Le caractère de l’homme est pour le femme absolument incompréhensible; et inversément. Sans cette nécessaire tension, pas de vie.
Mois : août 2018
Langue
Fête
Que c’est amusant ces villageois serrés dans des maisons de pierre au fond d’une vallée de montagne, qui vont à l’eau, aux champs, à l’usine, au bois ou à la chasse aux rumeurs et au milieu de l’année, l’été venu, se réunissent pour la fête, dans leur bar, à trois cent mètres de la maison la plus éloignée, puis dans leur salle de bal, toute la nuit, ensemble sonnent les coches au petit matin, se débarbouillent, ressortent, baladent les enfants, harnachent les chevaux, font une parade, accourent à la messe, ou pour d’autres vont marcher, pique-niquer, pêcher, puis se remettent à boire, à danser et infiniment discutent, étouffant sous les rires les rancoeurs dont on devine qu’elle reviendront assez tôt après la fête. Par exemple, ce paysan, encore jeune, bien plus que moi, ce paysan dont le meilleur ami doit être un tracteur qui me lorgnait depuis plusieurs minutes, depuis le comptoir du bar, et soudain s’approche, me tend un pétard. Je déteste fumer ce genre de truc. Porté par la sympathie du geste, j’ai fait un effort.
Orly
Des Africains musiciens, leurs petites troupes en rang de bataille, se sont, conformément à leur caractère qui est tout entier désordre, tapés dessus dans l’un des terminaux de l’aéroport d’Orly. Ces Africains usent de leurs défauts comme ils peuvent dans une société qu’ils ne comprennent pas. Jeter la pierre à des imbéciles, chose aisée: ce ne sont que des imbéciles. Le problème est que si je puis opiner sur ce fait divers c’est que la presse en a fait état, avec mention spéciale, c’est à dire en première page des meilleurs quotidiens marchands. C’est dire l’avancement du travail de sape que coordonne le pouvoir. Sentiment tout à l’heure confirmé; comme j’allais faire des provisions pour la semaine au supermarché voisin, je tombe sur des Français venus à travers la frontière pour économiser, qui sur l’essence à la pompe qui sur la viande ou l’huile d’olive. Prendrait-on les esprits les plus éclairés de chacune des grandes villes de leur pays (ceci dit sans ironie, car je tiens que la France compte parmi les gens les plus brillants au monde) et les alignerait-on afin de former une haie, on ne pourrait cacher la misère du peuple: en guenilles, à demi-propre, près de l’idiotie congénitale, s’exprimant en sabir et circulant à bord de voitures dont un Romanichel aurait honte.
Essai sur le posthumanisme 2
Enthousiasme à l’idée d’avoir filé sans encombres entre les premiers écueils et de sentir le courant. Précisons que les conditions atmosphériques n’ont pas été laissées au hasard: horaire vérifié à l’horloge, j’écris quatre heures dans le silence le plus complet, lisant avant et après — pour vérifier ou étayer — mangeant avant et après — pour n’y plus penser, et bien entendu, ne voyant personne de tout le jour.
Essai sur le posthumanisme
Incapable de prendre une note ces derniers jours, inquiété par le démarrage de l’essai, ignorant j’imagine — maintenant que les première pages sont écrites — si je pourrai démarrer au milieu de toutes ces lectures, ces plans, ces remarques, ces raisonnements anticipés, ou si je m’embourberai. Et pareillement la nuit: couché à la onzième heure, ne trouvant le sommeil qu’à l’aube, puis débarquant nauséeux dans le salon sous le coup des midi quand le soleil tape pour m’asseoir à la table de travail, entre les deux ordinateurs, les yeux (inutilement) fixés sur ce tableau blanc que j’ai rempli d’écritures et dont la fonction est de me servir de guide-âne.
Crustacés 2
Quoiqu’il y eut cette fois peu de crustacés, et si j’essaie de recomposer la table, mise en terrasse, à l’abri de l’église, sous un arbre à l’épais feuillage, même aucun, mais un riz noir, des pâtés, trois gâteaux, un bol d’olives et une salade, deux tortillas enfin, dont l’une mienne, déclarée étrangère, et qu’il faudrait goûter avec le plus grand soin avant de lui attribuer une note, déclara Bégonia, ce que personnellement j’aurais voulu faire aussitôt, impatient de manger tandis que les autres, qui pourtant avaient annoncé le repas pour vingt heures, proposaient maintenant, à 23h20, que l’on attende Eve et Djordje pour commencer. A la fin, ceux-ci arrivèrent et la musique venue de la salle communale, sur la place, où se tenait le bal, résonnait depuis deux bonnes heures quand Luis suggéra de rejoindre la fête. Peu après, au milieu des voisins, tous visages connus, un bingo était joué pour une patte de jambon puis la musique relancée par un orchestre antédiluvien dont le chanteur montrait le physique d’un lutteur appenzellois ou d’un leveur de pierres. Il chantait à l’avant-scène, d’une voix aiguë, micro-boule en main, des tubes espagnols, aragonais ou peut-être agrabueyens que les Agrabueyens reprenaient en chœur, tout sourire ce qui, à mesure que j’éclusais les bières, me semblait plus comique, de même que me ravissaient les deux acolytes du groupe, sortes de perches dressées derrière des triples claviers, une femme à demi-androgyne à gauche, un sud-américain adolescent à droite. Et cependant, nous allions et venions, du bar à la place et de la place à la salle, chacun apportant sa tournée, de sorte qu’à quatre heures du matin nous étions toujours là, à écouter la musique et regarder les enfants s’épuiser à des jeux d’eau dans la nuit et par une chaleur de trente degrés qui semblait ne jamais devoir retomber.