Des oiseaux dans les eucalyptus, une terre jaune dressée au-dessus des cactus et la chaleur qui fige les palmiers. Au bout de l’allée la piscine a la forme d’une soucoupe. L’eau est claire, le silence complet. Je m’entraîne, puis sors la bière et profite d’entendre les chants. Un couple hollandais parle en coulisse, comme sur la scène d’un théâtre. Parfois un voiture démarre.
Catégorie : Inconsistance
Eden
Les Espagnols appellent “urbanización” ces quartiers résidentiels conçus par les architectes pour êtres déposés sur un terrain vague à la périphérie des villes. Depuis que je suis enfant, je connais ceux qui servent de cités-repos aux travailleurs des capitales avec leurs vastes parkings à l’air libre, leurs bars de voisinage, leurs piscines communautaires et leurs terrains de sport, mais je n’avais jamais fréquenté leur équivalent touristique en bord de mer. L’ ”urbanización” Eden est bâtie sur les hauteurs de Guardamar del Segura, une station balnéaire de la Costa del Sol située entre Alicante et Carthagène. Composée d’un millier de villas contiguës blanchies à la chaux, elle est séparée de la mer par une semi-autoroute. Chaque maisonnette a deux étages. Le propriétaire qui vit dans l’appartement du premier accède à son logement par un escalier intérieur. C’est notre cas. L’appartement fait soixante mètres au sol, les meubles sont en aggloméré, les terrasses vitrées et chaudes, la cuisine bas de gamme mais pratique. La chambre à coucher donne sur la buanderie laquelle donne chez le voisin. A la signature du contrat, le futur propriétaire peut faire apposer sans supplément la faïence de son choix. L’on voit en façade des “José y María”, “Keppler haus”, Peer Gynt” ou encore “Sweet love”. D’après mes calculs que confirment les annonces des agences qui vendent le produit à Guardamar, un appartement de ce type coûte soixante mille francs. Un luxe accessible. L’ ”urbanización” se vide et se remplit selon les périodes de vacances des différents calendriers européens. L’aéroport d’Alicante débarque les habitants par vagues. En ce mois de mars, seuls vivent dans les maisonnettes des couples de retraités. Le soleil brille sur les toits. Les voitures sont alignées sous les palmiers. Au bout de la rue privative, accessible au moyen d’une clef, la piscine. Autour de cette cité qui doit ressembler du ciel à une navette spatiale garée dans le désert, des parcs de jeux pour enfants et des parcs de jeux pour les chiens. Nos voisins sont lituaniens, français, polonais, allemands, écossais.
Quatre étoiles
Banlieue de Viñaros onze heures le soir. Devantures closes, promeneurs de chiens, réverbères jaunes. Gala a faim. Trois heures que nous roulons dans la nuit. Après avoir abattu 220 kilomètres, l’ordinateur de bord nous perd. Une chance puisqu’il y a près d’une pharmacie de garde un restaurant tenu par des Colombiens. Ils fermaient, il rouvrent. Nous mangeons de la viande et des tomates. J’en profite pour demander la direction de l’hôtel. Je pariais sur l’est, le patron indique l’Ouest et affiche un plan sur son téléphone: à l’évidence l’adresse communiquée par le site de réservation est fausse. Lorsque nous aboutissons à la réception, un adolescent en costume nous dit: “vous êtes bien à l’hôtel Aura, mais il y en a deux, votre chambre est dans l’autre hôtel”. Je fais remarquer que l’adresse était fausse. Désinvolte il répond : “oui, il faudra changer ça”. L’autre hôtel Aura, ou plutôt le second bâtiment du même hôtel, est “à côté”. L’adolescent fait un geste par dessus l’épaule: “juste là!”. Je redémarre la camionnette, fais le tour du quartier, m’éloigne. Un promeneur de chien nous renseigne: il montre l’enseigne de l’hôtel Aura éclairée dans la nuit. Nous voici de retour devant le même bâtiment. J’attrape l’adolescent, l’amène dans la rue, exige qu’il montre le bâtiment. En effet, l’hôtel est “juste là”. Mais il est dans une impasse, inaccessible en voiture, invisible au regard; après vérification l’impasse n’a pas de nom.
