Mois : avril 2023

Westwind

Qui est le nom d’un cen­tre com­mer­cial géant près de la gare cen­trale de Budapest. Struc­ture à la nip­pone, dix étages d’en­seignes, en par­tie souter­raine une “food-court”: les clients achè­tent des ham­burg­ers. Le plateau à la main ils font la queue en atten­dant qu’une table se libère. 

Avion 2

Hon­grois à mous­tache celte. Il me tend un bon­bon à la régisse: “Pour les oreilles”. Cour­tois, j’ac­cepte. Vingt ans que je n’ai pas sucé de bon­bon. Le Hon­grois s’en­dort, je recrache le bon­bon, l’emballe, l’en­fonce dans la poche du siège. Tout à l’heure j’achèterai un vin, aupar­a­vant, je dois effac­er le goût de la réglisse. Devant moi, un autre Hon­grois. Cou de boeuf, ven­tre rond, épaules car­rées. Il feuil­lette le mag­a­zine de bord, il s’in­téresse aux chips. J’at­trape le même mag­a­zine mais ne trou­ve pas la sec­tion mini-bar. Penché par-dessus le gros Hon­grois, je repère les pub­lic­ités de son mag­a­zine pour trou­ver la page mini-bar dans le mag­a­zine. Je ne trou­ve pas. Le ser­vice com­mence. Le char­i­ot est au niveau des toi­lettes. Juste après il est à ma hau­teur. Aucun pas­sager n’a fait d’achat. Je com­mande un vin rouge Hajós-Bajai. Le Hon­grois à mous­tach­es se réveille: “je sens que nous avons le vent dans le dos, nous allons rat­trap­er notre retard”. 

Avion

Arrivé au guichet d’en­reg­istrement de Wizz air trois min­utes avant la fer­me­ture. Jusqu’au moment où l’employé referme la main sur mon bagage, je me demande: va-t-il l’ac­cepter? Il ne resterait qu’une solu­tion: aban­don­ner la valise pour mon­ter dans l’avion. Tout s’en­chaî­nait bien pour­tant depuis le départ d’A­grabuey, voiture, train région­al, train nation­al, jusqu’au métro à Barcelone… Trois liai­son par heure Sants-El Prat. Le train est en retard. Il n’ar­rive pas. Quand la rame démarre, elel lam­bine à tra­vers une ban­lieue en travaux. En fin de compte, je fran­chis les obsta­cles, mais dans quel état. Essouf­flé, décoif­fé, détrem­pé (cou­ru à tra­vers les ter­minaux la valise à la main), je prends place par­mi les Hon­grois qui atten­den d’embarquer pour Budapest, j’ou­vre une bière, j’avale des pilules pour le cœur, une annonce reten­tit: l’avion est encore au-dessus de Londres. 

Nuit

Veille de voy­age, l’heure pro­jetée au pla­fond de la cham­bre indique que je me suis réveil­lé sept fois d’af­filée au bout de sept min­utes de som­meil. Le mécan­isme est le suiv­ant: je lis l’heure, plonge dans le som­meil, sept min­utes et je me réveille; je lis l’heure, je rep­longe pour sept min­utes. Il est pos­si­ble que la séquence soit pro­duite par le rythme san­guin. Les joncs que j’ai sec­tion­né sur les berges de la riv­ière (exer­ci­ce d’une forte pres­sion pour obtenir des coupes nettes sur des diamètres de 4 et 5 cen­timètres) ont entraîné une douleur lanci­nante dans l’artère opérée. Peut-être même que les stents ont bougé. 

