Mois : août 2020

Bonheur

Tôt réveil­lé et sans inten­tion de me lever, le corps chaud et sta­ble, je mesurais tran­quille­ment mon bon­heur. Jamais, me dis­ais-je, je n’ai eu d’aus­si bon lit ni prof­ité d’un silence aus­si par­fait. Cela me rendait heureux. Plus encore la con­vic­tion qu’il n’y avait per­son­ne pour per­turber cette jouis­sance. Nul ne vien­dra ce matin à ma porte, je n’at­tends pas de poste, je n’ai plus de sit­u­a­tion admin­is­tra­tive; les voisins savent qu’on ne me dérange pas avant midi; je n’ai pas le téléphone.

Opportunité

-Après cet acci­dent, com­ment vous sen­tez-vous?
-Libre.

Barbares

Dieu n’é­tant rien de plus que croy­ance, il sauve la société quand la société entière croit. Notre intel­li­gence nous a per­du. Eux advi­en­nent par la croy­ance. Devi­en­nent ce qu’ils sont. Roue qui tourne devient ce qu’elle est: une roue.

Agrabuey-logiciel propriétaire

Dans l’ex­pec­ta­tive. J’imag­ine, comme cha­cun. Triste con­stat. je cherche que faire, où aller, quand aller et quand faire. Le paysage est tra­ver­sé de murs; que des experts dépla­cent selon des con­nais­sances incer­taines. Hier, par inter­net, une inter­view avec un journaliste(easyJet‑H+). Une heure d’échange. Intéres­sant, agréable, sérieux. Sur la fin, cet aveu touchant: “je vous remer­cie, nous avons pu par­le ensem­ble, cela devient rare”. Peu après, de retour de l’en­traîne­ment, vêtu d’un demi-pyja­ma, je sors mes litres de bière sur le per­ron, nous dis­cu­tons avec le guide et le paysan des nou­velles du jour quand survient la patrouille de la Garde civile (ici, il faut se représen­ter la rue dans laque­lle je vis, non-car­ross­able, non-vis­itée et sec­ondaire, le tout dans un vil­lage de vingt habi­tants). Manque de chance, mon autre voisin, ami cycliste, un avo­cat de Madrid, rejoint sa mai­son avec un cabas, de l’autre main il guide sa fille de 4 ans. Les mil­i­taires l’ar­rê­tent, l’oblig­ent à met­tre le masque : il est à deux mètres de sa porte. Réac­tion immé­di­ate, acquise à l’ado­les­cence, dif­fi­cile à per­dre, je crie: “flics de merde!” et insulte de mon mieux. Inqui­ets, les voisins se retirent. Puis revi­en­nent. Le paysan: “ça me rap­pelle qu’un 13 juil­let, je suis allé coupé un arbre… atten­tion, sur mon ter­rain! Manque de chance, ces gars pas­saient par là, ils m’ont dit, couper, on ne peut pas. Mais c’est mon arbre, ai-je répon­du. Et voyez, je ne l’ai pas arraché, je le coupe pour qu’il repousse. Ils n’ont rien voulu savoir.” 

Suisse

“Vous vivez dans le meilleur pays du monde”, nous a‑t-on dit. Evidem­ment: c’est por­teur. Puis, on nous a répété: “le meilleur pays du monde!”. Tou­jours aus­si por­teur. Après quoi, les autorités ont importé des gens moins doués. Il va de soi, pour leur bien. Qui détient le meilleur doit se faire un devoir: aider. Aus­si faut-il généralis­er l’aide. Com­ment s’y oppos­er? C’est humain. Ne sommes-nous pas, entre tous les humains, les meilleurs? Notre pays a des capac­ité d’aide infinies. Il est le meilleur. Dont acte. Impor­ta­tion de ces mis­érables, vic­times des meilleurs, qui sont la lie de l’hu­man­ité: les négroïdes, les mahomé­tans, les hin­douistes, les cau­casiens, les estropiés, les maffieux, les déviés, les anal­phabètes, les crim­inogènes. Cela ne suf­fit pas. L’hu­man­ité est plus grande que ces excep­tions. Alors nous avons ouvert les vannes : est venu qui voulait con­naître, prof­iter, exploiter, vam­piris­er le meilleur pays du monde. A l’ar­rivée qu’avons-nous? De l’ar­gent. Mais encore? Une poubelle sociale. Qui demeure, nous dit-on, le meilleur pays du monde.

Bientôt

Qu’est-ce que le total­i­tarisme? Une sit­u­a­tion dans laque­lle, quoi que tu imag­ines faire pour échap­per à ta con­di­tion tout est pire que ta condition.

Pour la révolte

Qui sait que l’en­ne­mi de nos lib­ertés, ce chan­cre suisse que je pro­po­sais déjà d’en­fer­mer il y a vingt-trois ans, le haut nihiliste Klaus Schwab, clown vio­lent au ser­vice des vio­lents, vient de pub­li­er fin juil­let un livre dans lequel il annonce le monde d’après l’épidémie tel qu’il doit être, c’est à dire tel qu’il le veut, c’est à dire tel que les meilleurs voy­ous du monde le veu­lent ? D’au­tant plus décidé qu’il va mourir dans quelques mois, vieux, affaib­li, sans autre morale que l’ar­gent et la mal­fai­sance, il affirme : “Beau­coup d’en­tre nous réfléchissent au retour à la nor­male. La réponse est: jamais.”.

