Mois : juillet 2018

Dormir

Dormir. Je ne cesse de dormir. Quelle excel­lente chose que le som­meil, et plus encore le jour, quand dormir il ne faudrait pas; mais que vaut ce “fal­loir” ? Levé en fin de mat­inée, vite recouché, relevé quand il me plaît de me relever et me couchant dès que la nuit se présente avec dans l’idée de dormir longtemps et amoureuse­ment. Ces jours, le silence au vil­lage est si pro­fond, qu’hi­er j’ai sur­sauté: ce bruit impor­tant qui me réveil­lait, c’é­tait une feuille morte poussée par le vent con­tre ma fenêtre.

Loi-Europe

Deux mots qui me héris­sent, et je ne fais pas métaphore, ils m’ont gâché une par­tie de mes heures, deux mots hon­nis sauf quand le pre­mier est util­isé par un Alain Supi­ot, le sec­ond par un Bernard Stiegler, “loi” et “Europe” — c’est dire quand une idiote, pas n’im­porte laque­lle, autorisée, légale, représen­tante, s’avise de les con­juguer!
Midi. Pour me ren­dre la mairie, je sors de mon poulailler (un vieil­lard apparu der­rière un tronc m’a expliqué lun­di qu’autre­fois ma mai­son avait cet usage), je tra­verse le silence, dépasse la fontaine, gagne la place, et là, je con­state que le dou­ble camion de l’épici­er qui donne du Klax­on pour ameuter à 11heures est tou­jours sta­tion­né, lui que je croy­ais repar­ti sur sa tournée des hameaux — je l’ai dit, il est midi — de sorte que je fais mes achats, cœurs de bœuf, chou fleuri, asperges et œufs de la ferme, mais tombé au milieu d’une assem­blée plus nom­breuse qu’il n’y paraît de ménagères et de voisins, nous par­lons, j’at­tends, nous par­lons encore, j’at­tends tou­jours, jusqu’au moment ou Pilar accourant me dit que ma cui­sine brûle. Je me pré­cip­ite et en effet, ma faba­da cal­cine; j’ar­rose, reviens au dou­ble-camion, ras­sure la pop­u­la­tion et quand enfin -ici encore ce n’est pas lit­téra­ture (si l’é­conomie suisse allait à ce rythme, nous auri­ons le niveau de vie de Diyarbakir)- lorsqu’en­fin dis­ais-je, je puis m’é­vad­er avec mon panier de légumes, j’en­tre dans la mairie, ouverte le mer­cre­di, entre dans le bureau où siège la secré­taire du maire, fig­ure de tous les vil­lages autant qu’ils sont de par le monde, à qui, la secré­taire, je dis :
-Pour­riez-vous me don­ner le nom d’une pro­prié­taire de mai­son?
-Non.
-…par­don?
-C’est stricte­ment inter­dit.
A ce stade, réchauf­fé par la bonne dis­cus­sion entre voisins, les aimables légumes et le soleil d’Aragón, je crois que la dame, secré­taire et gar­di­enne et admin­is­tra­trice, bref cette pécore, plaisante.
-Vous com­prenez, c’est la mai­son d’à côté, celle qui est abandonnée…commencé-je sur le ton diplo­mate, mielleux qu’im­man­quable­ment sus­ci­tent ces parangons du for­mal­isme que sont les secré­taires de mairie. Oui, ces gens sont mes voisins, et comme je n’ai vu per­son­ne depuis trois ans…
-La loi européenne inter­dit de com­mu­ni­quer les noms des pro­prié­taires!
Racon­tant cela, la rage à nou­veau monte. 
“Loi”, “Europe”! Alors que nous par­lons de “la mai­son voi­sine”, de “si ça brûle”, de “et moi, je fais com­ment?”. Comme dis­ait l’autre- pas mon ami, bien sûr, mais cepen­dant- “quand j’en­tend le mot… je sors mon pistolet!”.

Bras

Le bras sec­oué d’on­des, la main gon­flée comme un pneu, par moments l’é­paule prise de douleurs et cela en dépit de cap­sules anti-inflam­ma­toires et de pom­mades chauf­fantes. Je n’ai plus le choix, il me faut, après avoir quinze jours de suite retardé, descen­dre à la ville présen­ter ce bras à un médecin. Je ne saurais dire à quel point cette présen­ta­tion que j’imag­ine débu­tant par un for­mu­laire, se pour­suiv­ant par une attente en salle, puis une expo­si­tion des motifs et une soumis­sion à des machines, m’en­nuie, m’en­nuie et m’ennuie.

