Tout à l’heure, en vieille-ville de Bienne, sur la terrasse du café Les Caves, en plein soleil. C’est l’après-midi, une seule table est occupée. J’entends mon nom. On me hèle. Les deux hommes qui attendent sont les journalistes, l’Asiatique, une écrivain. Elle finit son verre de thé rouge glacé tandis que, me souvenant de sa contribution au volume collectif sur Walser et Rousseau, je lui dis avoir trouvé son texte étrange; elle s’en va me laissant sa carte. Arrive l’éditeur, coiffé d’un chapeau de paille, la chemise déboutonnée, le cheveu rincé de sueur, jovial. Puis le cameraman et l’intervieweur quittent la terrasse, répètent l’approche, approchent en effet de la table où je bois désormais seul.
- Stop!
Ils recommencent. Au troisième essai, le journaliste tend le micro, dit mon nom, me pose une question. Je réponds. Une autre question. Je réponds. Puis il annonce:
- Pour l’image, c’est bon. Maintenant, on va faire le son. Je vais vous poser les mêmes questions et vous y répondrez comme auparavant.
Une question, puis deux. Puis il refait la première, fait la troisième, recommence la deuxième.
Voilà ce que devient la réalité. Que ne pose-t-on tout de go des questions auxquelles je répondrai comme je peux?
Mois : juillet 2015
Télévision
Bienne
Ce que je pense de Bienne, ce que j’ai pensé chaque fois que je suis venu dans la ville, la tête baissée, d’un pas rapide, coller en une heure, à la barbe des polices, les cent affiches de mes clients: ville plate, en impasse, envahie de gens de l’est, avec des bords et un milieu. Si je ferme les yeux, je vois une chape sur laquelle des architectes sans imagination ont déposé des édifices cubiques.
Obermatten
Combat des Reines sur l’alpage d’Obermatten au-dessus de Tourtemagne. L’étonnant rituel! Une centaine de personnes assises dans l’herbe mangent des raclettes, partagent du blanc et des cornets à la crème devant ces vaches brunes marquées à la craie qui creusent la terre de la pointe du sabot en se préparant à la lutte. Luv et le neveu, fatigués par les promotions scolaires de la veille, descendent dormir au chalet. Monfrère les accompagne et remonte à la course. Aplo reste. Il joue avec les enfants de Monami. Nous avions quarante la veille à Barajas, il fait dix degrés sur l’Alpe et des rafales de vent soulèvent les couvertures des pique-niqueurs.
Barajas
La bonne mexicaine ouvre la porte du garage où nous remisons nos vélos dans les coffres. Pour retrouver la villa des amis espagnols, même difficulté qu’en début de semaine. Nous avons erré. Il faut dire que la rue mesure un demi-kilomètre, qu’elle est enroulée autour d’un parc, cachée derrière une zone industrielle. Nous quittons le quartier à pied, ruisselants de sueur, habillés de chiffons. Un taxi nous emmène rue de Burgos, là où nous avons démarré notre course ce 21 juin. Le patron du bar veut bien servir des cannettes mais refuse de sortir de l’établissement. Nous prenons possession de la terrasse, il fait 40 degrés, nous sommes seuls.
- Il suffirait de lui dire de couler deux canettes tous les quart d’heure, dit Monfrère.
Au lieu de quoi, nous faisons les allers-retours. Le soir, lorsque nous quittons enfin la terrasse, nous aboutissons dans une boucherie. Les frères Lopez placent dans nos sacs du Manchego, des chorizos, de la morcilla et un steak, puis nous expliquent comment rejoindre le terminal 4 de l’aéroport de Barajas en passant par un terrain vague, les entrepôts et une passerelle réservée au personnel navigant.
