Librairie

Cela a com­mencé il y a six mois. La librairie se trou­ve dans la ville moyenne de Lau­sanne, entre la cathé­drale et la gare; tout en sachant que je rêve, je me sou­viens qu’il existe dans l’an­gle d’une rue pavée une librairie d’an­cien. Les éta­lages de livres sur table vis­i­bles à tra­vers la vit­rine ne sont que décep­tion et ne méri­tent pas que l’on s’y attarde, surtout des “paper backs” améri­cains, cette igno­minie. Mais un escalier en col­i­maçon mène à un sous-sol qui con­tient de vrais livres de lit­téra­ture et une grande quan­tité d’es­sais. Tout en m’a­chem­i­nant par la ville, ce sont ces livres dans le souter­rain que je me représente. Or, arrivé dans la rue pavée, je con­state que la librairie a démé­nagé ou qu’elle n’ex­iste plus. Le rêve déroule ses scènes dans cet ordre, sans grandes vari­a­tions, plusieurs mois de suite. Au début de l’hiv­er, il évolue: je me représente la librairie et ses promess­es, mais je sais qu’elle n’ex­iste plus et le rêve prend alors une autre direc­tion. Hier (dans le rêve), je me trou­vais dans le quarti­er de la librairie. Com­ment je le savais? Impos­si­ble à dire puisque je me trou­vais à bord d’une ascenseur, occupé à remon­ter d’un park­ing en pro­fondeur. L’as­censeur s’ar­rête, la porte coulisse. Ce n’est pas mon étage mais se tient devant moi, au fond d’un couloir, un ado­les­cent qui règle son télé­phone. Je lui fais signe: “tu montes?”. En même temps, je pense: je devrais me méfi­er. Il a un coquard sous l’oeil droite, une sorte de tumes­cence provo­quée par un coup et j’ob­serve: “nor­mal qu’il se méfie”. D’ailleurs il répond: “non, je ne monte pas”. L’as­censeur repart et cette fois quand la porte s’ou­vre je suis au niveau du souter­rain où se trou­ve la sec­tion de la librairie réservée à la lit­téra­ture. Un fille me dit: “je suis pote de la charia”. A quoi je réponds: “je vais voir les livres”. Elle cor­rige, “vous n’avez pas com­pris, je suis pote de cha­naria!”. Ah, me dis-je, voilà qui vaut mieux! J’en­tre dans la librairie songeant : prof­ite de ce que tu l’as trou­vée pour regarder tout ce qui t’in­téresse, la prochaine fois elle ne sera peut-être pas là.

Surréalisme 2

Affligeante poésie d’An­dré Bre­ton. Il n’y a que l’hyp­nose ou Soupault pour le sauver un peu de son intel­lec­tu­al­isme stérile.

Surréalisme

Avec le recul appa­raît (en fil­igrane, pour celui qui enquête dans les biogra­phies et dans les textes) le sché­ma de coop­ta­tion, les copinages, et la ter­reur et les pres­sions (Bre­ton d’une part, Aragon de l’autre) au sein de ce mou­ve­ment “intéressé” : ne reste que quelques grands, sou­vent les moins con­nus, qui expri­ment du génie dans leur œuvre et du tal­ent dans la vie, Max Jacob, Tris­tan Tzara ou encore Max Ernst. 

Je n’aime pas (Leiris)

Un type qui nous aurait épargné ses jérémi­ades moyen­nant quelques ren­dez-vous chez la psychanalyste.

J’aime (Leiris)

“L’an­nonce d’une représen­ta­tion à laque­lle on me mèn­erait me jetait dans la fièvre; d’a­vance je sup­putais tout ce qui se passerait; j’ap­pre­nais par cœur le nom des chanteurs; je ne dor­mais pas la nuit d’a­vant, je bouil­lais d’im­pa­tience pen­dant toute la journée, mais peu à peu, à mesure que l’heure approchait, je sen­tais une pointe d’amer­tume se mêler à ma joie et, sitôt le rideau levé, une grande par­tie de mon plaisir tombait, car je prévoy­ais que dans peu de temps la pièce serait ter­minée et la con­sid­érais en somme comme virtuelle­ment finie du fait qu’elle avait com­mencé. Il en est de même aujour­d’hui pour toute mes joies car je pense aus­sitôt à la mort []” “L’âge d’homme”, Michel Leiris.

Patrimoine

Con­sti­tu­ants de la mémoire immatérielle du monde, le silence et la soli­tude; et ses sché­mas délétères, le bavardage et le divertissement. 

Ecriture

Acheté 102 litres de bière puis passé 80 heures à recopi­er Diplodocus. Jamais je n’au­rai pen­sé que ce fut aus­si long. Le roman tenait dans deux cahiers de petit for­mat. Il est vrai que je ne savais pas taper sur un clavier et qu’au­jour­d’hui je ne sais plus. Avan­tage d’avoir atten­du pour ce tra­vail de mise au pro­pre, j’avais oublié l’his­toire du per­son­nage. Je l’ai redé­cou­verte en lecteur. Con­tent du résul­tat mais c’est un roman écrit par un fou. A côté de cela, peu de répons­es des édi­teurs suite à l’en­voi de l’es­sai Gou­ver­nance et Gam­ing — Pren­dre le con­trôle du réel. Her­mann de Paris félicite pour la “rigueur de l’analyse philosophique”. Bon point. 

Route

De pas­sage à Lau­sanne (une demi-heure). Gala me donne ren­dez-vous devant la Boulan­gerie du deux­ième jour (con­cept: acheter moins cher le pain d’hi­er). A l’heure dit, j’y suis, elle n’y est pas. Il pleut. L’Arabe du Petit-chêne vient de me chang­er l’ar­gent que j’emporterai en Espagne. Mes poches sont pleines. Où est Gala? Au Palace. Par­tie arrière, café, salon, elle grig­note des petits crois­sants servi sur plateau d’ar­gent par la nou­velle pop­u­la­tion noire, jaune, rouge et du monde entier. Mes fess­es dans le canapé cinq min­utes (de trop) avant de repren­dre la route. Halte en France voi­sine, au trou de Gail­lard, pour rem­plir le réser­voir d’essence chez Inter­marché, puis mise en route, neuf heures de con­duite. Le soir je suis à Port-Laura­gais, près de Toulouse, le van rangé sur l’aire de repos par­mi les camions litu­aniens, roumains, espag­nols, et je mange à bord, et je dors devant le canal aux pénich­es de location. 

Schiffenen

Une semaine sur le park­ing, place E4, grâce à une aimable voi­sine qui a dégagé sa voiture, sorte de dé à coudre élec­trique, pour que je puisse y installer le van. Brouil­lard, nuit, douche glacée. Le soir du deux­ième jour (la journée je tra­vaille à Fri­bourg à la fab­rique du cube), je sors un cahi­er et prends mes notes. Ce camp­ing pour 250 rési­dents âgés, en sur­plomb du lac de bar­rage, avec ses étranges vis­i­teurs emmi­tou­flés qui tapent des balles de golf les pieds dans la neige, cela se racon­te. Pro­jet de réc­it: Schif­f­e­nen abyssal. 

Saint-Augustin

Nuit sur le park­ing de la vieille-ville de Fri­bourg. Croy­ant à tort que le chauffage indépen­dant ne fonc­tionne que lorsque le van est branché sur secteur, je dors dans le froid. Tem­péra­ture à bord au milieu de la nuit, ‑5 degrés.