Perros

Il y a vingt ans m’avait ent­hou­si­as­mé l’échange épis­to­laire entre Georges Per­ros et Brice Par­rain, pub­lié je crois par la NRF, au point de chercher son équiv­a­lent — fraîcheur de ton, dés­in­vol­ture, per­spi­cac­ité — dans l’oeu­vre des deux écrivains; or, hier je relis les Papiers col­lés de Per­ros et n’y trou­ve que des phras­es d’un buveur de comp­toir au souf­fle court.

Montherlant

Proche du car­ac­tère qu’in­car­nait, par sa per­son­ne et dans son œuvre, Hen­ry de Mon­ther­lant, non pas, bien enten­du quant à l’am­biva­lence sex­uelle, mais quant à la con­ju­gai­son impos­si­ble et revendiquée du pes­simisme et de la soif de per­fec­tion . Pré­ci­sions, per­fec­tion morale “sans valeurs” ni sys­tème pra­tique, qu’il soit adossé à une reli­gion ou à une philoso­phie. Ce que j’ai cou­tume d’ap­pel­er le volon­tarisme et qui ressort à une sorte de diges­tion incon­sciente de la théorie de la grâce protes­tante: savoir que l’on est  peu, que l’on est à peine, que le néant précède et suit, que règne l’ar­bi­traire (pour moi plus physique que théologique il va de soi) et tenir héroïque­ment son rôle d’homme des­tiné à la mort (comme dis­ait Sartre, lui aus­si, à bien des égards proche une fois ôté le mil­i­tan­tisme révo­lu­tion­naire et les engage­ments pré­cip­ités). “Il faut, écrivait Mon­ther­lant, n’être de rien, n’être à rien, n’être rien.”

Hésitation

Hésiter, dans la vie? Surtout pas. Car si on apprend peu de ses doutes, on apprend beau­coup de ses erreurs.

Décantation

Si nous autres Suiss­es espérons vivre demain aus­si bien ou, si l’on préfère, aus­si mal qu’au­jour­d’hui, le réquisit pre­mier est d’ad­met­tre qu’il n’y a pas de démoc­ra­tie dans notre pays, encore moins en Europe.

Vladimir

Ces jours, me saisit à nou­veau une forte émo­tion en pen­sant au courage d’un Vladimir Boukovs­ki. Des textes com­plets de sa con­fes­sion de pris­on­nier pub­liée à l’époque sous le titre “Une nou­velle mal­adie men­tale en U.R.S.S., l’op­po­si­tion” me revi­en­nent en mémoire. Voilà l’homme qu’il faut inviter dans les écoles.

Etudier

Pro­fesseurs, tenus aux règles de la charge, for­cés de trans­met­tre en tant que pièce majeur de l’é­cole-out­il la pen­sée cri­tique sur la foi de textes lit­téraires imposés par une hiérar­chie idéo­logue — si cette com­pro­mis­sion ne me sem­blait mépris­able, je les plaindrais. Me revient en mémoire cette dis­cus­sion qui eut lieu sur les march­es du Col­lège du Belvédère de Lau­sanne, l’an­née de mes quinze ans, comme nous atten­dions, élèves et pro­fesseurs, l’heure de ren­tr­er en cours. Le maître de classe demandait à la ronde ce que cha­cun ferait l’an­née suiv­ante la dernière année du cur­sus oblig­a­toire venant bien­tôt à son terme. Appren­tis­sage, école pro­fes­sion­nelle, cha­cun fit réponse. Il se tour­na vers moi.
-Quit­ter le plus vite l’é­cole afin d’é­tudi­er, lui dis-je.

Mousse

Gala ne marche plus. Même dix mètres. J’ex­agère. Cinquante, cent, pour peu que j’in­siste le dou­ble, mais alors cela hypothèque sur deux ou trois jours tout autre déplace­ment, aus­si allons-nous en voiture, d’im­meu­ble en immeu­ble, d’une rue à l’autre, ce qui revient à intro­duire sa vie dans le labyrinthe des lois, règles, traces, signes, cet alpha­bet d’in­ter­dits absur­des que le pié­ton peut, moyen­nant d’avoir cul­tiv­er son art, trans­gress­er, mais que faire, l’al­ter­na­tive n’é­tant pas de l’or­dre des pos­si­bles, et puis c’est elle qui con­duit, c’est sa voiture, c’est ain­si, de sorte que l’Hol­i­day Inn quit­té, nous lon­geons le pâté d’im­meubles pour se gar­er de l’autre côté de l’av­enue et pénétr­er dans une brasserie aux salles voûtées et pla­fonds peints où Gala demande à la serveuse en cos­tume bavarois une bière “wenn es möglich is mit wenigem Schaum”, ce qui revient à deman­der une fon­due sans fromage.