Quatrième étape
Routes longues, longues et silencieuses, à plat sur les champs, dans un pays vaste. A l’horizon, les villages sont les seuls repères. Ils surgissent lentement. Parfois, dans un nuage de poussière, sur une colline, un moissonneuse ou, de la taille d’un corbeau, un homme penché sur la terre. Aux carrefours, les stations-service avec leur frigidaire de Coca-Cola et d’Aquarius. Au comptoir, un étudiant qui révise ses examens et encaisse deux Euros. Quelques gorgées et nous reprenons la route. Nous serons enfin arrivés à ce qui, dans les années 1990, semblait un rêve pieux: pour toutes affaires transporter dans le sac à dos un porte-monnaie et un T‑shirt de rechange, à l’étape dormir dans des hôtels quatre étoiles. A midi ce jour, nous sommes à Arévalo, le village où dans les années 1975 nos parents commerçaient avec des gitans. A l’entrée, avant le pont et les murailles, une chapelle: j’attends Monfrère qui a pris quelques minutes de retard. Satisfaction immense que celle qui précède le repos de la demi-étape. Après le menu, nous commandons du café et remontons aussitôt en selle. La chaleur est à son comble: il fait 38 degrés. En quelques heures, nous rejoignons Ávila. Le pays est plus montagneux. J’espère voir des Verracos. La route coupe à travers le champ du Castro de las Cogotas, l’un des forts celtes les plus connu de la région. Nous descendons sur la ville par le Nord et le point de vue des Cuatro Postes où nous nous sommes tenus Gala et moi il y a deux ans, puis prenons le train pour El Escorial et de là, par la nationale, premier axe que nous trouvons encombré (nous sommes à une quarantaine de kilomètres de Madrid) atteignons les grilles du Valle de los Caidos d’où part la route qui donne accès à la Santa Cruz et à la basilique où sont enterrés Primero de Rivera et Franco. Je montre ma réservation au gardien. Il consulte son registre. Il a nos noms. Il ouvre la grille. La route grimpe à travers la pinède, passe au-dessus d’un précipice. La croix de pierre s’élève au loin, contre le ciel. Mais à la différence de la fois précédente, comme nous arrivions de Ségovie à VTT, nous contournons la basilique qui ouvre en direction de la capitale, lieu visité par les touristes, et, contournant la montagne qui sert de promontoire à la croix, pénétrons derrière elle, sur une vaste esplanade dont l’architecture symétrique évoque l’empire romain. Le bâtiment principal, à l’extérieur du quadrilatère, semble long d’un kilomètre. Deux séries de colonnades formant une promenade couverte aboutissent aux bâtiments construits dans la montagne. Entre les deux, la porte qui, de ce côté-ci de la montagne, donne accès à la basilique. La concierge nous remet la clef no 46. La cellule est au premier étage avec vue sur la croix. Un moine vêtu de blanc se promène dans les rochers. Nous roulons nos vélos sur les pierres plates du grand hall. Dans des niches, des volumes théologiques intitulés: Cartas de la santa sede a las semanas sociales. Leur prix: 5 volumes pour 6 euros. Ecrite à la main, une note précise: un sixième volume offert. Le temps de prendre une douche, nous redescendons. Je marche pieds nus dans les couloirs, ma paire d’espadrilles ayant lâché. Au mur, des feuilles scotchées annoncent un bar. Nous aboutissons dans un souterrain. La concierge nous renseigne: le bar n’est ouvert que le samedi. Quant au restaurant, il est ouvert de vingt-et-une à vingt-deux heures. Nous faisons appeler un taxi. Nous repassons la grande grille. Les gardes saluent. Nous voici attablés dans un café du bord de route, entre Los Caidos et El Escorial, avec une vue sur un complexe grillagé, filmé, militarisé. Au chauffeur de taxi à qui je demande s’il s’agit d’une prison:
- C’est la réserve d’archives de l’Etat espagnol.
Tout en buvant de la bière nous admirons les six tours de contrôle oranges de l’édifice. Plus tard, le chauffeur de taxe revient et nous sympathisons: “oui, cette société va à vau l’eau… oui, Bruxelles est un repaire de brigands… non, la Suisse n’est pas le paradis que l’on croit…”
Troisième étape
La première chose que dit Monfère en se levant:
- C’est énorme! Combien de kilomètres il peut y avoir?
Je lui prends la carte de la main. Il est prévu de rejoindre Tordesillas, dans la province de Valladolid, en passant par Palencia. Je hausse les épaules. J’ai imaginé les étapes en quelques minutes, assis à mon bureau de Fribourg, une bière à a la main. Or, ce matin, à neuf heures, il fait déjà trente degrés. Comme s’il s’agissait de gagner du temps, nous partons à grande vitesse. Je me place dans sa roue, nous suivons à 40km/h la ligne jaune qui sépare la bande d’urgence de la chaussée principale. Au premier village, sur un château d’eau condamné, une calicot annonce: non à la création d’une centrale à déchets. Ensuite, la route file par les vallons à travers des villages qui sentent l’écurie.
- Tu es sûr que c’est la bonne direction?
- Sûr!
Et dix minutes plus tard.
- Je préférerais vérifier.
- C’est juste, répète Monfrère.
Plus loin, comme la route passe au-dessus d’une autoroute, nous voyons que nous sommes partis au Nord-Est en direction de Léon.
