Mois : juillet 2018

Allemagne 3

Chas­sé de la ville par les prix des cham­bres d’hô­tel. Trois, qua­tre cent euros la nuit, et tout affiche com­plet! Die Messe! Qu’y mon­tre-t-on? Des BMW, des frigidaires et des tracteurs, du vin et des tur­bines? Presque envie d’aller y voir. Gala s’y oppose. Elle fait bien, comme nous roulons sur l’au­toroute pour quit­ter Munich par le sud, nous remon­tons un embouteil­lage de quinze kilo­mètres. Une par­tie des cham­bres va donc rester vide, les clients dormiront dans leur voiture; les villes-vit­rines, les villes-machines, les tas de choses, quels attrape-nigauds! En octo­bre, de retour de Bel­grade et de Budapest, même sat­u­ra­tion, c’é­tait la fête de la bière. A cinquante kilo­mètres, Rosen­heim n’avait plus un lit à louer. C’est d’ailleurs dans cette direc­tion que nous filons, mais cette fois, à peine ai-je vu le pan­neau je mets en garde Gala: “sort de l’au­toroute, Rosen­heim, c’est rem­pli d’im­mi­grés débar­qués d’I­tal­ie.” Main­tenant, au hasard dans une cam­pagne verte et ordrée, nous com­mençons notre quête des Gasthaus. Arrêt devant une splen­dide ferme à bal­cons de bois et volets sculp­tés. La pente de toit est en tavail­lons, le jardin est plan­té d’un sole, il y a deux bûch­ers… “Récep­tion à par­tir de 17 heures”. Affaire réglée (j’ob­serve d’ailleurs que les journées ou plutôt les nuits en hôtel, c’est général en Europe, sont de plus en plus cour­tes: on vous dit à quelle heure arriv­er, à quelle heure repar­tir, 15h00-10h00, si je compte bien, cela fait dix-neuf heures et, génie robo­t­ique au ser­vice de l’op­ti­mi­sa­tion civile, les bâti­ments les plus mod­ernes sont désor­mais dotés d’un sys­tème de ver­rouil­lage des portes, à l’heure dite de fin du con­trat, votre carte d’ac­cès à la cham­bre se bloque). Gala démarre, nous roulons entre des ter­rains coquets clô­turés de bois ten­dre, les fontaines coulent, les mon­tagnes bril­lent dans le ciel turquoise, un paysage fait pour la pen­sée, un paysage hei­deg­gérien. Seule­ment, depuis que j’ai voy­agé dix-huit mois (années 1990) en changeant chaque soir ou presque de par­age, tenu de négoci­er par­fois des heures pour obtenir un lieu de som­meil faute d’avoir les moyens financiers pour choisir à mon goût, je n’ai plus aucune patience pour ces recherch­es d’hô­tels. Autre Gasthaus. Au tour de Gala. Elle pousse la porte, appelle. Dix min­utes plus tard : “il n’y a per­son­ne”. En début d’après-midi, nous emmé­na­geons au Schloss­wirt de Bran­nen­burg, entre l’église, sa flèche claire, son toit rouge et le château, mas­sif, brun, dressé sur un rocher mousseux. Le bal­con donne sur la ter­rasse de l’auberge, tables avec bancs alignées au pied de la façade, bruit d’eau dans le bassin de pierre, cloches au cam­panile pour le rythme des heures et un kiosque à musique, mod­erne celui-là, avec pour sculp­ture orne­men­tale une clef de sol que Gala aime, que je n’aime pas. En face, dans la mon­tée, une étable qui selon la direc­tion du vent donne l’im­pres­sion de partager la cham­bre avec les vaches.

Supermarché 2

Bien­tôt, j’en­tr­erai en con­cur­rence avec Jar­ry lequel fai­sait livr­er une citerne de vin au pied de son immeu­ble.
-Vous com­prenez, dis-je au placeur de pro­duits, je viens de la mon­tagne, donc je dois savoir si, en général, vous aurez plus de bière…
Ne com­prenant pas, sai­sis­sant une bouteille par le col:
-Là… elle est là.
-Je sais, mais six bouteilles, comptez vous-même, cela ne fait que six litres. Voyez, je les mets dans mon cad­die, votre étagère est vide.
-Oui, bien sûr…
-Eh oui! Alexan­dre, enchan­té.
-Manolo.
-Bien, Manolo, que pou­vez-vous faire pour moi? Car je vais revenir!
L’employé retire l’é­ti­quette du ray­on:
-Je vais aver­tir, et nous allons déplac­er une autre mar­que, pour vous met­tre à dis­po­si­tion de la Skol.
-Prévoyez dix ou quinze bouteilles. Dis­ons pour demain, et ain­si de suite, au fil de la semaine.
-Très bien, je m’en occupe! Alors à demain Mon­sieur Alexan­dre, merci!

