A la moindre remarque portant sur les envahisseurs, Gala me houspille: “tu exagères, ces gens ont toujours été là!” Alors qu’on les voit descendre de train! Ces femmes ont la conscience empoisonnée par le politiquement correct. Et plus tard, alors que nous sommes réunis, heureux, que nous faisons des projets, que je retrouve mon équilibre:
- A Sulawesi, tu veux que nous allions à Sulawesi? Si les gens sont bleus là-bas, déclare Gala, je ne peux pas. Cette peau bleue, ça me fait peur!
Plus amusant, revenant sur la conversation que nous avons eue en soirée et qui a décidé du voyage que nous ferons bientôt en Asie, alors que je dois passer le relais à mon remplaçant au sein d’Affichage Vert, préparer le déménagement, aller chercher mon vélo à Madrid, me rendre à Morges pour le Livre sur les quais, à Paris pour un débat, à Manosque pour une lecture, et finir deux textes:
- Tu prends une casquette de quelle couleur toi?
Mois : août 2015
Casquette
Programme
Avec Gala, à Munich. Le bonheur. Et l’émeute. Le bus nous dépose à la Zentraler Omnibus Bahnhof. Pour une raison qui m’échappe, le train s’arrêtait à Zurich, la fin du voyage s’effectuait en bus. Les valises à la main, nous allons aussitôt dans le Biergarten de la Augustinerkeller. Nous buvons à la table de deux finlandais informaticiens qui ont parcouru l’Europe au volant de voitures de course et passent leur dernière soirée avant le retour à Helsinki. Ensuite, taxi pour l’hôtel. A la réception, dix femmes engoncées dans des burkas, ces sacs. Dans un coin, les hommes avec leur barbes. Impossible de dégager, j’ai déjà payé la chambre. L’employé est de Navarre: nous sympathisons. Il comprend mon désarroi, nous donne la meilleur chambre. Au sixième, à l’écart. Puis nous allons louer des vélos et là, pas d’échappatoire: il faut traverser une champ de bataille. Des centaines de Syriens et de noirs tombent par grappes des trains. Les flics les parquent derrière des barrières, écartent les jambes, mettent la main sur le gourdin, surveillent. D’autres flics filment les premiers. Rançon du métier cynique des avocats américains qui par intérêt pécuniaire ont promu le juridisme loi morale. Pauvres flics: lâché par l’Etat, trahis par les politiciens. Dans les rues avoisinantes, des Roms saouls invectivent des Arabes, des noirs de tous les pays s’entassent dans les angles morts. Et les trains continuent d’arriver, déversant des hordes de jeunes gars loqueteux et décidés. Ni la fin du monde ni la faillite de notre société, mais bien la destruction de notre civilisation. Voulue, provoquée, entretenue: les mondialisateurs mettent aujourd’hui à exécution un programme vieux de cinquante ans.
Attalens
Marche populaire des 20 kilomètres d’Attalens. Nous prenons le départ en milieu de matinée. Le tracé passe par la forêt, le Mont-Chéseau et Chexbres. Dans la première montée, Luv se plaint. Elle a mal aux pieds. Je la fais asseoir, je vérifie ses chaussures. Ce sont celles que nous avons achetés il y a une semaine en Andalousie. La chaussure de gauche pointe du 38, celle de droite du 37.
Constance 2
Fini d’écrire Constance ce matin. Le livre portera ce sous-titre: Guide touristique à l’usage des aveugles. Le narrateur, un Suisse, arrive de Kreuzlingen. Il rédige le guide au gré de sa promenade. Son contrat stipule qu’il doit rendre sa copie à la fin de la journée. Or, le travail est difficile: il doit sans cesse trouver des parades sachant que ses lecteurs ne pourront lire seuls et, se promenant, ne verront rien.
Après les dernières corrections, je prends mon sac à dos et descends rue du Jura faire des achats chez Denner. A la caisse, je rencontre cet aveugle que je croise parfois; il attend avec son chien que le gérant du magasin lui remplisse son sac. Soudain le gérant quitte les rayons et s’approche de son client. La liste manuscrite que lui a remis l’aveugle en main, il demande :
- Des saucisses, mais des saucisses comment? De veau ou de porc?
Constance
Fin de semaine à Kreuzlingen. Trois jours de pluie. Le lac est bleu et gris. Le lac fume. Sur la berge, le long de la piste cyclable, des familles. Équipées de ponchos, elles pédalent tout sourire, face au vent. Le dimanche, je me glisse sous la tente et songe à cette rue étrange qui de Suisse mène en Allemagne. Elle bute sur la muraille de la ville de Constance. J’écris une phrase et prends le vélo: je roule huitante kilomètres. Au retour, la phrase est toujours là, mais plus nombreuse, entourée d’échos. De retour à Fribourg, sur la colline du Guintzet, je la taquine et trouve qu’elle pourrait bien servir d’amorce à un récit. Dans l’immédiat, je note pour titre: Constance.
Le prisonnier
Soirée excitante en ville de Fribourg. Nous circulons, commandons, buvons. L’heure avance. Nous poussons la porte des derniers bars, ceux qui ferment à l’aube, ceux qui ne ferment pas. Nuit entière noyée dans l’alcool suivie d’un dénouement heureux et une fatigue terrible.
Cet après-midi, quand je croise le prisonnier, j’ai les yeux clos, le regard liquide. Il m’entraîne dans l’arrière-salle d’un café sans fenêtres. Le plafond est peint en trompe‑l’œil. Il salue à la ronde, pince les fesses de la serveuse, fait le paon. Juchés sur tabouret, des pochards. Ils parlent devant eux, ils parlent seuls. Les serveuses papillonnent, remplissent les verres, encaissent dans de bourses de cuir.
- Tu vois celle-là? C’est Emmanuelle. Je l’ai sortie un jour. Mais tu sais quoi? Elle a mis des talons! Tu vois la gonzesse? Même à plat elle me prend une tête. Tu imagines avec des talons? J’avais l’air d’être son gosse.
Un des clients lit pour la troisième fois les gros titres des journaux. Quand le voisin change, il assène les commentaires qu’il a déjà fait et pour preuve, montre les titres du journal. Alors que j’ai le cerveau en patate, le prisonnier m’explique par le menu comment fabriquer un fusil à pompe en détournant une plieuse. Il trace des croquis sur une serviette de papier, me dit que s’il a fini par se faire attraper, il s’en est sorti parce que le chef de l’entreprise voulait lui aussi posséder un fusil à pompe clandestin. J’écoute. J’aimerais mieux écouter, noter les étapes du processus, mais je suis sur le point de tourner de l’œil et avant de me coucher, il me faut encore faire ma valise: j’ai une avion pour Madrid dans douze heures.
Masculin
Au restaurant de San José, les plats sont excellents et originaux, le service excellent et masculin. Le serveur a un physique de mannequin.
- Voilà qui s’appelle un homme viril! dis-je aux enfants.
- Un homo, rectifie Aplo.
Comme je paie et laisse un pourboire, le serveur me prend la main et la secoue. Puis, quelques minutes plus tard, alors que nous sortons, me prenant encore la main:
- Merci. Revenez! Reviens!
La semaine suivante, nous revenons avec S. A l’approche du restaurant, je l’enlace. Elle tressaille, mais ne se retire pas. Elle tourne la tête vers moi.
- Mieux vaut prévenir, lui dis-je, les serveurs sont sept homosexuels.