Nous rebroussons chemin. De retour à l’hôtel, le compteur affiche déjà vingt kilomètres. En soirée, lorsque nous atteignons le Parador de Tordesillas, il affiche 170 kilomètres. Avant même que la mémoire ne fige le souvenir, j’ai la sensation d’avoir roulé huit heures d’affilée dans la lumière et la chaleur, sur des bandes droites, sans faiblir ni m’arrêter, convaincu de pouvoir continuer ainsi pendant des jours.
Deuxième étape
Monfrère ne veut pas d’une carte. J’insiste et je fais bien: sur les trois étapes qui suivent nous roulons plus vite, choisissant des routes de province. Lorsque nous avons entrepris nos premières traversées à vélo, ensemble puis séparément, de la France, de l’Espagne et dans mon cas de la Turquie, nous préparions les itinéraires sur des cartes au 100’000. Aujourd’hui, sous l’effet conjugué du transport à bas-prix et de l’internet, nous nous fions à notre sens de l’orientation — cela ne marche pas. Monfrère a beau connaître la plupart des villes au point de savoir dans quel restaurant nous dînerons, dans un pays de vieille culture, le réseau routiers est trop complexe pour être deviné spontanément. Dès la sortie d’Aranda del Duero, nous roulons entre des cultures de blé et de maïs, en plein horizon, contournant des villages de quelques maisons, relançant la cadence avec le plaisir que procure la possibilité de mesurer l’avancement sur la carte. Et cependant, aux alentour de treize heures, nous commettons une nouvelle erreur. La route finit devant une église. Dans la rue principale, un employé juché sur un tracteur de petite taille. Il fait des allers-retours pour tester sa machine. Il franchit le pont de pierre qui est au milieu du hameau, tourne, repart en direction de l’église. A chaque fois, il rencontre cet autre personnage, un vieillard aidé de deux cannes que nous avons vu sortir de sa ferme tantôt et qui à petit pas gagne l’autre bout du hameau où l’on peut raisonnablement imaginer, étant donné l’heure, qu’il sera reçu pour le repas. La carte dépliée, Monfrère étudie les routes. Je prends le relais. Le tracteur passe. Je propose un chemin vicinal. Monfrère vérifie. Le vieillard passe. A la fin, nous arrêtons l’homme au tracteur. Quand il constate que nous parlons espagnol, il se redresse, rassuré. Nous nommons le prochain village dans la direction que nous souhaitons emprunter et l’interlocuteur (j’ai vécu cent fois cette situation), après avoir répété le nom déclare:
- Je ne sais pas.
Invraisemblable lorsque l’on considère que les seuls noms qui font géographie à partir de ce lieu sont justement ceux des trois villages qui marquent les directions principales. Jugeant que j’ai mal prononcé, je répète. L’homme ne sait pas.
- La route s’arrête ici?
- Non.
- Elle continue?
- Oui.
J’admire que l’on puisse répondre aux questions par “oui” et “non”, sans anticiper sur le sens de la demande.
- Où continue-t-elle?
- Là-bas.
- Là-bas…?
- Là.
- Ah, là… Derrière le moulin à farine?
Je scrute.
- Oui.
Et en effet, nous trouvons le débouché. Nous allons ainsi sur une route étroite et défoncée, croisons la ligne de chemin de fer, filons à travers champ. Mais voilà que l’asphalte cède la place à un chemin non revêtu. Monfrère conseille de descendre de vélo. Je réponds que certains font le Paris-Roubaix.
- Pas avec des pneus comme les nôtres.
Peu après, il crève. Une heure plus tard, nous sommes devant la gare abandonnée de Lerma. Il change la chambre à air, se remet en selle, veut cliquer ses chaussures sur la pédale automatique: cela ne va pas. Pendant la marche, il a endommagé les reliefs de la chaussure. En ville, j’achète des bananes, nous mangeons en terrasse. Il faut faire les provisions d’eau avant la fermeture des épiceries à quatorze heures. Nous consommons cinq à six litres par jour, sans compter la bière et le café. Entre quatorze et dix-huit heures, il n’y a que les stations-service CEPSA qui vendent des boissons. Or, elles sont situées aux carrefours des nationales et nous privilégions des routes plus petites. Nous atteignons Olmillos de Sasamón dans la province de Burgos en soirée après une étape de 145 kilomètres avec une pointe au plat à 48km/h. La chaussure à clip a tenu bon. L’hôtel offre une salle des repas médiévale et, de l’autre côté de la route, un bar de camionneurs. Un deuxième bar occupe le milieu du village. Il possède deux tables. Des voisines ont tiré l’une d’elle à l’ombre, de l’autre côté de la place. Nous buvons au soleil, estimant le prix de cette maison en colombages mis en vente à quelques pas du bar, nous déplaçant à tour de rôle pour en faire le tour, voir si elle est flanquée d’un jardin, d’autres accès, d’un escalier extérieur
- Il n’y a rien dedans, dit la patronne, ce sera un argument pour faire baisser le prix.