El Prat
Aéroport de Barcelone. Le vol de Genève est annoncé au terminal B. En dernière minute, les moniteurs avertissent d’un changement de porte. Au lieu de déplacer la camionnette, je vais à pied. Malgré le retard à l’atterrissage, la salle d’accueil est à moitié vide. Je discute avec un père et son fils qui tiennent une agence de snowboard dans les Pyrénées. Ils attendent un client. Devant la porte coulissante des “arribades”, une Andine; au seul guichet ouvert une autre Andine. Quand un homme à la mine patibulaire jette son sac à la volée et s’allonge sur le sol. Chacun à vu. Personne ne veut voir. L’homme gît sur le dos. Le T‑shirt remonté sur le ventre, le pantalon tombé, il est à demi-nu. Peut-être est-il mort? Une troisième Andine, haute comme trois pommes, se place à son côté l’air démuni. Je m’approche du géant étalé au sol : “you are drunk or you are about to die?”. Des borborygmes, des signes de dénégation — il ne meurt pas. Mais rien n’y fait, l’Andine n’arrive pas à le faire partir. Elle est effrayée. Elle ne peut abandonner la partie, elle n’ose pas intervenir, il n’y a ni policier ni garde. L’homme gît au milieu du terminal. Les moniteurs affichent de nouvelles informations. Un retard supplémentaire est annoncé pour l’avion de Genève. Au bout d’une demi-heure, je constate que des passagers venus de l’esplanade extérieure demandent à l’Andine responsable des “arribades” à récupérer leurs valises. J’en fais la remarque au père et à son fils qui répondent “c’est impossible”. Ils n’ont pas tort, car on a jamais vu des passagers sans billets entrer dans la partie sécurisée d’un aéroport. Pourtant l’Andine se laisse persuader. Elle fait passer. Arrivent d’autres passagers. Eux aussi réclament leur bagage. L’Andine ne sait plus où donner de la tête. Elle regarde l’homme qui gît sur le dos, elle est assaillie par des passagers furieux. Survient Gala au bras d’un jeune Américain qui explique que les Genevois ont été poussés vers le terminal B alors que les valises étaient débarquées au terminal A. Distance entre les terminaux, un kilomètre. Sa valise récupérée, je pars chercher la camionnette. Aux caisses automatiques du parking, une hôtesse de l’air se précipite sur moi: “vous avez réussi à payer, vous?”. Je n’ai pas encore essayé. J’essaie. Refus de la machine. Qui s’éteint. Devant la barrière de sortie, je négocie. Un employé arrange l’affaire. Je cherche le terminal A. Le géant est couché en travers du quai de chargement des taxis. Le trottoir où m’attend Gala est en vue. La piste de sortie du parking n’y conduit pas. Elle me guide hors de la l’aéroport, me met sur l’autoroute de Valence.
Après
Terminé le manuscrit Femme assise. Qu’une simple image entrevue la nuit alors que le cœur menaçait de lâcher puisse motiver un texte est une chose, mais quand il s’agit comme ici d’une simple image, celle d’une inconnue qui s’assied sur le bord d’un lit et qui garde le silence et qui refuse de s’en aller, on peut douter de la possibilité de conduire le projet à son terme ne serait-ce qu’en raison de la pauvreté de la vision. Me voici donc comblé. Jamais je n’eus pensé trouver tant de plaisir à ce travail à l’aveugle, dirigeant sans peine les personnages dans la direction où les emmenait leur caractère, retrouvant chaque matin lorsque je m’installais au jardin le décor du quartier dont je m’inspire, celui de ma grand-mère dans la petite banlieue de Lausanne. Si content que le soir je suis allé boire un vin au bar d’Agrabuey. Jordi et Lema bavardaient au comptoir. En juin Jordi guidera un groupe de randonneurs madrilènes dans les montagnes du Pakistan, Lema cherche à réunir la somme pour le billet d’avion. Il y avait également la Grenadine, cette femme belle qui s’est rasée la demi-chevelure pour s’enlaidir. Discussion sympathique sur les voyages, Inde, Indonésie, Népal, dans mon cas, ces jours, la Colombie (LM joint au téléphone m’a convaincu de participer en tant que chroniqueur au tournage d’un documentaire sur une rivière inexplorée) et les Açores avec Gala (abandonné au vu des prix à rallonge des vols, voitures et appartements du côté de Porto et Ponte Delgada), projets que je leur partage et qui me vaut à l’unisson la réplique : “Tout le village est d’accord, tu es un riche!”.
Atteinte
Des forces secondaires, telluriques, faibles mais constantes, amènent à la situation convoitée pour autant que vous la convoitiez sincèrement et longuement, je m’en aperçois encore ces jours, considérant que depuis des années mon but est de disposer de mon temps et d’en disposer absolument; pour le dire ainsi: plus d’appels, plus de visites, peu de sorties, pas de pression administrative, pas de problème d’argent, pas d’heure de réveil ni d’heure de coucher, tout loisir de dialoguer avec soi-même et les livres et de vivre en écriture.