Aubisque

A l’aube, tan­dis que le vil­lage dort, nous char­geons les vélos avec ordre, pré­cau­tion, pour les plus soigneux anx­iété. Un vélo, une couche, un vélo, une autre couche. Le dernier est avan­tagé, cer­tain que son cadre ne risque aucun dom­mage. Ma voiture étant la plus volu­mineuse à cinquante kilo­mètres à la ronde, c’est elle que nous util­isons. Moins agréable — elle est mienne — c’est moi qui con­duit. Le col étroit de l’autre nuit, le Marie-Blanque et sous le soleil nais­sant, ce plateau mag­nifique aux pâtures sauvages, le Benous. A mon habi­tude, j’ai mal dor­mi. Soyons exact, je n’ai pas dor­mi. Couché à 23h00, je suis allé boire la tisane du réveil à six heures aus­si fâché, per­tur­bé, nerveux qu’au moment de rejoin­dre la cham­bre. Et pour cause, je brise mon rythme, je crains de man­quer mon ascen­sion du col et je viens de me quereller — encore — avec Gala. Mais je con­duis de mieux en mieux, pour la pre­mière fois capa­ble de négoci­er les virages sans frein­er, peut-être que la tech­nique apprise à vélo m’aide pour l’au­to­mo­bile. A Laruns, devant le col­lège munic­i­pal, cha­cun se pré­pare. Ce matin, nous sommes six. Le juge de Saragosse, depuis qu’il a cessé de boire ses deux litres de rouge quo­ti­di­ens plus fin qu’une algue et plus véloce qu’un cham­pi­on ; le maire, un maçon au physique bon­homme, à la force insoupçon­née; l’av­o­cat, en afi­ciona­do du cyclisme, prêt à tout, le pire étant à ses yeux tou­jours le meilleur; un fan de foot­ball cata­lan dés­espéré, la veille son équipe a pris huit buts devant le Bay­ern. Après la sta­tion élec­trique de Laruns, pre­mier virage mou et large, puis le pan­neau. Il annonce: 1709 m, quinze kilo­mètres de mon­tée. Le juge se met en danseuse et décroche. Je pour­su­is. Les autres hési­tent. Des rap­ports plateaux-pignons, j’ig­nore tout. Il serait utile d’ap­pren­dre. Depuis le temps! Mais pédaler, pédaler et pédaler. Tout est là. Tant que l’on peut, on peut. Tout de même, je sur­veille le rythme car­diaque. Au-delà de 156, je sors de la zone de con­fort. 162 bpm, dès que j’en­gage la pour­suite. Avant la sta­tion de ski, je décroche. Vite rat­trapé par le maire d’A­grabuey. Que je ne lâche plus. L’én­ergie me vient de la rage vécue la nuit, sous la pres­sion des événe­ments, des nou­velles, de la merde poli­tique. S’il faut s’ef­fon­dr­er, autant que ce soit sur une pente. Une heure et quar­ante-qua­tre min­utes plus tard, la ligne d’ar­rivée de l’Aubisque. Le maire et moi la fran­chissons ensem­ble. Suite à ma dernière accéléra­tion, il avouera : “tu m’as fait mon­ter à 182 bpm”. Après quoi nous descen­dons en file, les six, tels des maîtres. Cinquante min­utes et une pointe à 62km/h (début de l’été, j’avais peur). Et dans la voiture, comme nous ren­trons en Espagne con­tents et fatigués.
-Tu es fiévreux et tu tou­s­sais, non? Mais dans le col, je ne t’ai pas enten­du?
Le maire, por­tant la main à son masque de tis­su, sans le retir­er, alors que nous sommes entre nous, à bord de ma voiture:
-C’est ce masque de merde qui me fait tousser!

Zweig-Le monde d’hier-2020–2

“Cette désin­di­vid­u­a­tion sys­té­ma­tique à quoi tra­vail­lait l’hitlérisme, pré­parait admirable­ment l’Alle­magne à la guerre. Et c’est par là surtout, me sem­ble-t-il, que l’hitlérisme s’op­pose au chris­tian­isme, cette incom­pa­ra­ble école d’in­di­vid­u­a­tion, où cha­cun est plus pré­cieux que tous. Nier la valeur indi­vidu­elle, de sorte que cha­cun, fon­du dans la masse et faisant nom­bre, soit indéfin­i­ment rem­plaçable; que si, Friedrich ou Wolf­gang se fait tuer, Her­mann ou Lud­wig fer­ont aus­si bien l’af­faire, et que de la perte de tel ou tel, il n’y a pas lieu de beau­coup s’af­fliger.”, André Gide, Jour­nal, 1944.

Zweig-Le monde d’hier-2020

For­mi­da­ble désar­roi. Jamais je n’eus imag­iné me trou­ver dans cet état par le seul effet des nou­velles sociales et poli­tiques.  L’heure n’est plus au diver­tisse­ment heureux de l’e­sprit. J’en­vis­age d’ar­rêter ces notes. C’est à peine si j’ose dire ce que je viens d’ap­pren­dre. Mieux vaut le taire. Le remâch­er. Coalis­er les forces. Autour de moi, au vil­lage d’A­grabuey, on me rétorque “ça va aller”. De deux choses l’une, où je suis fou, ou ils sont fous, c’est à dire si bien adap­tés à la pente sur laque­lle on les pousse qu’ils ignorent qu’elle finit à l’abîme.