Juchés sur des tabourets en forme de points d’interrogation des jeunes tatoués jusqu’à l’os mangent des “tapas” et jouent avec leurs ordinateurs aériens. Les mâles portent de vastes barbes neptuniennes, ceux qui ont faim mangent des salades vertes et saines, les autres boivent dans des coupes, tous rient, parlent vite, en même temps, de tout, de n’importe quoi, se montrent et se regardent, veillant à ne pas tomber des tabourets. Cela, sur deux, dix, vingt terrasses, dans les odeurs d’after-shave et de déodorant, de make-up et de faux-cils tombés dans les soucoupes de “gambas”. La merde. Qui rappelle la situation tragique et post-moderne du client de safari. Assis à l’arrière de la jeep que conduit un nègre institutionnel, le touriste photographie les lions à travers le vitrage étincelant. Les fauves dorment. Alors le photographe, croyant que son appareil-photo le protège, ouvre la portière et s’approche. On connaît la suite.
Mois : juillet 2017
Manège
Au Jardin des plantes, la mère dépose la gamine sur une navette spatiale en forme de sabot, le père règle le forain, la musique est lancée.
-Attention, c’est parti! s’écrie le papa.
Le manège à chapiteau s’ébranle. La gamine passe devant ses parents, droite, épatée, les yeux fixes. Elle repasse.
-Tire sur le levier! crie le père.
Et la mère:
-Tire sur le levier Christine!
La gamine reparaît, assise dans le sabot, immobile.
-Tire! lui enjoint le père.
Et la mère:
-Christine, tire!
La navette repasse, la gamine est tétanisée. Les parents font de grands gestes et répètent:
- Tire, mais tire!
Au passage suivant, le père s’élance, veut saisir le manche qui fait s’envoler le sabot sidéral, mais le manège est rapide, il lâche, patine dans le gravier, se redresse, reprend position à côté de la mère et tous deux, unissant leur efforts:
-Tire le levier!
La gamine fait de grands yeux, l’air inquiet, cherchant à comprendre et passe, et repasse.
France
Donc il a fallu se rendre à Toulouse. La veille du départ, je dors mal; passé le Somport, je crispe les mains sur le volant. A la sortie d’Oloron-Sainte-Marie, un semi-remorque me pousse et me klaxonne. Suivent deux cent kilomètres d’autoroute. Des voitures demi-poids avec des routes de charrette d’enfants lancées sur l’axe de Tarbes, le péage robotique, un écheveau pour accéder à la ville et un quartier borgne autour du Pont des demoiselles. Là, un marchand de tabac de bonne volonté et d’une grande gentillesse nous renseigne téléphone en main. Il tape, aligne, agrandit, se retourne, retourne le téléphone, énumère dans l’ordre les manoeuvres à effectuer “pour se remettre dans le droit chemin” avant de s’apercevoir que j’ai le même téléphone et qu’il affiche les mêmes explications ; mais lui est de Toulouse. Nous arrivons à bout du problème et nous voici dans une cabane de jardin aménagée en chambre d’hôtel Ikea. La double porte vitrée donne sur une bambouseraie verte à la vigueur tropicale. Nous croisons le propriétaire, une homme sans un poil, grand et lustré. Il sortait justement pour aller courir sur les berges du canal. Il y a des chats bien nourris, un téléviseur plat, une petite cuisine, deux bocaux de cornf-lax (ainsi orthographient les Javanais). Et que faisons-nous là? Je n’ose demander. En défaisant ma valise, je m’aperçois que j’ai oublié le manuscrit à corriger. S’éloigner de l’ordinateur, biffer la version papier, comme si c’était les vacances, en regardant vaguement quelque chose, des tiges de bambou par exemple, l’essentiel étant de ne pas sortir. C’est raté. Bien, dans ce cas, je lirai. “Tu dois changer ta vie”, Peter Sloterdijk. Cinq pages d’une dialectique colossale pour une idée à se mettre sous la langue (souvent géniale l’idée, le philosophe est pardonné). Mais en fin de compte, je n’ai pas le temps de me mettre à la lecture. Nous sortons. En bus. Gala ne marche pas. La rue Saint-Exupéry à quelque chose du Faubourg célinien version tsunami arabe. Des immeubles rabougris aux façades de mortier et de briques, des vitrines encrassées, des voisins qui traînent en savates, des portes murées, un antiquaire (huit cent Euros la paire de fauteuils à ressemeler). De plus, cette rue ne mène aucunement là où doit aller Gala. Le maître russe de la peinture des icônes habite à Albi. Quand j’insiste, j’apprends qu’il habite plus exactement un village près d’Albi. Mais alors, pourquoi Toulouse? Pour savoir si l’on peut y vivre. “On”, c’est à dire Gala — pour moi, je n’ai pas l’intention de mettre à l’heure du muezzin, j’ai les crabes au ventre. Le bus nous dépose devant le Jardin du Rond-Point. Ce qui veut dire qu’il est encore possible de repartir. Nous entrons dans la ville.
Samedi
Travail
Carrefour 2
Village de pierre
Carrefour