Mois : août 2015

Monsul

Les plages de Mon­sul et Los Gen­oveses sont gardées par un vieux moulin. Entre le chemin pous­siéreux et la mer, une plan­ta­tion de cac­tus. Les jeunes de San José font la cir­cu­la­tion. Passé un cer­tain quo­ta de véhicules, ils abais­sent une bar­rière. Il faut alors marcher cinq kilo­mètres ou revenir un autre jour. Aujour­d’hui, l’ac­cès en voiture est inter­dit dès 10 heures. Trop de vacanciers. Reste le bus. Nous y mon­tons avec un groupe d’ado­les­cents. Le chauf­feur manœu­vre un grand volant, une vierge trem­ble comme une fusée sur le départ. Arrivé au sable, je plante le para­sol. Le vent l’emporte. Nous ne le retrou­verons pas.

Sarah

Sarah, l’épi­cière, a obtenu des pêcheurs trois palettes qu’elle a dis­posé sur la cor­niche pour en faire une table. Avec deux autres palettes, elle a fab­riqué des bancs. Assis dans le soleil finis­sant, nous domi­nons la anse où sont rangées les bar­ques. A l’hori­zon se détachent les deux îlots qui fer­ment l’isthme. Ils por­tent le nom de Las Bal­lenas car ils évo­quent des queues de cétacés plongeant pour regag­n­er les pro­fondeurs. Ain­si, nous occupons le meilleur endroit du monde. L’ar­moire frig­ori­fique est à l’en­trée de la bou­tique, der­rière le rideau de per­les, rem­pli de blanc, de rouge et de bière. Sur les présen­toirs, des olives, des cac­a­houètes, du maïs souf­flé. A la caisse, Sarah. Elle vient sur le seuil:
- Ça va, vous êtes bien?
Voilà ce qui s’ap­pelle un mode de vie.

Canoé

Ce matin, excur­sion en canoé au départ de La Fab­riquil­la. Deux mou­ve­ments de pagaie sur la plage, le temps pour le guide d’ex­pli­quer aux par­tic­i­pants la tech­nique, et nous met­tons à l’eau. Je fais équipe avec Luv. Nous nav­iguons sur des fonds de dix mètres. Aplo va der­rière, accom­pa­g­né d’un jeune Espag­nol. Plus tard, nous filons à l’in­di­enne à tra­vers une grotte puis revenons dans le soleil. Par­mi les clients, une fille d’une beauté suf­fo­cante. Le corps est par­fait. A peine apparue, les mâles doivent se faire vio­lence pour ne pas la regarder con­tinû­ment. Et plus encore les maris flan­qués de leurs épouse, de leur famille. Son ami, gon­flé aux stéroïdes, affiche une gueule de maton russe. Le guide, les ado­les­cents, les pères, Luv, Aplo, moi-même, nageons, rions, dis­cu­tons. Le cou­ple mag­nifique ne pipe mot de la mat­inée. Il repart comme il est venu, en silence.

S.3

Elle dis­cute des idées, opine et cite, retient sem­ble-t-il la moin­dre parole partagée. La minute d’après, telle une enfant, elle s’a­muse avec les enfants. J’ob­serve: de leur jeu, je ne com­prends ni les ten­ants ni les aboutis­sants et même, je me demande dans quelle langue tous trois s’expriment.

S. 2

Cette chose éton­nante qu’a faite S. alors que je cher­chais la voiture dans le park­ing de l’aéro­port: elle s’est mise à lire.

S.

S, la prime­sautière, est à Milan. Je lui pro­pose de nous rejoin­dre. Elle utilis­erait le bil­let de Gala. J’ai hésité. Non pas à vouloir, mais a deman­der. Une fille de vingt-trois ans, un père accom­pa­g­né de ses enfants qui pro­pose… Cette fille m’a fait forte impres­sion: car­ac­tère vif, intel­li­gence, volon­té, à‑propos. Auprès d’une de ses amies, je m’en­quiers:
- Viendrait-elle?
- C’est à elle qui faut deman­der.
Réponse de femme. Pau­vre de nous! Je demande par écrit, n’ob­tenant pas de lui par­ler au télé­phone (encore un bon signe). “Pourquoi pas”, dit-elle. “Peut-être bien.” Puis: “oui.” Et me voici roulant cinq cent kilo­mètres le jour de l’an­niver­saire des seize ans d’Ap­lo, ce huit août, à bord de ma voiture de loca­tion, pour aller chercher S.  à l’aéro­port de Mála­ga. Je la trou­ve attablée sur l’e­s­planade extérieure, en con­ver­sa­tion avec un Anglais qui vient voir sa femme à Mar­bel­la, boit une bière grand for­mat, ne sem­ble pas pressé de par­tir et encore moins quand je fais val­oir qu’ayant raté la sor­tie pour l’aéro­port j’ai con­staté qu’il y avait un embouteil­lage sur l’au­toroute en direc­tion du Sud. Après quoi, tirant la valise de S., je la guide vers le park­ing où je me mon­tre inca­pable de retrou­ver la voiture. Sûr de mon affaire je désigne une case: elle est inoc­cupée. Puis une voiture, ce n’est pas la bonne.
- J’au­rais juré…
Pour­tant, j’ai mémorisé le numéro de place. C’est donc le niveau. Nous ne sommes pas au bon niveau. Nous retournons aux ascenseurs. Je reprends de l’as­sur­ance, nous renouons avec la con­ver­sa­tion. Cette fois le niveau sem­ble être le bon, mais pas le numéro de place. “Cette voiture, com­ment est-elle?” demande S. Je hausse les épaules:
- Grise?
Je laisse S. devant les ascenseurs, trou­ve un dis­trib­u­teur de tick­ets, enfonce le bou­ton de l’in­ter­phone.
- J’ai per­du ma voiture.
- Vous avez besoin d’une chaise roulante?
- Par­don?
- Nous livrons des chais­es roulantes. Où êtes-vous?
- Je ne sais pas, mais je cherche ma voiture.
- Désolé.
Fin de la con­ver­sa­tion.
Au troisième niveau en sous-sol, deux femmes dans une cab­ine de verre. Elles tri­ent les effets d’un sac à main qu’elles vien­nent de vider devant leurs claviers d’or­di­na­teurs.
- Pourquoi n’a-t-il pas tout volé?
- C’est joli ça ! Moi je l’au­rai volé!
Je demande leur aide. Elles souri­aient, elles ne souri­ent plus.
- Faites voir votre bil­let! Tout ce que je peux vous dire, c’est que vous êtes entré au niveau moins 1.
Alors je com­prends. Toute chose étant rel­a­tive, il faut être sûr de son point de départ.
Quand nous arrivons à La Isle­ta, à une heure trente du matin, Aplo dort sur le canapé du salon. Je mon­tre sa cham­bre à S, nous man­geons une pastèque avec Luv.

