L’importation massive d’analphabètes du tiers-monde annonce une prochaine dissolution des régimes parlementaires d’Europe au profit d’un Etat supranational. La méthode consiste à pourrir la situation sociale afin de déclencher des troubles. Lorsque les populations autochtones se retourneront contre les immigrés, l’Union Européenne suspendra les constitutions et renforcera les corps intermédiaires. Les multinationales et leurs représentants, ce personnel politique non-élu qui dirige par des oukases, sacrifient conformément au programme capitaliste la culture à l’argent. Par culture j’entends, celle qui donne leur identité aux peuples. Elle sera remplacée par une culture de divertissement contrôlée par les marchés. Double bénéfice pour les capitalistes: sortie de démocratie, création d’un marché culturel unique. Pour ce qui de la politicienne Angela Merkel qui en annonçant l’accueil des hordes de primitifs s’est délibérément mise hors-la-loi, nul doute: elle a subi des pressions et deviendra, une fois apaisées les hostilités de grande envergure, chef d’un Etat transnational à caractère totalitaire (qui dans la forme existe déjà à Bruxelles). Aujourd’hui, le seul espoir repose dans le déclenchement rapide d’une guerre civile sur le continent. Elle peut encore être gagnée par les démocrates.
Mois : octobre 2015
Vie commune
Monpère arpente l’appartement une feuille de papier à la main. Il pointe sur une chaise:
- Et ça?
- Cette chaise? En cuir. J’en ai six, tu les veux?
- Budapest. Et cette commode?
- A jeter.
Il note:
- Commode à tiroirs, Budapest.
Puis, autoritaire:
- Quoiqu’il ne soit, tu ne jettes rien!
Nous arrivons dans la cuisine. Il vérifie sa liste, je mets de l’eau à bouillir pour le thé. Il désigne ma bibliothèque:
- Tu as un Aragon édition originale. Je le sais, j’ai le même. Voyons, où est-il? Il était pourtant bien là, à côté d’un Cervantès… Mon exemplaire est dédicacé. Là,regarde un peu: Les yeux d’Elsa! Le tien aussi est dédicacé. Mais pas par Aragon. C’est signé J. J. J. Qui peut bien être ce J. J. J?
- Tu sais qui était Elsa, papa?
- Une communiste.
- Oui, et sa soeur était mariée à Maiakovski.
Après quoi, nous descendons déjeuner à la Mensa, la cantine de l’université Miséricorde. Il est treize heures, les étudiants sont retournées à leur études, nous avons la salle pour nous. Lors du passage en caisse, je salue l’employée habituelle. Monpère la félicite et s’étonne: “ainsi vous facturez en même temps les clients de deux files, sur votre droite et sur votre gauche!” La caissière, une Italienne au visage plat, sourit tristement. Je pourrais dire à Monpère qu’elle déteste son emploi, ce dont elle s’est ouvert à moi un jour que je lui demandais son humeur. Nous avançons parmi les tables claires nos plateaux repas à la main. Monpère choisit une place au soleil, du côté des rails de train. Je mange ma salade, boit ma soupe, découpe la viande, pique les patates…
- Tu dois vraiment manger aussi vite?
- Non, j’ai le temps. C’est que je pensais à autre chose.
Monpère revient alors sur l’examen de colonoscopie que je passerai à la fin novembre.
- Tu as bien fait d’exiger cet examen.
- Comme je t’ai dit, si j’ai un problème aux Moluques, le premier hôpital outillé à 1000 kilomètres.
- Et puis grand-papa est mort d’un cancer du colon et j’ai eu un cancer du colon. Tu verras, ce n’est pas douloureux. La seule chose, quand tu quitteras l’hôpital après l’examen, ne signe aucun contrat.
- Quel contrat?
- Oui, certains petits malins s’étant aperçu que ce ce type d’examen affaiblit la volonté en profitaient pour faire signer des contrats.
De retour dans l’appartement du Guintzet, je trouve un colis de produits chimiques: des laits à boire en prévision de l’examen.
Monpère reprend sa liste, il y ajoute des objets et des destinations: Budapest, magasin de Lausanne, garde-meuble de Clarens.
- L’autre jour j’étais chez X, tu sais, le millionaire. Ses femmes jetaient des habits de haute couture, j’ai tout embarqué et les ai placés dans un magasin d’occasion à Budapest.
- Et ça a marché?