Labour

Plan­té les patates ce matin alors qu’Evola et Shalo­ma dor­ment dans leur car­a­vane. La veille, après la gril­lade et la coupe de fruits, je me suis retiré — il était une heure. Arrivé devant le van, je fais mon lit, je lis quelques pages de Zweig (“Con­science con­tre vio­lence”), j’éteins. Ciel étoilé, lune bleue, der­rière les arbres glisse l’eau de la riv­ière. Un pre­mier rêve. Je me réveille, je me ren­dors. Le som­meil qui suit est léger. Un homme paraît dans le rêve. Il m’empêche de me repos­er. Il pose des ques­tions, toutes sortes de ques­tions. “Un instant, lui dis-je, je sors piss­er et on reprend”. Je me réveille et sors du van par la porte latérale. Nu sur le ter­rain (à demi endor­mi), je me félicite de ma ruse : quand je reviendrai dans le van, le per­son­nage de rêve se sera évanoui. Fin des ques­tions, retour au som­meil. Et les patates? C’est le matin, je des­sine qua­tre rangées dans la terre meu­ble. Sur les berges, je coupe au séca­teur des roseaux que je hache en sec­tions. Ces sec­tions ser­vent à mar­quer l’ex­trémité des rangées. Je creuse les sil­lons à la pelle de jar­dinier. A Puente, j’ai acheté des tuber­cules hol­landais et Arag­o­nais. J’en plante 20 sur qua­tre rangées, reste neuf kilos de planc­tons. Si chaque tuber­cule donne six patates, nous aurons cent-vingt patates en sep­tem­bre. Evola fait ses patates selon une autre méth­ode con­forme au livre améri­cain sur l’a­gri­cul­ture auto­suff­isante: planter en sur­face des tuber­cules ger­més en cui­sine, pailler, arroser la paille. Pen­dant que je tra­vaille la manière tra­di­tion­nelle, je lorgne sur la car­a­vane. Il est midi, il est une heure… Rien ne remue. Cela finit par m’in­quiéter. Je frappe à la porte de la car­a­vane. Un grogne­ment, le cou­ple émerge. Quand Evola paraît sur le champ, il annonce que lui et Shalo­ma ont par­lé, fumé et bu jusqu’à l’aube. 

Clinique

Dans son insur­rec­tion con­tre le réel, le social­isme ter­mi­nal men­ace pour la sec­onde fois en cent ans la civil­i­sa­tion occi­den­tale. Une mal­adie. Une mal­adie qui pour­rit l’e­sprit pour mieux s’at­ta­quer à la chair. Longue incu­ba­tion. Rav­ages vis­i­bles. A terme le corps social suc­combera. Le con­cept d“autointoxication” chez Slo­ter­dijk, de “court-cir­cuit” chez Stiegler cir­con­scrivent pour par­tie ce phénomène: une liq­ui­da­tion de l’hu­man­ité par la pro­duc­tion assistée des miasmes. Dit autrement : “com­ment ren­dre malade puis entraîn­er le malade à aggraver son état”.

Images

La femme qui organ­ise notre séjour sur cette terre appa­raît sur l’hori­zon. Elle est chevelue et bar­bue. Cheveux et barbe sont noirs. Elles respecte les dis­tances. Nul n’est cen­sé savoir qui elle est. Je trans­porte un sac rem­pli de bouteilles de vin. L’une de ces bouteilles est cassée. Les débris ne me blessent pas le dos, le vin ne coule pas, mais je me représente cette blessure, cet écoule­ment. Je monte l’escalier. Dans l’ap­parte­ment la fête bat son plein et cha­cun se demande: est-ce une fête généreuse? Nous sommes de retour dans la ville. Un bâti­ment s’ef­fon­dre. Un autre. Encore un. Le bâti­ment est là, il n’est plus là. Notre groupe panique. N’im­porte quel bâti­ment peut s’ef­fon­dr­er, nous tomber dessus, nous ensevelir. Je prends la direc­tion du groupe, nous courons en direc­tion de la mer. L’eau monte dans le canal. Le ressac men­ace. Je crie: “tous au para­pet!”. Je m’exé­cute. Je patine dans la boue. Les autres n’ont pas suivi. Ils sont engloutis par les flots. Un Alle­mand instal­lé sur une hau­teur répète en alle­mand: “Gibt es Divi­sion?”. A la suite de Mamère, j’en­tre dans une librairie de plusieurs étages. Mamère monte. Je vais der­rière. Aucun livre. Des employés habil­lés de blanc. Ils me dévis­agent. Tou­jours aucun livre. Occupés à des tâch­es de bureau, les employés se deman­dent ce que je veux. Lorsque j’ar­rive au dernier étage, Mamère est de retour dans l’av­enue. Quelqu’un fait rouler une balle de ten­nis sur la chaussée. Les pas­sants essaient de l’at­trap­er. Les voitures freinent. Elles freinent trop tard, il y a des écrasés. Je me pré­cip­ite. Je tape dans la balle. Elle file. Un polici­er veut la saisir. Les pas­sants sont d’ac­cord: il ne faut pas que le polici­er s’empare de la balle. (Elé­ments: Adama Tra­oré-achat de bouteilles de Viñas del Vero-trem­ble­ment de terre de Turquie-Orda, l’hy­dro­cos­mos-fail­lite de la librairie Gilbert-Jeune de Paris-balle de ten­nis aban­don­née sur le ter­rain de Piedral­ma-émeutes de France con­tre plan de retraite.)

