Mois : juin 2019

Rondes

Fête de deux jours dans Agrabuey. Same­di, prom­e­nades le long de la riv­ière et dans les sous-bois pour enten­dre chanter les oiseaux et cueil­lir des champignons; nous sommes au lit, der­rière le volet tiré. A midi, pre­mier café. Le temps de sor­tir dans notre rue quand reten­tit le son de la Ron­da qui joue des airs celtibères. Gala danse avec le paysan devant cent vil­la­geois, puis nous emboî­tons le pas, tournons autour de la place, faisons des haltes pour manger des beignets, du chori­zo et du fro­mage. Les hommes boivent du vin en lev­ant haut la carafe, une femme chante des airs d’Aragon. En début d’après-midi, la balade en musique se ter­mine par une danse col­lec­tive. Main dans la main, enfants jeunes et vieux tour­nent autour de l’orchestre. Nous allons tous au bar, cent, cent vingt per­son­nes, puis dans la salle com­mu­nale pour dîn­er d’une soupe à l’ag­neau. Après la sieste, la fête recom­mence. A deux heures du matin, nous sommes dehors. Les hip­pies gar­di­ens de chèvres, apicul­teurs, maçons, guides, pro­fesseurs de yoga font du rock (espag­nol). Gala qui a sor­ti sa zibeline se tient envelop­pée avec cette autre femme Suisse qui vit à l’é­cart du vil­lage, dans une val­lée rocailleuse, et tient un haras de chevaux. 

Maison

Prise, reprise, chaude, tor­ride, sur la table, au lit, puis paroles d’amour, apaise­ment des sens, rires, sourires, alcool. Vient la nuit. Soudain Gala adresse ses remon­trances : hier, je promet­tais d’a­cheter à une mai­son à Flo­rence, ce soir je sem­ble hésiter (je ne me sou­viens pas avoir promis, du moins dans ces ter­mes). La dis­cus­sion s’en­ven­ime.
“Et où veux tu que je ter­mine mes jours! J’en ai assez d’être trans­portée!“
J’en­tends et, mal­gré le ton, qui monte, monte encore, j’é­coute. A la fin, Gala attrape cet instru­ment qui mesure la pres­sion. Elle au max­i­mum.
“Il faut par­tir! Immé­di­ate­ment!”
- Où ça?
“Aux Urgences!”
-Quoi? Il y a deux mon­tagnes devant nous et je viens d’avaler cinq litres de bières!
“Tu veux vivre avec un légume? Tu veux que je fasse une crise car­diaque?“
A deux heures du matin, nous sommes dans une salle d’hôpi­tal. Infir­mières et doc­teurs s’oc­cu­pent de Gala. Ils piquent et mesurent. Une fois toutes les demi-heures, ils m’in­for­ment.
-Nous allons revenir. Ne vous inquiétez pas.
Cepen­dant, je me promène entre les pins, dans la nuit et le silence, l’œil dou­ble.
A cinq heures, l’hôpi­tal informe que le dan­ger est passé.

Rêve

Autour de la table ronde, amis et cama­rades de classe dis­cu­tent le pro­gramme. Séances de ciné­ma, con­certs, école, tout y passe. “Dois-je révis­er?” L’un des copains se dresse:
-Il n’y aura pas d’ex­a­m­en, sauf pour celui qui ne sait pas. Mais d’abord, qui es-tu pour ques­tion­ner ain­si? Serais-tu Jésus?
- Son patron!
Réponse qui provoque un tol­lé. On me jette dans un ascenseur. Puis j’as­siste à la pro­jec­tion d’un film. Dans le noir rôde l’ex­am­i­na­teur. Quand je lui échappe, me voici coincé dans un bus. Il trace des cer­cles, passe à prox­im­ité du bâti­ment où se trou­ve mon arrêt, repart. Je saute. Des incon­nus sont à ma pour­suite, mais je cours mieux et plus vite. Plutôt, je vole devant moi. Deux pas pour l’élan, une droite dans les airs. Hélas, le truc fait long feu. L’én­ergie faib­lit, mes jambes s’alour­dis­sent, je m’embourbe. Alors je vois que la ville, le pays, la planète entière sont inondés d’une eau sale que jonchent des détri­tus.
“J’ai bien fait de me réfugi­er à la cam­pagne il y a vingt ans”, me dis-je.
A la place du bâti­ment, un hôtel. A la récep­tion, des hommes en cra­vate. Le récep­tion­niste me fait annon­cer à mon père, lequel me présente son amant, un PDG Japon­ais. Habil­lé d’un cos­tume, il est couché en tra­vers d’un lit mat­ri­mo­ni­al.
“Jamais, me dis-je, je n’au­rai cru que mon père était homo­sex­uel!“
Autour de la table ronde avec mon ami C.W. que je n’ai pas vu (dans la vie réelle) depuis six ans.
-Et main­tenant, je demande, tu fais quoi?
-Je suis min­istre.
-Min­istre! Du sérieux!
-Oui, mais que le jeu­di, quand je dois organier le café à l’heure de la pause.
Sur ces entre­faites, je me réjouis de par­ler à l’a­mi retrou­vé, mais les occu­pants de la table, des vau­dois comme lui, l’ont recon­nu et l’as­sail­lent de ques­tions. Je demeure là, en silence, invis­i­ble pour ces vau­dois comme pour C.W.