- C’était tellement luxueux que les clientes hongroises savaient à peine comment ça se portait. Et puis, me dit-il, pour la prostate, laisse-moi t’expliquer. D’abord, il faut savoir que 90% des hommes meurent de la prostate. Si tu en meurs à 30 ans, c’est ennuyeux. Mais à mon âge, il suffit d’un traitement et tu peux vivre des années. En résumé, il y a trois façons de procéder: autrefois, on allait à l’ablation. Seul problème, ça rend impuissant et incontinent; ou alors, on traite, mais c’est long et incertain. Le truc c’est d’opérer à l’ordinateur. Le médecin te couche sur le billard, il t’endort localement. C’est local, mais tu finis par partir. Il pratique alors deux fentes de la taille d’un sou de chaque côté du ventre et il travaille à distance, debout derrière une vitre. C’est ce qu’il a fait dans mon cas. Il nettoie à l’aide de pinces articulées. Là encore, pas de quoi s’inquiéter, tu ne sentiras rien.
Le soir, Gala rentre de Genève où elle est allée consulter son médecin.
- Qu’est-ce qu’il a dit? Tu demandes ce qu’il a dit? Il a demandé d’où t’était venu l’idée d’aller aux Moluques en pleine mousson? Il paraît qu’il y a des nuées de moustiques dans l’air et que tous sont porteurs de virus! Tu te rends compte?
Penché au-dessus de la poêle, je surveille des aubergines thaï cuites dans un curry rouge:
- Moi, je ne sors pas de ma moustiquaire
- Délicieux! quoi? Ah, oui, la moustiquaire… En tout cas, j’ai l’intention de marcher dans la montagne.
- Tu iras seul.
- Goûte moi ce curry! J’ouvre du vin?
- Qu’est-ce que c’est?
- Un Château-Neuf du Pape.
A deux heures du matin, nous sommes toujours en train de boire et la nuit s’annonce colorée.
Au perroquet vert.
Sous tente à Kreuzlingen, après un tour du lac de Constance à vélo, j’imagine écrire quelques lignes, mais il pleut, je me couche, j’écoute la pluie tambouriner sur la toile. C’est l’été. De retour sur le Guintzet, je trouve un point de départ pour le texte: ce gros adolescent à qui le vendeur chinois du magasin d’armes de Constance refusait de vendre une machette alors que lui et son collègue alignaient devant moi des bâtons techniques de toute taille et de tous poids. Au terme de quelques heures d’écriture inspirées, l’aventure du personnage principale de ce texte, un rédacteur de guides de voyages mandaté par la société d’éditions Panoramica, se termine sur les contreforts du lac, dans une resserre de la brasserie Ruppenau. J’imprime le texte, dont je suis content: content parce que je ne l’ai pas vu venir, que je doutais pouvoir écrire un texte aussi enlevé et doute pouvoir en écrire un autre. Par amitié mais également pour avoir son avis, après avoir ajouté un épigraphe tiré de Paludes (“-J’écris Paludes. André Gide, Paludes”), je mets le texte sous pli et l’expédie à un éditeur. Or, hier, me voici à Bienne, Au perroquet vert, en sa compagnie. Il y a longtemps que nous devions dîner. Je pensais être reçu à son domicile, j’avais donc annoncé Gala. J’arrive seul et en catastrophe. Selon mon habitude, j’ai peiné à travers ce Seeland dont la cartographie a tout du palimpseste (aux envions de Bellechasse et du Vully). Nous commandons une salade de carottes rouge, une entrecôte, de la Boxer et un vin, j’annonce à l’éditeur que je vais partir aux Moluques, il me donne sa vision des dangers qui guettent la société et après le plat de résistance tire de sa serviette le manuscrit qu’il traite déjà comme un livre.
Sainte-Croix des Neiges 3
A Châtel, j’indique le croisement sans hésiter. Monfrère engage la voiture sur la route d’Avoriaz. Il me semble que c’était hier: les week-end, nous quittions Genève pour le val d’Abondance, nous prenions pension Au Roitelet — en réalité, Aplo et Luv avait deux et trois ans, je venais de rencontrer Gala. Pourtant, je me souviens du supermarché. Je m’en souviens car il était construit à l’écart du bourg, le long d’une route étroite. Nous voici près de la rivière, entourés d’immeubles-chalets aux persiennes rabattues. Monfrère tourne sur route, nous remontons dans le centre de Châtel, prenons la direction de la douane et de Morgins. Hors des périodes de vacances, on sait à quoi ressemblent les stations de montagne: du papier brun masque les vitrines, les volets sont clos, les cafés éteints. Sur les trottoirs, des voitures bâchées. Enfin, nous apercevons un piéton. C’est une femme. Je l’appelle. Elle indique la direction d’où nous venons et précise: “il est tout en bas!” Monfrère tourne sur route. Nous repassons devant la boutique de bibelots, le pub fermé, le loueur de skis. A l’embranchement, même question qu’auparavant: “à gauche ou à droite?” Cette fois, nous partons dans la direction opposée à Avoriaz. Quelques maisons, un garage. Puis des champs. Un ouvrier communal inspecte une chenillette. Je saute de voiture, marche dans sa direction. Il monte à bord de la chenillette, je cours. Il démarre, je me place devant le véhicule. Il s’arrête. C’est un type amoché. Trente ans: le cheveu pauvre, les dents déchaussées. Il baisse la fenêtre, se penche dans le brouillard. Bajoues couperosées, nez en fraise, une trogne à gouttes.