Piedralma 2

Le soleil ne touche le van que vers 10h30. C’est alors que je me lève. Evola est déjà au tra­vail dans la champ. Je reprends mon séca­teur et ma scie à branch­es. Couper ces arbres, éla­guer les pointes, net­toy­er les mouss­es, arracher les grim­pants, cela devient une obses­sion. Au milieu de l’après-midi, je bois un litre de Skol puis je reprends le tra­vail. Avant la tombée du jour, j’ou­vre une chemin jusqu’à la riv­ière et me baigne. Nous allu­mons un feu. Assis de part et d’autre du foy­er sur des chais­es pli­antes, nous regar­dons le tra­vail du jour, la falaise, les sap­ins, sur le haut la route qui émerge du défilé (une voiture est passée hier). Le soir les vau­tours volent en cer­cle au-dessus du ter­rain, à l’aube les oiseaux chantent (j’aimerais savoir leurs noms).

Piedralma

José-Anto­nio le métal­lur­giste, un vieil Espag­nol au physique cour­taud, cul­tive un ter­rain sur les berges de l’Aragon. Il fait le tout du pro­prié­taire pour Evola et son amie et moi, détaille les lop­ins de la serre, oignons, cour­gettes, mel­ons, asperges, explique l’ad­duc­tion d’eau et les engrais, mon­tre ses chiens de chas­se et ses out­ils-machines. Nous repar­tons avec un motocul­teur hissé sur le pont de la Jeep. Le temps est radieux. Vingt-deux le jour. Selon l’habi­tude, je gare mon van sur l’an­ci­enne piste de ten­nis de Piedral­ma (qu’An­to­nio a coulée dans les années 1980 pour ses filles), débar­que table, chaise, cui­sine portable et jer­rycan-fontaine, puis rejoins Evola sur le champ. En qua­tre jours nous labourons le car­ré des patates, traçons les plans à légumes et enter­rons les tuyaux d’ar­rosage. Sur cette terre plaine de cail­loux, le motocul­teur sec­oue comme un bœuf de rodéo. J’es­saie, je renonce. Les stent qu’on m’a plan­tés dans le coeur en novem­bre brû­lent comme des clous enfon­cés au marteau. Evola prend la suite. A la place, je taille les pins et les fruitiers. Il y en a cinquante. Cer­tains sont plus que morts. Un film d’hor­reur, une pochette de dark métal. Le soir, Evola fait du pain. La nuit, il gèle.

Racket

Acci­den­té, je suis au lit. Le lit est poussé con­tre une paroi. Il fait nuit. Assis dans le lit, je roule le lit jusque dans la pièce voi­sine où dort Mon­frère. Il est absent. Je véri­fie les toi­lettes. Il est absent. Je vais au ray­on pulls du Chi­nois, passe en revue les pulls, les trou­ve médiocres — “d’ailleurs, me dis-je, je les ais tous”. Une vendeuse chi­noise me con­trôle. Elle a détec­té mon lit au moyen des caméras de vidéo­sur­veil­lance. Il y a une autre cliente. Un femme. Elle est jeune, elles est rapi­de. Elle s’en va. “Un vieil­lard alité, me dis-je, et cepen­dant, cette femme ignore que je me lève quand je veux et court et vole!”. Retour dans la pièce d’habi­ta­tion. La vit­rine donne dans la rue. C’est la nuit. Un homme ouvre la porte de l’ex­térieur. D’autres hommes suiv­ent. Toute une bande. Des mal­frats. Le chef exige que je paie où il me cogn­era. “Je n’ai pas oublié la somme que je dois à Devian le Juif, lui dis-je, com­bi­en?”. Deux cent francs. “C’est drôle, lui dis-je, vous jouez cette scène d’ex­tor­sion comme dans un film améri­cain”, lui dis-je. Me tour­nant vers les enfants: “Vous voyez les enfants, avec la pros­ti­tu­tion, le rack­et est le plus vieux méti­er du monde!”. Effrayée, ma fille Luv cherche de l’ar­gent dans son porte­feuille. “Luv, lui dis-je tout m’aperce­vant que je viens de pronon­cer son nom, il ne faut jamais dire son nom!”.