Mois : août 2018

H‑F

Le car­ac­tère de l’homme est pour le femme absol­u­ment incom­préhen­si­ble; et inver­sé­ment. Sans cette néces­saire ten­sion, pas de vie.

Langue

Les ter­mes valent ce que valent leurs déf­i­ni­tions. Mul­ti­ples, mais référencées. Références muables, donc suc­ces­sive et ouvertes — his­toriques. Or, entre la langue com­mune, chevil­lée au réel, dont la com­préhen­sion tient au partage, au bon sens, et la langue tech­nique, celle de la sci­ence ou encore de la philoso­phie, sous-divisée en lex­iques fonc­tion­nels, orig­ine de nos théories, il y a une langue inter­mé­di­aire, une langue de pas­sage, aux con­tours flous, à la voca­tion évi­dente : le ser­vice de la politique. 

Technique

Dans le lan­gage de la philoso­phie de la tech­nique, un sty­lo comme un camion sont des prothèses.

Fête

Que c’est amu­sant ces vil­la­geois ser­rés dans des maisons de pierre au fond d’une val­lée de mon­tagne, qui vont à l’eau, aux champs, à l’u­sine, au bois ou à la chas­se aux rumeurs et au milieu de l’an­née, l’été venu, se réu­nis­sent pour la fête, dans leur bar, à trois cent mètres de la mai­son la plus éloignée, puis dans leur salle de bal, toute la nuit, ensem­ble son­nent les coches au petit matin, se débar­bouil­lent, ressor­tent, baladent les enfants, har­nachent les chevaux, font une parade, accourent à la messe, ou pour d’autres vont marcher, pique-niquer, pêch­er, puis se remet­tent à boire, à danser et infin­i­ment dis­cu­tent, étouf­fant sous les rires les ran­coeurs dont on devine qu’elle revien­dront assez tôt après la fête. Par exem­ple, ce paysan, encore jeune, bien plus que moi, ce paysan dont le meilleur ami doit être un tracteur qui me lorgnait depuis plusieurs min­utes, depuis le comp­toir du bar, et soudain s’ap­proche, me tend un pétard. Je déteste fumer ce genre de truc. Porté par la sym­pa­thie du geste, j’ai fait un effort.

Orly

Des Africains musi­ciens, leurs petites troupes en rang de bataille, se sont, con­for­mé­ment à leur car­ac­tère qui est tout entier désor­dre, tapés dessus dans l’un des ter­minaux de l’aéro­port d’Or­ly. Ces Africains usent de leurs défauts comme ils peu­vent dans une société qu’ils ne com­pren­nent pas. Jeter la pierre à des imbé­ciles, chose aisée: ce ne sont que des imbé­ciles. Le prob­lème est que si je puis opin­er sur ce fait divers c’est que la presse en a fait état, avec men­tion spé­ciale, c’est à dire en pre­mière page des meilleurs quo­ti­di­ens marchands. C’est dire l’a­vance­ment du tra­vail de sape que coor­donne le pou­voir. Sen­ti­ment tout à l’heure con­fir­mé; comme j’al­lais faire des pro­vi­sions pour la semaine au super­marché voisin, je tombe sur des Français venus à tra­vers la fron­tière pour économiser, qui sur l’essence à la pompe qui sur la viande ou l’huile d’o­live. Prendrait-on les esprits les plus éclairés de cha­cune des grandes villes de leur pays (ceci dit sans ironie, car je tiens que la France compte par­mi les gens les plus bril­lants au monde) et les align­erait-on afin de for­mer une haie, on ne pour­rait cacher la mis­ère du peu­ple: en gue­nilles, à demi-pro­pre, près de l’id­i­otie con­géni­tale, s’ex­p­ri­mant en sabir et cir­cu­lant à bord de voitures dont un Romanichel aurait honte.

Essai sur le posthumanisme 2

Ent­hou­si­asme à l’idée d’avoir filé sans encom­bres entre les pre­miers écueils et de sen­tir le courant. Pré­cisons que les con­di­tions atmo­sphériques n’ont pas été lais­sées au hasard: horaire véri­fié à l’hor­loge, j’écris qua­tre heures dans le silence le plus com­plet, lisant avant et après — pour véri­fi­er ou étay­er — mangeant avant et après — pour n’y plus penser, et bien enten­du, ne voy­ant per­son­ne de tout le jour.