- Qu’est-ce qu’il vous faut?
A croire qu’il va me vendre du rouge. Cependant, il confirme ce que disait la femme: au fond, tout au fond en suivant le rivière. Un , deux, trois kilomètres. Des bois, de l’eau, un hangar. Et soudain, sur un monticule, le supermarché. Même modèle dans tout l’hexagone: parois de métal blanc, enseigne peinte, ossature boulonnée à même le bitume. Sur le parking, le distributeur de caddies et deux voitures. Vers la sortie, la station- service. Au guichet, une femme dans son uniforme. Je lève les yeux sur les montagnes. Le brouillard roule sur les pentes. Avant dix minutes, tout sera englouti. Dans le supermarché, changement d’atmosphère: des monceaux de légumes, des mètres linéaires de produits laitiers, des terrines, des saucisses, des viandes, une boulangerie et une poissonnerie. Puis de l’électronique, des habits, des luges et les étagères offrant les produits régionaux: sirops de gentiane, miel de Haute-Savoie, cidre, compotes. je souffle: pas de chauffage. Je consulte ma montre. Nous devons être à la gare de Palézieux dans une heure pour récupérer Luv et Luc qui arrivent de Genève: nous sommes pressés. J’applique la méthode habituelle: Aplo pousse, j’attrape à l’étalage et jette dans le caddie. S’il s’attarde, je le presse; s’il bifurque, je le remets sur les rails. Nous passons par toutes les rangées. Dans l’ordre. Devant les viandes, longue halte. Une barquette de ceci, une, deux, trois barquettes de cela. Du canard, du boeuf, des filets mignons, un choix de côtelettes, des racks de porc, les viennes… bien, passons à la volaille. Puis aux fromages. Monfrère fait de même. Il nous précède aux caisses. Un couple dispose ses achats sur le deuxième tapis roulant . Derrière, une ménagère et son fils. Monfrère vide son caddie, paie et sort. Le couple et la ménagère échangent de propose étonnés. Le nombre de produits achetés par Monfère les stupéfait. Ils tombent d’accord: c’est extraordinaire! Il n’en faut pas plus pour relancer la conversation. Ils parlent de la situation du pays, du temps, de ce qu’il faut acheter en cette saison pour faire de la soupe, des promotions de la semaine . Et soudain, plus un mot. Tournés vers notre caisse, ébahis, le sourire gêné, l’air inquiet, ils regardent défiler la viande et les fromages. C’est alors qu’Aplo, chargé de déposer sur le tapis les produits que je récupère en bout de course et organise dans les sacs hisse deux paquets de chips:
- Je peux?
- Qu’est-ce que c’est? Je ne vois rien d’ici!
- Je sais pas! Pour l’apéritif.
- Oui, oui, prend!
Dégoûtés, les voisins se détournent.
Extra-terrestres
Levé dans la nuit tandis que Gala dort. Je cherche un portable mis à charger, seule explication plausible pour ce flash qui balaie le plafond de notre chambre. A force de fureter, je réveille Gala. “C’est dehors,”, dit-elle. “Mais non!”. “Le lampadaire, c’est lui…” insiste Gala. Comment juger: le store est baissé. Je vais dans mon bureau. D’abord, je ne remarque rien. Puis, levant les yeux vers le ciel dont les nuages s’éclairent alternativement, je localise le foyer de cette émission de lumière: le flash part du sommet de la tour d’hôtel NH. Une alarme-incendie? Endormi, je continue de percevoir le flash. La lumière passe dans les yeux et dans le cerveau avec la même intermittence, mais je n’ai plus de doute sur son origine. Apparaissent dans le ciel des soucoupes volantes de grande taille. Je réveille Gala, cours au premier étage, secoue Aplo qui dort les poings fermés: “les extra-terrestres! ils sont là! les extra-terrestres sont là!” De retour dans le salon, je vois que le combat est engagé. Sous le feu nourri des envahisseurs, Fribourg brûle. Pauvres de nous! me dis-je: nous nous préparons pendant des générations à la manipulation d’armes dont la puissance de feu est dérisoire! D’ailleurs, le combat est achevé et perdu. Un bulldozer avance sur notre position. Il avale le terrain, ébranle les murs. La maison s’écroule. “Il faut rassembler les hommes et prendre une décision”, dis-je à Monami. Je fixe les décombres de la maison. Mes manuscrits sont perdus. Deux sentiments me traversent: cela n’a aucune importance, la littérature est un projet voué à l’échec, et, c’est terrible, la perte est irrémédiable.
