Mois : août 2020

Agrabuey

Au vil­lage, les voisins s’é­ton­nent: que fais-je, seul, tout le jour? Moi aus­si je m’é­tonne: que fais-je ? Les étonne surtout l’or­gan­i­sa­tion de cet ordre soli­taire. Que je me lève à onze heures est dif­fi­cile à com­pren­dre. Je ne leur dis pas que, sans pré­pa­ra­tion aucune et quel que soit par ailleurs le régime d’écri­t­ure, de sport ou d’al­cool de la veille, je me réveille comme un seul homme à l’in­stant où l’hor­loge mar­que 11:11. Encore moins ai-je l’in­ten­tion de leur expli­quer le prob­lème qua­si-mys­tique, en fait une plaisan­terie, tout de même une inter­ro­ga­tion depuis que j’ai trou­vé quelques lumières dans la numérolo­gie, que pen­dant des années (aujour­d’hui cela n’est plus) je me tour­nais imman­quable­ment vers les hor­loges à 22:22.

Michel O.2

Face à Onfray, com­bi­en est bril­lant l’his­to­rien des idées Jean-Michel Besnier. Tant par les idées que par l’écri­t­ure. Il est vrai qu’il ne recherche pas le spec­ta­cle, ce temps per­du. Il se con­tente de lire, d’écrire et par son méti­er — il est pro­fesseur — d’ex­pos­er. Para­doxale­ment, trop peu lu, il ne peut pré­ten­dre à l’u­til­ité poli­tique évi­dente d’un Onfray. Le dom­mage est ici con­sid­érable, car sa saisie des prob­lèmes de notre société est bien plus fine que celle de son con­cur­rent, cela peut-être, juste­ment, parce qu’il ne cherche aucune­ment à faire de la politique.

Révolte 2

La terre nous appar­tient. La terre appar­tient aux vivants. Que l’hu­man­ité enfer­mée dans les villes, les lois, les mécan­ismes, les fauss­es rela­tions et les fauss­es promesse, se débat­te, se réveille, se dresse! Une poignée de pos­sédés ne peut sous­traire la terre aux vivants. Ils sont quelques uns et n’ont pas de vraie force. Suf­fit de leur trans­fér­er notre pou­voir! Notre pou­voir est naturel, il est vivant, il est l’hu­man­ité alors qu’ils ne sont que des possédés.

Rêve

Con­traint pour revenir dans le monde à choisir dans une pen­derie un vête­ment qui m’a été con­fisqué et que je cherche entre mille, batail­lant avec d’autres indi­vidus soumis à la même oblig­a­tion, quand j’aperçois qui s’éloigne avec ma veste un incon­nu.
-Eh, toi! Ma…
La phrase accroche. Je relance:
-Ma veste, bé…
L’autre crâne­ment: “Tu vas t’ex­primer à la fin?”.
-Rends-moi immé­di­ate­ment ma veste béjaune couleur urine!
Cela dit sur un tel ton d’au­torité que l’in­con­nu, effrayé, s’exécute.

Autres

On finit tou­jours par faire comme les autres, parce que les autres con­stituent, au pluriel, la réal­ité, c’est à dire le principe extérieur, rela­tion néces­saire. Or, aujour­d’hui, à force de se racon­ter, de se représen­ter, de se dire et de se dédire, notre société incline si bien vers la fic­tion que “les autres” et “ce que l’on dit être les autres” sont des indistinguables.

Michel O.

