Soirée excitante en ville de Fribourg. Nous circulons, commandons, buvons. L’heure avance. Nous poussons la porte des derniers bars, ceux qui ferment à l’aube, ceux qui ne ferment pas. Nuit entière noyée dans l’alcool suivie d’un dénouement heureux et une fatigue terrible.
Cet après-midi, quand je croise le prisonnier, j’ai les yeux clos, le regard liquide. Il m’entraîne dans l’arrière-salle d’un café sans fenêtres. Le plafond est peint en trompe‑l’œil. Il salue à la ronde, pince les fesses de la serveuse, fait le paon. Juchés sur tabouret, des pochards. Ils parlent devant eux, ils parlent seuls. Les serveuses papillonnent, remplissent les verres, encaissent dans de bourses de cuir.
- Tu vois celle-là? C’est Emmanuelle. Je l’ai sortie un jour. Mais tu sais quoi? Elle a mis des talons! Tu vois la gonzesse? Même à plat elle me prend une tête. Tu imagines avec des talons? J’avais l’air d’être son gosse.
Un des clients lit pour la troisième fois les gros titres des journaux. Quand le voisin change, il assène les commentaires qu’il a déjà fait et pour preuve, montre les titres du journal. Alors que j’ai le cerveau en patate, le prisonnier m’explique par le menu comment fabriquer un fusil à pompe en détournant une plieuse. Il trace des croquis sur une serviette de papier, me dit que s’il a fini par se faire attraper, il s’en est sorti parce que le chef de l’entreprise voulait lui aussi posséder un fusil à pompe clandestin. J’écoute. J’aimerais mieux écouter, noter les étapes du processus, mais je suis sur le point de tourner de l’œil et avant de me coucher, il me faut encore faire ma valise: j’ai une avion pour Madrid dans douze heures.