Voitures
De Budapest, Monpère m’adresse des messages empressés: “aucune décision irraisonnée!”, “nous en sommes à la case tant redoutée du garagiste!”, “l’automobilistique est une médecine opaque!”. Cependant, je suis sans voiture. Or, je dois rencontrer un éditeur à Bienne, parler à la radio à Lausanne, transporter des meubles et livrer des affiches. Au magasin, je convainc notre gérant de me céder l’Opel de service. Il marmonne dans sa barbe. Il minaude. Visiblement, je mets en péril son confort. J’insiste: après tout, la voiture appartient à l’entreprise et l’entreprise m’appartient, c’est donc ma voiture. Sur ce, je file à la Sallaz, dans les studios d’Espace 2, enregistrer en direct l’émission Entre les lignes, puis retrouve Claude Marthaler (un de mes héros) pour une interviewe. Dans l’après-midi, je retrouve le gérant au magasin. Il a trouvé la solution, il livrera mercredi: je dispose de l’Opel. J’appelle le garagiste de Oron.
- J’arrive!
- Alexandre, je partais pour la chasse.
- Trois quart d’heures.
Et je me trompe de route: je roule en direction de Vevey et de Fribourg. Je ratrappe le coup, je coupe par Forel. Le garagiste est penché au-dessus du moteur de la BMW. Il me présente son copain d’équipée.
- Belle voiture! remarque ce dernier.
De fait, c’est la plus luxueuse du village. Il y en a une autre, une série 6, modèle coupé, mais elle en vitrine. Le week-end dernier, alors que nous montions à la ferme avec les enfants pour l’anniversaire de Mamère, nous nous sommes arrêtés devant la halle d’exposition de Châtillens. Profil gracieux, cuir anthracite, options, toit décapotable, quatre mille cm3.
- Il faut déposer le moteur Alexandre.
Je hoche la tête: comment pratique-t-on une telle opération sur une limousine qui semble construite d’une seule pièce? Le garagiste a une idée. Il lève le doigt, me fait signe d’attendre, rentre dans son bureau. A son ami qui admire les pneus extra-larges, je dis:
- Il ne faut jamais prêter sa voiture à son père (d’après l’échange, il a compris que mes ennuis mécaniques sont dus au fait que le radiateur a chauffé alors que Monpère conduisait la BMW en direction de Budapest).
Puis, m’apercevant de l’âge de mon interlocuteur, j’ajoute:
- Remarquez, les pères disent pareil: il ne faut jamais prêter sa voiture à son fils!
Entre temps, le garagiste a fourré un doigt dans sa bouche et parle à haute voix “il y a ce gars… nom debleu … comment déjà… euh…”.
Il apostrophe son ami:
- Bendji, il s’appelle comment ?
“Bendji, songé-je à part moi, qu’est-ce que c’est que ce nom?“
L’autre, du tac au tac:
- Nicole! Tu parles de celui de Saint- Martin?
Et moi:
- La station service sur la droite de la route en direction de Crattavache?
- Non, en bas, dans le trou.
- Ah, oui, bien sûr, je lui ai cacheté ma deuxième BMW, il y a quinze ans.
Le garagiste compose le numéro et en attendant que ça décroche:
- C’est ennuyeux cette bielle coulée Alexandre…
La semaine dernière c’était un piston, puis un cyclindre. Aujourd’hui, c’est une bielle.
- A moins que ce soit un tuyau qui emmerde, fait encore le garagiste. Et soudain: Bendji? Oui, oui. Bien, merci.On va pas tarder, si tu veux savoir! Et comment! …sur tout ce qui bouge. Bon, c’est pas tout, écoute! J’ai Alexandre ici.
Il explique l’affaire, puis conclut : “moi je ne me risque pas à déposer le moteur, tu comprends?“
S’ensuit une longue tirade de Bendji et le garagiste place la main sur le haut-parleur:
” Il a viré tout son personnel”
“Il en pouvait plus”
“Il a sept voitures de retard et il est tout seul dans sa crémerie”.
Pourt dire quelque chose, je dis:
- Ne me parler pas du personnel!
L’ami approuve, puis se tourne vers la BMW:
- Quand même, c’est de la bagnole!