Supermarché

File d’at­tente de la caisse de super­marché hier à Puente (jamais plus de une ou deux per­son­nes), j’ai soudain l’im­age d’at­tentes sim­i­laires, le matin, après une nuit à pos­er des affich­es dans Genève ou une fête finis­sant à l’aube, à l’époque où je vivais avec Olof­so dans le quat de Roche. Con­sid­érant toutes choses autour de la caisse, tapis roulant, présen­toir à chew­ing-gums, cad­dies pleins, porte­mon­naies des dames, vit­res coulis­santes, blouse orange de la vendeuse de fleurs, chiens attachés, traf­ic au feu, sur le car­refour des Eaux-vives, “quelle blague!”. Sauf que, moins il y a de gens pour penser ain­si, moins elle est drôle.

Bras 3

“Ces derniers jours, vous vous êtes relâché!” Ce qui dans le jar­gon de la médecin veut dire: vous vous êtes servi de votre main.

Bras 2

Aux urgences à Puente. Atten­dent dans le couloir un vieux Mon­sieur vic­time d’un coup de chaleur et un cou­ple. Un ouvri­er en bleu, la main droite dans la main gauche, mon­tre son doigt sec­tion­né, réparé, et qui peine à cica­tris­er; con­sid­éra­tions catholiques, mêlées de rire, d’ex­cla­ma­tions, de soupirs sonores, mieux qu’un com­men­taire de match de foot­ball dans une salle de bistrot: ” ce que cette vie nous réserve!”, “si Dieu le veut…”,  “voyez, moi, par exem­ple…”, “on est pas grand chose!”. Les autres acqui­es­cent, évo­quant le temps qu’il fait, qu’il ne fait pas, l’hiv­er trop long, l’été trop chaud, puis la porte du cab­i­net s’ou­vre, le cou­ple d’en­gouf­fre. Il ressort et appelle mon nom — j’en­tre. La médecin, m’é­coute et con­state: “il n’y a rien à faire. Atten­dre.” Elle pre­scrit des anti-inflam­ma­toires, me dit d’ap­pel­er le suiv­ant. Or, c’est ce que je voulais: savoir. Ou plutôt: enten­dre un avis (c’est en général l’usage de la médecine). Con­tent du ser­vice dont j’ai prof­ité, je rends son salut à la secré­taire et, venant à la porte de sor­tie, fait demi-tour. A la secré­taire:
-Y a‑t-il quelque chose à pay­er?
-Ah… Mon­trez votre carte d’i­den­tité, je vais faire une pho­to­copie. Voilà.
Des urgences, je vais chercher les anti-inflam­ma­toires. La phar­ma­ci­enne attrape un for­mu­laire. Elle note ma date de nais­sance, mon numéro AVS suisse, mon prénom, mon nom que j’épelle. Ne sachant à quoi cela peut servir, je fais:
-C’est utile?
-Oh oui, ain­si vous payez moins.
En effet, elle emballe la boîte de cachets, y ajoute la pom­made que j’ai réclamée et fac­ture un prix dérisoire. Être bien traité en pays étranger, on ne peut que se féliciter, et à si bon compte! Mais aus­si, il y a de quoi s’in­quiéter — à la fin, quelqu’un doit payer.

Loi

Les forces de police français­es abat­tent un crim­inel arabe qui force un bar­rage puis tente d’as­sas­sin­er un flic. La min­istre de la jus­tice: “ma douleur va d’abord à la famille”. Faut-il que ces gens en charge de la loi aient peur pour défendre d’emblée le crime.

Ipskov-2045

Quand les Russ­es promet­tent de télécharg­er la con­science sur un sup­port-machine, déréalis­er le tra­vail, robo­tis­er l’e­space domes­tique ou con­quérir la galax­ie, ils font leur pro­pa­gande en anglais avec un accent américain.

Eluder

Pour élud­er la ques­tion, se démet­tre, ces gens qui objectent, “c’est pire ailleurs!”. Seul m’in­téresse le mieux. A l’aune duquel tou­jours je juge. Si elle est, l’ac­tion est à ce prix.

11

Las Vegas, à l’Are­na, com­bat poids-moyens entre Cane­lo Alvarez et Amir Khan. La famille du Mex­i­cain, un roux mas­sif et bar­bu, est assise au pre­mier rang. Par ordre, la fille, le garçon, leur mère, soit la femme du boxeur, une belle indigène, et puis je ne compte plus, d’autres enfants encore, il me sem­ble même apercevoir un bébé, tous sont là. Chose éton­nante, dès que l’ar­bi­tre lance la ren­con­tre, l’aînée, six ans peut-être, fond en larmes choquée par ce cro­chet que l’ad­ver­saire arabe vient de met­tre à son père. Le vis­age enfoui dans les mains, elle trem­ble comme une mau­dite, bal­ance la tête, vis­i­ble­ment elle est apeurée, imag­ine le per­dre — sen­ti­ment de mort, la caméra filme, on ne peut s’empêcher de penser à cela, à la mort du père. Reste 11 rounds.

Entrecôte

Afin de démen­tir les rumeurs sur son état avancé de mis­ère, il allait saluer les voisins de l’im­meu­ble son entrecôte sous le bras, après quoi, l’ayant seule­ment louée, il la rap­por­tait à la bouchère.