­tière. Tan­dis que je fouille l’ar­moire à moutarde, un coup de vent bal­aie la planche. Elle chute sur le park­ing, casse un de ses ailerons.

Décor

Ce moment de l’en­trée dans l’âge adulte où l’in­di­vidu est décou­plé du petit décor d’il­lu­sions qu’en­trete­naient ses parents.

Avant les images

Aujour­d’hui oublié, le sou­venir des paysans qui sans fail­lir les dimanch­es par­taient à pied pour rejoin­dre l’église et prier. Si la pacotille mer­veilleuse du prêtre était regardée comme un magie c’est en rai­son de l’âpreté de la vie quo­ti­di­enne, mais encore de la dif­fi­culté chez l’in­di­vidu à four­bir spon­tané­ment son imaginaire.

Grosseur

Imag­i­nons une gros per­son­nage qui grossit. Et un local exigu. Nu ne grossir­ait au-delà de la lim­ite qu’im­pose la survie. Prob­lème de la grosseur résolu. Les per­son­nages gros, dans une société grosse où toute lim­i­ta­tion est déclarée crime con­tre la lib­erté, vont con­tin­uer de grossir.

Avancement

Une fois acquise la rai­son, ce n’est pas la rai­son qui fait avancer la rai­son mais la folie.

Rire

Le rire est un moyen de com­mu­ni­ca­tion insen­sé et un utile expé­di­ent. Il per­met de ne rien dire tout en exp­ri­mant sa sym­pa­thie. Il mesure la gêne des inter­locu­teurs, plus sou­vent leur inca­pac­ité à s’établir dans la conversation.

Banque

Mes­sage élec­tron­ique de la banque hon­groise que je décou­vre par hasard: “sans véri­fi­ca­tion rapi­de de vos iden­tités, nous nous ver­rons oblig­és de fer­mer votre compte”. C’est ennuyeux, les quelques bil­lets en Forint que j’in­tro­duis à l’oc­ca­sion dans l’au­to­mate de la suc­cur­sale ser­vent à pay­er l’élec­tric­ité et l’on mange déjà assez mal dans le pays. Rue Ezternyi, je trou­ve un bureau ouvert. Les affich­es rouges aver­tis­sent le client: bien­v­enue dans l’ère de la “digiso­phie”! Comme je patiente avec quelques ménagères dépres­sives devant l’u­nique guichet, je prends le temps de lire le mes­sage d’in­térêt général. Il traite de la révo­lu­tion élec­tron­ique. En résumé: grâce à notre appli­ca­tion “digiso­phie”, faites tout en ligne!”. Signé: Votre banque. Trop tard, je m’ap­proche du guichet. Lente­ment. Vingt min­utes passent, c’est enfin mon tour. Une petite vielle qui mesure 1,50 mètres me demande l’o­rig­ine de mes revenus. “Je n’en ai pas”. Ma réponse lui fait per­dre dix cen­timètres. Elle gig­ote. Elle cherche ce qu’elle pour­rait deman­der. Elle demande: vous avez une occu­pa­tion? “Je suis écrivain”. Après avoir longue­ment con­sulté son pro­gramme, elle dit: “ça n’ex­iste pas”. “Est-ce que vous seriez “autonome”? “Ou alors “entre­pre­neur”?”. Mon idée étant de me débar­rass­er au plus vite de la dame, de sa suc­cur­sale et de la banque, je dis: “oui, c’est ça, autonome”. La dame coche la case et fait: “je ne sais pas s’ils vont accepter”. La dame dit: “si je com­prends bien, vous êtes étranger?”. Oui, luis dis-je, c’est pourquoi j’ai un compte Monde que vous me fac­turez Euros 16.- par mois. La dame fait: “hum, le compte Monde c’est bien, mais l’im­por­tant est de faire par­tie de l’U­nion Européenne!”.

OM

Occupé ces dernières heures, trente-six à peu près, la nuit en sus, à me deman­der si j’ai bien écrit OM et dans ce cas où se trou­verait le man­u­scrit (sur cahi­er j’imag­ine), n’ayant jusqu’i­ci pas pris le courage de fouiller au ven­tre le buf­fet fin­landais du salon où je remise mes écri­t­ures. Car, me dis-je, il faut, avant que de me lancer sur le dernier volet du trip­tyque SM, véri­fié si j’en ai pro­duit la par­tie cen­trale. Com­ment faire? Je vois mot par mot — donc claire­ment — cette scène de la Grande fille, une cama­rade d’u­ni­ver­sité des années 1990 dont je racon­te la grandeur et le défaut de charme, mes mal­adress­es et ma bêtise, con­va­in­cu que cette scène ne fig­ure pas dans TM, le volet pre­mier du trip­tyque, celui-là pub­lié et récom­pen­sé (un prix). 40 heures sont écoulées et je ne sais tou­jours pas: il va fal­loir ouvrir le buf­fet. En espérant ne m’être pas trompé car sinon, de quoi cette scène pour­rait-elle être le sou­venir (on ne se sou­vient pas d’une réal­ité mot par mot).

La fosse de Babel

“[] la tâche la plus urgente, pour les réprou­vés que nous étions, con­sis­tait à créer aux Etats-Unis, c’est-à-dire au pôle mon­di­al de la bonne con­science, un mou­ve­ment fas­ciste et un mou­ve­ment com­mu­niste clan­des­tins et con­joints dirigés tous deux secrète­ment par les mêmes hommes, et dont les mil­i­tants de base au con­traire se bat­traient.”, Ray­mond Abellio.