Puis le garagiste:
- Il va voir s’il peut vous la prendre…
J’en profite pour demander:
- Et la série 6 que vous avez en vitrine?
- Jolie.
- Oui.
- Neuve.
- Oui?
- Tout comme! 20’000 bornes.
Gardant le téléphone plaqué contre l’oreille, il ouvre un étui. Apparaît un permis de circulation et la photo d’une femme blonde.
- Une Américaine, partie aux Etats-unis. Faites une offre, Alexandre!
- Ce qui m’ennuie c’est la neige. Là où je vais, il neigera. La capote, c’est pas terrible pour la neige.
Mais Bendji est de retour. Mon garagiste écoute, remercie, raccroche.
- Bon, eh bien, vous me la laissez, je la fais voir à Bendji et puis… et puis rien, on avise.
Soulagé, je le remercie. J’éprouve la même sensation que le patient à qui le dentiste déclare: “ce sera tout pour aujourd’hui”. Pourtant, mon problème c’est pas résolu. Le 15 décembre, je pars pour Macassar dans le sud des Moluques. Au retour, il neigera èà Munich où je dois trouver un appartement et je serai à Lausanne. Et puis il y a Monpère. Tantôt, je lui disais: “je la fais réparer puis je te la donne. Mais alors, je ne veux plus en entendre parler¨” Or, il hésitait: “Oui, oui… je pourrai même te rembourser… ou la revendre… mais à l’usage, c’est tout de même une voiture chère.“
Pendant ce temps, le garagiste et son ami ont décroché leurs fusils et passé des vestes à gibecière.
- En tout cas, votre papa ne devrait pas la rouler comme ça jusqu’à Budapest, même à petite vitesse…
Le garagiste ferme le bureau, me tend la main. Je le remercie, je salue l’ami. Tous deux s’engagent dans la forêt, je monte à bord de l’Opel. A peine ai-je démarré, le portable sonne. C’est Monpère:
- Tu veux des duvets? J’ai un contact ici. De vrais plumes d’oies. On en profiterait pour les faire descendre avec les gars qui viennent pour ton déménagement.
Gormiti
Anxieux à l’idée de cette tribune libre que je me suis engagé à rédiger pour la revue Études. En cause, le “devoir”. Lundi, la fatigue due au sport et à l’alcool m’amène à repousser le travail. Mardi, je fais des repérages de mobilier urbain dans le quartier du Torry puis me rends à Lausanne pour une interview. Dès lors le temps presse. Dans quelque jours, Gala sera à Fribourg, puis les enfants ont leurs vacances d’octobre. Alors, impossible d’écrire en liberté. Or, c’est précisément dans cet état d’anxiété mêlé de devoir, que le texte, avant même la première ligne tracée sur le papier, prend forme mentalement. En fin de compte, en quelques heures de travail, en entrecoupé d’un dîner à la cantine universitaire où je ne vois rien de ce qui m’entoure, je boucle le travail. J’envoie, j’attends. La rédactrice est positive. Bien heureux que je suis! Elle s’exclame: jamais je n’aurai pensé recevoir ta contribution si vite, la publication est prévue pour février. Oui, lui dis-je, mais ensuite, mes livres seront sous carton, mon ordinateur déplacé, j’ai un examen de Krav Maga, un marathon à courir et un billet d’avion pour Kuala Lumpur. Ainsi rassuré, je me mets au lit. Pendant le sommeil se met en place le projet Gormiti: comment traiter d’une maladie qui ne se voit pas, n’existe pas, ne tue pas, et pourtant, a déjà tous les traits de l’épidémie? Au réveil, j’ai quarante questions, façon interview de sociologie, que j’imagine poser à des gens choisis au hasard dans la foule, ceux qui qui se baladent coupés du réel, scrutant les images que leur renvoient leur téléphone mobile, un casque d’écoute sur la tête, ignorant dans quelle ville, quel pays, quel espace ils se trouvent.
Krav Maga
Combat contre le professeur. Ceinture noire, troisième dan. Il se retient de frapper trop fort, se met en défense. Je frappe, je touche. Au nez, au menton, aux parties, au genou. Forcé de réagir, il attaque, balance un coup de pied circulaire sur le nerf de la cuisse et aussitôt un second coup de pied au même endroit — sou l’effet de la douleur, je perds l’équilibre. A la fin du combat, il explique:
- En général, j’en met un troisième de la pointe du pied, cela fait tomber l’adversaire. Bien sûr, dans la rue, mieux vaut casser les deux jambes par balayage.
Quatre jours plus tard, je n’ai toujours pas repris l’entraînement de course.