Autre plage

C’est le soir, il fait trente-six degrés. “Allons marcher!” Les enfants traî­nent les pieds. J’in­siste. Il faut pouss­er les enfants. Ils con­tin­ueraient de tout ignor­er de cer­taines direc­tions si on ne les y pous­sait pas. Même s’il fait chaud. Nous grim­pons sur la colline à l’est de La Isle­ta. Sable scin­til­lant, arbustes volatiles et des cac­tus, des ban­dits-man­chots. Des sen­tiers minus­cules per­me­t­tent d’ar­pen­ter la terre jusqu’au ciel. Nous avançons dans le soleil, la mer grandit à l’hori­zon. Luv s’in­quiète: “et les ser­pents?” Arrivé au som­met de la colline, nous apercevons une crique et une plage. Des crêtes d’éc­ume écla­tent à la pointe des rochers. Les gril­lons chantent. Nous déval­ons avec pru­dence — es cail­loux roulent sous nos pieds — pour aboutir sur une plage de nud­istes: deux femmes embrassées et un homme de quar­ante ans qui, à notre vue, se lève et exhibe fière­ment son appareil.

Voiture

A force de retourn­er le prob­lème, je trou­ve la solu­tion. Même loueur que celui qui m’a refusé le véhicule à l’aéro­port de Mála­ga, mais agence d’Almería. J’ob­tiens un devis par télé­phone, com­mu­nique les ren­seigne­ments demandés.
- Quand passez-vous pren­dre la voiture? demande la respon­s­able.
- Je ne passe pas, il faut me l’ap­porter.
Et, comme je le sup­po­sais, la respon­s­able de l’a­gence fait livre la voiture par un sec­ond couteau qui me remet les clefs et trou­ve mon per­mis très bien.

Esbrouffe

Le palais de cristal de Peter Slo­ter­dijk. Sur le haut de la pile tout ce print­emps, en attente. C’est peu dire que je me réjouis­sais. Je le fourre dans mon sac et l’ap­porte en Andalousie. Ce matin, sur la plage, je com­mence ma lec­ture. Cet après-midi, je la pour­su­is. Ce soir, je me pose des ques­tions: com­ment peut-on écrire un tel tis­su d’âneries?

La Isleta

La Isle­ta est un hameau con­stru­it entre deux criques. Les maisons blanch­es s’arque-boutent autour d’une place où l’on trou­ve une fontaine (sans eau) et un bassin pour lavandières (sans eau). Dans sa par­tie supérieure, au milieu des pitons rocheux, l’épicerie Sarah. J’en­voie les enfants chercher le pain au réveil, la bière à midi et le soir. Debout der­rière la caisse, se référant à l’ho­raire qui affiche “ouver­ture de 9h00 à 21h00”, Sarah dit:
- Oh, non, je ne vais pas fer­mer main­tenant! Passé vingt-deux heures, s’il n’y a plus per­son­ne, nous ver­rons! Mais il y en a qui ne sont pas encore ren­trés de la plage!
Notre mai­son a un bal­con. Lorsque le vent souf­fle sur le désert, il change de couleur. Les murs peints à la chaux virent au rouge. Ces jours-là, nous net­toyons la table de plas­tique à grande eau. Pen­dant la sieste, les enfants saut­ent dans la rue; je garde la clef. Ou alors, ils regar­dent la télévi­sion toutes per­si­ennes clos­es. A l’op­posé de la place, au pied de brèves falais­es, trois plages. La mer n’of­fre jamais le même vis­age: lisse un jour, elle est démon­tée le lende­main puis mod­i­fiée par des courants, sablon­neuse et à nou­veau limpi­de, tra­ver­sée de pois­sons. Nous dînons de nuit, tard, longtemps.