Quand je suggère de relever le numéro de téléphone, Monfrère:
- Tu auras oublié ça demain matin!
Première étape
Quelle que soit votre question, les réceptionnistes vous expédient; elles ont du travail, elles ne sont pas payées pour ça, elle sont mal payées. Celle de l’hôtel Täch fait exception. Elle pianote sur son ordinateur et cherche par quelle route nous pourrions quitter Madrid. Elle nomme un village: Paracuellos. Le chemin à suivre? Gagnez la route de Burgos, puis à gauche et tout droit. Passée la bouche de métro de Barajas, la route emprunte un tunnel. Long tunnel. Je n’ai pas de phares. Nous débouchons au pied d’une colline. C’est l’heure de la reprise du travail. En direction de Madrid, les employés qui arrivent de la proche banlieue, en direction du Nord, les cars de touristes et les camions. La pompe de secours, longue de dix centimètres, ne permet pas de pomper à plus de trois bars. Nous gravissons en rythme la colline sur des pneus mous. Au premier village, il y a bien un magasin de vélos, mais il es trop tôt: il n’ouvre qu’à dix heures. Sur la place principale, des adolescents désœuvrés. Changement de décor: à l’époque, les bancs étaient occupés par des vieillards retraités, aujourd’hui les occupent des jeunes sans emploi.
Encore un heure de route et le trafic faiblit. A l’heure du repas, nous avons 80 kilomètres dans les jambes, nous sommes à Buitrago de Lozoya. Monfrère reconnaît la ville, nous y avons dormi il y a deux ans, après notre première étape à VTT au départ de Colemnar et Viejo. Nous prenons place au bar d’un restaurant de camionneurs tenu par des Ukrainiennes. Contre le mur, une bouteille de vodka en forme de kalachnikov. Je demande une limonade, la jeune fille verse une panachée. Puis à grand-peine, une bière. Comme je précise que j’ai demandé une limonade, elle considère le verre et m’explique qu’il s’agit d’une panachée. Nous rechaussons nos lunettes, sanglons les casques, décadenassons les vélos, repartons. Au centre du village, un restaurant véritable, espagnol, avec son menu de trois plats, sa bouteille de rouge et son café compris. Salade mixte, poulet à l’ail, cuajada. Lorsque nous nous remettons en selle, il fait 35 degrés. La route amorce le col de Somosierra. Mais voilà que la nationale se confond avec l’autoroute. A l’échappée, le passage. Comment faire? Nous allons sans carte. Nous empruntons la bande d’arrêt d’urgence sur mille mètres, dégageons par un pont, stationnons sur une aire de repos. Un postier nous renseigne. Il voit ce que nous sommes: habillés de cuissards, une paire de chaussures à clips aux pieds, un casque de cycliste sur la tête.
- Il suffit de prendre l’autoroute!
Plutôt que de marcher de l’autre côté de la glissière le vélo sur l’épaule, nous suivons un itinéraire de montagne, confiant qu’il nous mènera au sommet et que nous pourrons ensuite rattraper la nationale. Mal nous en prend. Il nous emmène vers l’ouest. Nous traversons un hameau, puis un autre. Il sont déserts. Au terme d’un dénivelé de mil mètres, nous hésitons à un carrefour. Apparaît un paysan torse nu au volant d’une jeep. Il y a trois directions.
- Aucune n’est la bonne, nous dit-il.
Nous le remercions. Nous décidons qu’il se trompe. Nous choisissons au hasard. Nous montons de cinq cent mètres. Dans la montée, le portable de Monfrère sonne. Il vend trois robinets à un installateur sanitaire de Morat. La vente conclue, il appelle Mamère qui s’occupera de les lui livrer. Puis sonne mon portable. Le serrurier est devant la porte de mon appartement à Fribourg.
- Je ne peux pas vous parler, je suis en Espagne!
Il me souhaite de bonnes vacances.
