Loi-Europe

Deux mots qui me héris­sent, et je ne fais pas métaphore, ils m’ont gâché une par­tie de mes heures, deux mots hon­nis sauf quand le pre­mier est util­isé par un Alain Supi­ot, le sec­ond par un Bernard Stiegler, “loi” et “Europe” — c’est dire quand une idiote, pas n’im­porte laque­lle, autorisée, légale, représen­tante, s’avise de les con­juguer!
Midi. Pour me ren­dre la mairie, je sors de mon poulailler (un vieil­lard apparu der­rière un tronc m’a expliqué lun­di qu’autre­fois ma mai­son avait cet usage), je tra­verse le silence, dépasse la fontaine, gagne la place, et là, je con­state que le dou­ble camion de l’épici­er qui donne du Klax­on pour ameuter à 11heures est tou­jours sta­tion­né, lui que je croy­ais repar­ti sur sa tournée des hameaux — je l’ai dit, il est midi — de sorte que je fais mes achats, cœurs de bœuf, chou fleuri, asperges et œufs de la ferme, mais tombé au milieu d’une assem­blée plus nom­breuse qu’il n’y paraît de ménagères et de voisins, nous par­lons, j’at­tends, nous par­lons encore, j’at­tends tou­jours, jusqu’au moment ou Pilar accourant me dit que ma cui­sine brûle. Je me pré­cip­ite et en effet, ma faba­da cal­cine; j’ar­rose, reviens au dou­ble-camion, ras­sure la pop­u­la­tion et quand enfin -ici encore ce n’est pas lit­téra­ture (si l’é­conomie suisse allait à ce rythme, nous auri­ons le niveau de vie de Diyarbakir)- lorsqu’en­fin dis­ais-je, je puis m’é­vad­er avec mon panier de légumes, j’en­tre dans la mairie, ouverte le mer­cre­di, entre dans le bureau où siège la secré­taire du maire, fig­ure de tous les vil­lages autant qu’ils sont de par le monde, à qui, la secré­taire, je dis :
-Pour­riez-vous me don­ner le nom d’une pro­prié­taire de mai­son?
-Non.
-…par­don?
-C’est stricte­ment inter­dit.
A ce stade, réchauf­fé par la bonne dis­cus­sion entre voisins, les aimables légumes et le soleil d’Aragón, je crois que la dame, secré­taire et gar­di­enne et admin­is­tra­trice, bref cette pécore, plaisante.
-Vous com­prenez, c’est la mai­son d’à côté, celle qui est abandonnée…commencé-je sur le ton diplo­mate, mielleux qu’im­man­quable­ment sus­ci­tent ces parangons du for­mal­isme que sont les secré­taires de mairie. Oui, ces gens sont mes voisins, et comme je n’ai vu per­son­ne depuis trois ans…
-La loi européenne inter­dit de com­mu­ni­quer les noms des pro­prié­taires!
Racon­tant cela, la rage à nou­veau monte. 
“Loi”, “Europe”! Alors que nous par­lons de “la mai­son voi­sine”, de “si ça brûle”, de “et moi, je fais com­ment?”. Comme dis­ait l’autre- pas mon ami, bien sûr, mais cepen­dant- “quand j’en­tend le mot… je sors mon pistolet!”.