Essai sur le posthumanisme

Inca­pable de pren­dre une note ces derniers jours, inquiété par le démar­rage de l’es­sai, igno­rant j’imag­ine — main­tenant que les pre­mière pages sont écrites — si je pour­rai démar­rer au milieu de toutes ces lec­tures, ces plans, ces remar­ques, ces raison­nements anticipés, ou si je m’embourberai. Et pareille­ment la nuit: couché à la onz­ième heure, ne trou­vant le som­meil qu’à l’aube, puis débar­quant nauséeux dans le salon sous le coup des midi quand le soleil tape pour m’asseoir à la table de tra­vail, entre les deux ordi­na­teurs, les yeux (inutile­ment) fixés sur ce tableau blanc que j’ai rem­pli d’écri­t­ures et dont la fonc­tion est de me servir de guide-âne.

Crustacés 2

Quoiqu’il y eut cette fois peu de crus­tacés, et si j’es­saie de recom­pos­er la table, mise en ter­rasse, à l’abri de l’église, sous un arbre à l’é­pais feuil­lage, même aucun, mais un riz noir, des pâtés, trois gâteaux, un bol d’o­lives et une salade, deux tor­tillas enfin, dont l’une mienne, déclarée étrangère, et qu’il faudrait goûter avec le plus grand soin avant de lui attribuer une note, déclara Bégo­nia, ce que per­son­nelle­ment j’au­rais voulu faire aus­sitôt, impa­tient de manger tan­dis que les autres, qui pour­tant avaient annon­cé le repas pour vingt heures, pro­po­saient main­tenant, à 23h20, que l’on attende Eve et Djord­je pour com­mencer. A la fin, ceux-ci arrivèrent et la musique venue de la salle com­mu­nale, sur la place, où se tenait le bal, réson­nait depuis deux bonnes heures quand Luis sug­géra de rejoin­dre la fête. Peu après, au milieu des voisins, tous vis­ages con­nus, un bin­go était joué pour une pat­te de jam­bon puis la musique relancée par un orchestre antédilu­vien dont le chanteur mon­trait le physique d’un lut­teur appen­zel­lois ou d’un leveur de pier­res. Il chan­tait à l’a­vant-scène, d’une voix aiguë, micro-boule en main, des tubes espag­nols, arag­o­nais ou peut-être agrabueyens que les Agrabueyens repre­naient en chœur, tout sourire ce qui, à mesure que j’é­clu­sais les bières, me sem­blait plus comique, de même que me ravis­saient les deux acolytes du groupe, sortes de perch­es dressées der­rière des triples claviers, une femme à demi-androg­y­ne à gauche, un sud-améri­cain ado­les­cent à droite. Et cepen­dant, nous allions et venions, du bar à la place et de la place à la salle, cha­cun appor­tant sa tournée, de sorte qu’à qua­tre heures du matin nous étions tou­jours là, à écouter la musique et regarder les enfants s’épuis­er à des jeux d’eau dans la nuit et par une chaleur de trente degrés qui sem­blait ne jamais devoir retomber.

Illusion

Société autre — sans peine je me fonds dans le décor car je crois que c’est un décor, en cela vic­time de l’er­reur clas­sique de la méta­physique, l’il­lu­sion qu’il y a quelque chose derrière.

