Labour

Plan­té les patates ce matin alors qu’Evola et Shalo­ma dor­ment dans leur car­a­vane. La veille, après la gril­lade et la coupe de fruits, je me suis retiré — il était une heure. Arrivé devant le van, je fais mon lit, je lis quelques pages de Zweig (“Con­science con­tre vio­lence”), j’éteins. Ciel étoilé, lune bleue, der­rière les arbres glisse l’eau de la riv­ière. Un pre­mier rêve. Je me réveille, je me ren­dors. Le som­meil qui suit est léger. Un homme paraît dans le rêve. Il m’empêche de me repos­er. Il pose des ques­tions, toutes sortes de ques­tions. “Un instant, lui dis-je, je sors piss­er et on reprend”. Je me réveille et sors du van par la porte latérale. Nu sur le ter­rain (à demi endor­mi), je me félicite de ma ruse : quand je reviendrai dans le van, le per­son­nage de rêve se sera évanoui. Fin des ques­tions, retour au som­meil. Et les patates? C’est le matin, je des­sine qua­tre rangées dans la terre meu­ble. Sur les berges, je coupe au séca­teur des roseaux que je hache en sec­tions. Ces sec­tions ser­vent à mar­quer l’ex­trémité des rangées. Je creuse les sil­lons à la pelle de jar­dinier. A Puente, j’ai acheté des tuber­cules hol­landais et Arag­o­nais. J’en plante 20 sur qua­tre rangées, reste neuf kilos de planc­tons. Si chaque tuber­cule donne six patates, nous aurons cent-vingt patates en sep­tem­bre. Evola fait ses patates selon une autre méth­ode con­forme au livre améri­cain sur l’a­gri­cul­ture auto­suff­isante: planter en sur­face des tuber­cules ger­més en cui­sine, pailler, arroser la paille. Pen­dant que je tra­vaille la manière tra­di­tion­nelle, je lorgne sur la car­a­vane. Il est midi, il est une heure… Rien ne remue. Cela finit par m’in­quiéter. Je frappe à la porte de la car­a­vane. Un grogne­ment, le cou­ple émerge. Quand Evola paraît sur le champ, il annonce que lui et Shalo­ma ont par­lé, fumé et bu jusqu’à l’aube.