Donc il a fallu se rendre à Toulouse. La veille du départ, je dors mal; passé le Somport, je crispe les mains sur le volant. A la sortie d’Oloron-Sainte-Marie, un semi-remorque me pousse et me klaxonne. Suivent deux cent kilomètres d’autoroute. Des voitures demi-poids avec des routes de charrette d’enfants lancées sur l’axe de Tarbes, le péage robotique, un écheveau pour accéder à la ville et un quartier borgne autour du Pont des demoiselles. Là, un marchand de tabac de bonne volonté et d’une grande gentillesse nous renseigne téléphone en main. Il tape, aligne, agrandit, se retourne, retourne le téléphone, énumère dans l’ordre les manoeuvres à effectuer “pour se remettre dans le droit chemin” avant de s’apercevoir que j’ai le même téléphone et qu’il affiche les mêmes explications ; mais lui est de Toulouse. Nous arrivons à bout du problème et nous voici dans une cabane de jardin aménagée en chambre d’hôtel Ikea. La double porte vitrée donne sur une bambouseraie verte à la vigueur tropicale. Nous croisons le propriétaire, une homme sans un poil, grand et lustré. Il sortait justement pour aller courir sur les berges du canal. Il y a des chats bien nourris, un téléviseur plat, une petite cuisine, deux bocaux de cornf-lax (ainsi orthographient les Javanais). Et que faisons-nous là? Je n’ose demander. En défaisant ma valise, je m’aperçois que j’ai oublié le manuscrit à corriger. S’éloigner de l’ordinateur, biffer la version papier, comme si c’était les vacances, en regardant vaguement quelque chose, des tiges de bambou par exemple, l’essentiel étant de ne pas sortir. C’est raté. Bien, dans ce cas, je lirai. “Tu dois changer ta vie”, Peter Sloterdijk. Cinq pages d’une dialectique colossale pour une idée à se mettre sous la langue (souvent géniale l’idée, le philosophe est pardonné). Mais en fin de compte, je n’ai pas le temps de me mettre à la lecture. Nous sortons. En bus. Gala ne marche pas. La rue Saint-Exupéry à quelque chose du Faubourg célinien version tsunami arabe. Des immeubles rabougris aux façades de mortier et de briques, des vitrines encrassées, des voisins qui traînent en savates, des portes murées, un antiquaire (huit cent Euros la paire de fauteuils à ressemeler). De plus, cette rue ne mène aucunement là où doit aller Gala. Le maître russe de la peinture des icônes habite à Albi. Quand j’insiste, j’apprends qu’il habite plus exactement un village près d’Albi. Mais alors, pourquoi Toulouse? Pour savoir si l’on peut y vivre. “On”, c’est à dire Gala — pour moi, je n’ai pas l’intention de mettre à l’heure du muezzin, j’ai les crabes au ventre. Le bus nous dépose devant le Jardin du Rond-Point. Ce qui veut dire qu’il est encore possible de repartir. Nous entrons dans la ville.