Crustacés

Treize à table dans l’an­ci­enne école. Toutes les demi-heures, la cloche sonne. Un bruit de casse­role se réper­cute dans le vil­lage. Mon voisin est avo­cat. Son fils est avo­cat. Le petit-fils par­le anglais, il a son jumeau. Les enfants sor­tent, c’est l’heure de pavan­er la rue prin­ci­pale, la fête d’A­grabuey com­mence demain, à midi, par une messe dans l’église du Saint-Graal. 
-Nous sommes treize, remar­que mon voisin.
-Ça ira!
Vien­nent les crevettes, puis les palour­des, les cigales, les lan­goustines et la tête de tru­ite, et le vin, blanc, rouge, du Somon­tano. Paco que je croy­ais his­to­rien, qui est écrivain, qui était avo­cat, me par­le anglais et français. De la Chine, il dit “j’y suis allé 62 fois” et racon­te com­ment il a bu ce vin extra­or­di­naire avec des Serbes de Bosnie, à Mostar (je lui racon­tais mon pro­jet de livre sur l’est), une bouteille du Mon­téné­gro, avant que ses hôtes ne con­clu­ent “l’im­por­tant dans la vie, c’est de boire, de manger et de bais­er! Paco ajoute: ils aiment surtout la guerre. Cepen­dant, à l’autre bout de la table, où se tient le cou­ple de pein­tres, une gui­tare est apparue. La moitié de la table se met à chanter en latin. Plus près de moi, com­mence une dis­cus­sion poli­tique : la Cat­a­logne. Aus­sitôt, nous sommes en pleine guerre civile (il faut dire que les com­men­saux ont l’âge de qui a vécu les événe­ments, ou presque) au milieu des troupes étrangères, avec Fran­co, devant Tolède pen­dant le siège, suiv­ent les rois d’Aragon, toute la généalo­gie et les com­men­taires sur le dra­peau de la Sar­daigne, avec son mau­re aux yeux bandés, le même qui fig­ure sur l’é­cus­son roy­al d’Aragon mais ici, me fait observ­er Juan, les yeux débandés. Sur la sit­u­a­tion en Cat­a­logne, on demande mon avis. Le mieux est de ne pas le don­ner. Aux Espag­nols les affaires de l’Es­pagne. Tout juste fais-je remar­quer que ces indépen­dan­tistes ont la vue si courte qu’ils défend­ent la mon­di­al­i­sa­tion et Brux­elles con­tre Madrid, c’est à dire, stu­pide­ment, leur future diges­tion dans le brou­et uni­ver­sal­iste. Enfin, je m’ex­cuse pour nos imbé­ciles de Genève qui ont con­vié le clown Puigde­mont à venir pleur­nich­er en ville. Mais voilà les moules. Et d’autres bouteilles de blanc. Là-bas, de nou­veaux chants s’élèvent. A trois voix cette fois, avec pour Bary­ton José, que je croy­ais cuisinier, qui est pein­tre, qui était avo­cat. Quant à Paco, ce voisin qui m’a pris sous sa pro­tec­tion, entre écrivains, comme il dit, l’an dernier, en juil­let, il m’a offert un livre épais. Rem­pli d’ad­mi­ra­tion, l’un de ses petits-fils jumeaux m’a souf­flé à l’or­eille, “c’est le livre de grand-papa qui s’est le mieux ven­du…”: une His­toire des bor­dels roy­aux — pré­cisons, illus­trée. Dans l’im­mé­di­at, il tra­vaille sur (je traduis sa for­mule, “tra­ba­jo sobre..”) un incendie qui a eut lieu à Saragosse deux ans après la mort de Fran­co. 72 cadets de l’ar­mée, logés dans le même hôtel, la veille de leur récep­tion, ont péri dans un incendie.
-Ain­si que la veuve du dic­ta­teur. La presse a aus­sitôt démen­ti: ce n’é­tait pas un atten­tat. Mais j’ai retrou­vé les par­ents des vic­times, tous ont été dédom­magés au titre de vic­times du terrorisme…
Et main­tenant, nous sor­tons devant le bar, réu­nis­sons des chais­es, nous ne sommes plus treize, mais quinze et dix-sept entre l’an­ci­enne école, la piste de fron­ton et une mai­son en ruine, à boire du whisky, du rhum et de la bière. Un ado­les­cent passe, on l’ap­pelle, il prend la gui­tare et chante. Les deux pein­tres par­tent pré­par­er leurs valis­es (ils ont “des papiers à faire rem­plir demain à Saragosse) et revi­en­nent; plus tard, dans la nuit — voilà onze heures que nous buvons — la dame qui chan­tait, la dame qui est à l’ini­tia­tive de ce repas de crus­tacés, qui a lu easy­Jet hier et à qui je viens de remet­tre ma biogra­phie de Susan Boyle, joviale, cul­tivée, mais que je con­nais à peine, me dit: j’ai reçu un mes­sage de Gala. 
-Ah, et que disait-elle?
Elle hausse les épaules. 
-Je ne sais pas. J’imag­ine qu’elle voulait que je te le dise.