Routes longues, longues et silencieuses, à plat sur les champs, dans un pays vaste. A l’horizon, les villages sont les seuls repères. Ils surgissent lentement. Parfois, dans un nuage de poussière, sur une colline, un moissonneuse ou, de la taille d’un corbeau, un homme penché sur la terre. Aux carrefours, les stations-service avec leur frigidaire de Coca-Cola et d’Aquarius. Au comptoir, un étudiant qui révise ses examens et encaisse deux Euros. Quelques gorgées et nous reprenons la route. Nous serons enfin arrivés à ce qui, dans les années 1990, semblait un rêve pieux: pour toutes affaires transporter dans le sac à dos un porte-monnaie et un T‑shirt de rechange, à l’étape dormir dans des hôtels quatre étoiles. A midi ce jour, nous sommes à Arévalo, le village où dans les années 1975 nos parents commerçaient avec des gitans. A l’entrée, avant le pont et les murailles, une chapelle: j’attends Monfrère qui a pris quelques minutes de retard. Satisfaction immense que celle qui précède le repos de la demi-étape. Après le menu, nous commandons du café et remontons aussitôt en selle. La chaleur est à son comble: il fait 38 degrés. En quelques heures, nous rejoignons Ávila. Le pays est plus montagneux. J’espère voir des Verracos. La route coupe à travers le champ du Castro de las Cogotas, l’un des forts celtes les plus connu de la région. Nous descendons sur la ville par le Nord et le point de vue des Cuatro Postes où nous nous sommes tenus Gala et moi il y a deux ans, puis prenons le train pour El Escorial et de là, par la nationale, premier axe que nous trouvons encombré (nous sommes à une quarantaine de kilomètres de Madrid) atteignons les grilles du Valle de los Caidos d’où part la route qui donne accès à la Santa Cruz et à la basilique où sont enterrés Primero de Rivera et Franco. Je montre ma réservation au gardien. Il consulte son registre. Il a nos noms. Il ouvre la grille. La route grimpe à travers la pinède, passe au-dessus d’un précipice. La croix de pierre s’élève au loin, contre le ciel. Mais à la différence de la fois précédente, comme nous arrivions de Ségovie à VTT, nous contournons la basilique qui ouvre en direction de la capitale, lieu visité par les touristes, et, contournant la montagne qui sert de promontoire à la croix, pénétrons derrière elle, sur une vaste esplanade dont l’architecture symétrique évoque l’empire romain. Le bâtiment principal, à l’extérieur du quadrilatère, semble long d’un kilomètre. Deux séries de colonnades formant une promenade couverte aboutissent aux bâtiments construits dans la montagne. Entre les deux, la porte qui, de ce côté-ci de la montagne, donne accès à la basilique. La concierge nous remet la clef no 46. La cellule est au premier étage avec vue sur la croix. Un moine vêtu de blanc se promène dans les rochers. Nous roulons nos vélos sur les pierres plates du grand hall. Dans des niches, des volumes théologiques intitulés: Cartas de la santa sede a las semanas sociales. Leur prix: 5 volumes pour 6 euros. Ecrite à la main, une note précise: un sixième volume offert. Le temps de prendre une douche, nous redescendons. Je marche pieds nus dans les couloirs, ma paire d’espadrilles ayant lâché. Au mur, des feuilles scotchées annoncent un bar. Nous aboutissons dans un souterrain. La concierge nous renseigne: le bar n’est ouvert que le samedi. Quant au restaurant, il est ouvert de vingt-et-une à vingt-deux heures. Nous faisons appeler un taxi. Nous repassons la grande grille. Les gardes saluent. Nous voici attablés dans un café du bord de route, entre Los Caidos et El Escorial, avec une vue sur un complexe grillagé, filmé, militarisé. Au chauffeur de taxi à qui je demande s’il s’agit d’une prison:
- C’est la réserve d’archives de l’Etat espagnol.
Tout en buvant de la bière nous admirons les six tours de contrôle oranges de l’édifice. Plus tard, le chauffeur de taxe revient et nous sympathisons: “oui, cette société va à vau l’eau… oui, Bruxelles est un repaire de brigands… non, la Suisse n’est pas le paradis que l’on croit…”