Monstres

Le devenir mon­strueux des hommes et femmes mod­i­fiés par la plas­tique chirurgicale.

Lu ce jour

Sept musicien.nes réuni.es

Identité

Per­suadé qu’aux yeux des nou­veaux dic­ta­teurs de la mon­di­al­i­sa­tion, il n’y a pas de dif­férence d’i­den­tité entre un immi­gré et un robot.

Téléphone 2

Le voisin ban­quier d’A­grabuey, sep­tante qua­tre ans, à qui je demande sa ton­deuse, me coupe le gazon puis m’emmène chez lui où il me mon­tre l’an­ci­enne cen­trale de télé­phone du vil­lage, un par­avent à lucarnes muni d’un guichet der­rière lequel se tenait sa grand-mère. En 1961, il n’y avait que trois abon­nés dans la val­lée, les autres venaient ici pour pass­er les appels.

Pompes

Enter­re­ment de prince pour les hommes poli­tiques, sim­ples élus de la démoc­ra­tie, tel Rubal­ca­ba l’Es­pag­nol, le pau­vre, mort d’un ictus il y quelques semaines. Les par­tis coal­isés défi­lent, sig­nent les livre de con­doléances, vis­i­tent la chapelle ardente brusque­ment mon­tée au milieu de la Cham­bre des députés. Mais enfin, ce pau­vre homme qui meurt comme ma voi­sine, un incon­nu, tout le monde, n’est qu’un fonc­tion­naire, l’oc­cu­pant d’un poste! Son rôle sym­bol­ique est neu­tre. Il n’est ni le roi de Thaï­lande ni un dic­ta­teur de république bananière! Seule­ment un ouvri­er choisi par le peu­ple pour men­er à bien les tâch­es: de tels excès en démoc­ra­tie soulig­nent assez la crainte que ressent la classe poli­tique à l’idée de per­dre la direc­tion du spectacle.

Téléphone

L’échange des cartes SIM a eu rai­son de mon télé­phone. Je l’ai jeté, en ai pris un neuf: lorsque je l’al­lume à Lviv, trente con­tacts russ­es. Evola: “un appareil recy­clé”. Trop tard, j’ai effacé les lignes. Le soir, je rap­porte l’ob­jet. A la bou­tique, il redé­marre. Le numéro ukrainien fonc­tionne, mais je manque d’u­nités. En Slo­vaquie, je n’y pense plus. A Madrid, il m’est néces­saire: je dois pren­dre des bil­lets de train pour ren­tr­er à Saragosse et Agrabuey et la con­fir­ma­tion de paiement exige un ren­voi de code. Au bout de sept ten­ta­tives, la carte de crédit se bloque. Nous sor­tons boire. Gala com­mande un plateau de fri­t­ures. Il est servi avec un appareil qui dis­tribue de la bière pres­sion. Le matin, buf­fet à l’hô­tel avec des Japon­ais qui par­ticipent à un salon de la télé­phonie. Ils por­tent des éti­quettes autour du cou. Par le métro, en route pour le cen­tre de Madrid et la gare d’A­tocha. Des queues aux guichets. A la machine, j’ob­tiens deux bil­lets pour l’après-midi. Gala achète des chaus­sures d’été en daim sou­ple. A la sor­tie du mag­a­sin, un motard monte sur le trot­toir. Nous l’aidons à défaire le nœud de lacet qui l’at­tache à son levi­er de vitesse. “J’ai fail­li y pass­er!”, répète-t-il. A la tombée du jour, au départ de Saragosse, le bus par les mon­tagnes, puis le taxi brousse de Pedro. En chemin pour Agrabuey, il me racon­te dans les mêmes ter­mes et avec les mêmes phras­es qu’il y a un mois son futur séjour-paquet à Istam­boul, en août, pour micro-implan­ta­tion de cheveux.

Slovaquie-Espagne

Gare routière de Bratisla­va à 2h30. Tou­jours aimable, Evola m’ac­com­pa­gne. Il pro­pose de pren­dre un café. En pleine nuit, accès ver­rouil­lés. Il ren­tre dormir. D’un bus débar­que un nain. Le silence retombe. Autour des abris éclairés au néon, le chantier de la nou­velle ville, des tours de bureaux qui lorgnent sur le Danube. Un demi-heure plus tard, le bus de la Slo­vak­lines est au com­plet. Je rou­vre les yeux. Nous roulons à haute vitesse entre deux palis­sades gris­es: une vision de jeu élec­tron­ique. Aux douanes de l’aéro­port de Vienne, un per­son­nel au ralen­ti et deux routards Fin­landais. A huit heures, l’avion sur­v­ole Madrid. Le nez con­tre le hublot, je repère la passerelle pié­tonne qui mène au vil­lage de Bara­jas. La trou­ver au sol est plus com­pliqué. Il faut enjam­ber des glis­sières d’au­toroute, tra­vers­er des entre­pôts, longer des park­ings. Elle est à l’usage des ouvri­ers de l’aéro­port. J’aboutis sur la Plaza may­or, com­mande du pain à la tomate et un café noir, puis vais dans un parc, choi­sis un banc, m’en­dors. En début d’après-midi, enreg­istrement à l’hô­tel de Alame­da de Osuna, puis départ en navette pour le Ter­mi­nal 4 où doit arriv­er Gala (trou­vant Jésus au volant, je me sou­viens que je lui avais promis une boîte de choco­lats lors de mon dernier passage).