Nous repartons. Dix minutes plus tard, du haut du col, nous constatons qu’il n’y a à l’horizon que des forêts et des montagnes. L’illusion habituelle: derrière un col, il y a forcément une plaine. Nouvelle montée, entre les pins. Je rencontre des chevreuils, puis profitant de l’ombre de la route, un troupeau de vaches. Lorsque nous atteignons la destination indiquée au carrefour, Cardoso de la Sierra, nous voyons que le paysan avait raison: la route s’enfonce dans le parc régional puis regagne le carrefour. Or, il est déjà dix-huit heures. Nous rebroussons chemin. Nous avons 150 km au compteur. Je consulte ma réservation d’hôtel. Daprès les estimations, la chambre est encore à 80 km, mais surtout, elle est de l’autre côté du col de Somosierra, celui que nous cherchons à franchir depuis le début de l’après-midi. Au village de Pinuecar, nous interrogeons l’épicier.
- Il y avait bien un bus… autrefois, d’ailleurs ma femme.… enfin, ma fiancée de l’époque… quand elle rentrait… mais, je m’en rends compte maintenant… les gars, vous m’avez grillé… je me rends compte que c’était il y a vingt-cinq ans! Vingt-cinq ans!
Et il se regarde dans le miroir.
- Je n’en reviens pas!
Entre deux gorgées d’eau fraîche, j’essaie de le ramner à notre sujet.
- Et donc il n’y aurait plus de bus?
- Je me demande bien ce qu’a pu devenir Maria?
Une dame âgée venue acheter son pain s’en mêle. Il y a un bus. Enfin, il devrait y avoir un bus.
- Oui, précise l’épicier, mais si vous comptez aller plus loin que Buitrago, il faut appeler la compagnie pour qu’elle envoie la correspondance…
Nous attendons sous un abri. L’horaire indique que le bus passera à dix-neuf heures. En surplomb, une terrasse. Des vieillards s’amusent de nous voir dans cette tenue, avec nos vélos, en attente. Ils sirotent des jus sous un parasol. Deux infirmières passent. Elle ne savent pas. Des gamines mexicaines viennent à l’abri, rient, s’en vont. Un quart-d’heure, une demi-heure. Monfrèe est partisan d’attendre encore, je suis d’avis de reprendre la route. Enfin arrive le bus. Il est vide. Le chauffeur hésite à embarquer nos vélos. Il les embarque. Nous refaisons le chemin en sens inverse jusqu’à Buitrago. Même en bus, il faudra une heure pour atteindre le chef-lieu. Alors, devant un canette de bière, nous apprenons qu’il n’y a plus de correspondance sauf pour Madirid. Nous commandons un taxi.
- Quelle sorte d’hôtel as-tu réservé?
Je ne me souviens pas. A notre habitude, un quatre étoiles. Une heure plus tard, lorsque le taxi atteint l’hôtel, nous voyons qu’il s’agit un routier installé de l’autre côté du col de Somosierra, sur une aire d’autoroute.
Veille du tour de Castille
Ce 21 juin, nous prenons à Cointrin l’avion du soir pour Madrid. A l’aéroport de Barajas, plusieurs taxis refusent de charger les vélos pourtant pliés et mis en coffre. Une étudiante plastronnée s’agite un sifflet entre les lèvres. Elle lève les bras, les abaisse, elle est surmenée. A en juger par le regard des touristes, on dirait que nous baladons des cercueils. Un chauffeur finit par se dévouer. Il rabat les banquettes et entasse nos coffres. Je me glisse à l’horizontale dans la voiture, nous partons pour la rue Lavanda. Nœuds d’autoroute, passages sous-voie, zone d’usines, puis, devant un square où flirtent les amoureux, la villa des Freuler, palissadée, tranquille, chaude. Il y a vingt ans que je n’ai pas vue cette amie. Désormais mariée avec trois enfants, elle nous accueille deux verres de bière à la main. Nous montons les vélos de course dans le jardin, troquons nos jeans pour des cuissards, échangeons quelques mots sur la terrasse, puis rangeons les coffres dans on garage. Il est vingt-trois heures. Monfrère a le nom et l’adresse de l’hôtel où nous devons dormir, mais pas de plan de la zone. Notre amie nous embarque dans son break et programme le GPS. Nous tournons dans le quartier. Elle nous dépose à un carrefour. Pour la seconde fois, nous montons les roues sur les cadres. Nous demandons notre chemin. Nous atteignons l’hôtel Täch. Comment l’on peut donner ce nom à un hôtel en Espagne, la phonétique de la langue ne permettant pas de prononcer cette suite de sons, je l’ignore. En fin de compte, nous voici à minuit, au bar de la réception, en attente d’une commande de hamburgers tandis que décollent les derniers avions de la journée et qu’un couple hollandais voyageant en caravane partage une bouteille de champagne servie dans un seau à pied.