Enfin inac­t­if, après dix semaines d’un tra­vail intense d’écri­t­ure, je descends ce matin avec le livre acheté pour l’an­niver­saire de Gala (qu’elle n’a pas pas reçu, puisqu’elle est dans la nature), Théorie de la dic­tature de Michel Onfray. J’avoue, je me réjouis­sais. Une lec­ture facile, mais éclairante, pen­sais-je, exacte­ment ce qu’il me faut ce jour. Voilà, je reviens du jardin. Mais quel est ce truc? Doré­na­vant, je com­prends pourquoi, au livre sur les quais, à Morges, il y a deux ans, il y avait devant la table où se tenait cet écrivain, cent per­son­nes, du gosse à la grand-mère, et trois ouvri­ers qui déchargeaient à mesure des vol­umes qui aus­sitôt par­taient en caisse: c’est de la lit­téra­ture pour bache­li­er de sec­tion générale. Et encore! N’ayant jamais rien lu de l’au­teur, je m’emportais un peu vite, jugeant que la divul­ga­tion était en philoso­phie un tra­vail à hauts risques, ce d’au­tant plus que j’ai de la sym­pa­thie pour les posi­tion anti-social­istes (toutes récentes, faut-il ajouter) d’On­fray, mais là, je suis écœuré. Des livres comme Théorie de la dic­tature, n’im­porte quel écrivain moyen peut en pro­duire un par semaine.

Affichage

Inter­dic­tion des man­i­fes­ta­tions cul­turelles. Plus d’af­fichage. Qua­tre mois à l’ar­rêt. Aujour­d’hui, sit­u­a­tion finan­cière cat­a­strophique. Nous, respon­s­ables d’en­tre­prise, ne percevons plus un iota. Quant aux employés, ils n’ont pas encore reçus leurs salaires du mois de juil­let, l’ad­min­is­tra­tion genevoise n’ayant pas rem­boursé, comme l’y oblige la loi, l’ar­gent avancé par notre caisse per­son­nelle, à vide, en juin. Qua­torze employés, autant de familles — en attente. Qui se se plaig­nent, ami­cale­ment, de ce que nous sommes : des chefs d’en­tre­prise. Alors que l’E­tat impose des règles à ce statut d’en­tre­pre­neur garan­tis­sant, le cas échéant, de pren­dre le relais. Ce que le moment venu, il ne fait pas. Ain­si, vous cotisez auprès de l’E­tat pen­dant trente ans et on vous traite comme on vous traite. De merde. Plus exacte­ment nous traite merde ces jours un fonc­tion­naire d’E­tat de Genève, perce­vant en date et heure son salaire, Arsim Islami.

Fin de partie

Aujour­d’hui, les écrivains sont lus par des écrivains, les autres s’in­ter­ro­gent: “que ferais-je d’un livre?”.

Dépense

Mon voisin se couche tard et se lève tôt. Il se couche fatigué, aus­sitôt debout se fatigue. La journée, il se dépense. Le soir, il se dépense. La nuit, je ne peux dire. A vingt mètres de notre quarti­er, le maire, autre dépen­si­er, me répé­tait à l’aube, comme nous par­tions pour l’as­cen­sion d’un col du Tour de France: “il ne faut jamais s’ar­rêter, le corps doit bouger.”

Nu

Comme nous descen­dons l’Anayet, pic rocheux aux pentes mieux faites pour les chèvres que pour les hommes, un ran­don­neur hurle dans la pente. En tête du groupe, je me retourne, jette un œil rapi­de et vois qu’il est nu. Les autres, plus lents, pour­suiv­ent, con­cen­trés. L’én­er­gumène s’ap­proche. Sur le point de nous dou­bler, il émet un bruit. Cha­cun se retourne. Pas moi (je sais ce que je vais voir). Le chef d’équipée, sur­pris mais espag­nol, s’ex­clame : “mais enfin t’es à poil!”. Et la con­ver­sa­tion s’en­gage. L’ex­hi­bi­tion­niste a soix­ante ans. Sec comme une réglisse. La bite en pen­de­loque. Jus­ti­fi­ant. Puis assez! Il trisse. En moins d’une minute, galopant comme il galope, il prend deux virages le long du sen­tier, me dépasse, s’en va. En bas, qui com­mence l’as­cen­sion, une famille, des goss­es. Je con­tin­ue à mon rythme, puis craig­nant de pass­er pour un pré­somptueux, je m’assieds sur une pierre, attends les com­pagnons. Le guide me dit: “tu as vu?” ‑Oui. “Mais après, tu as enten­du?”. ‑C’é­tait donc ça, ce cri? L’én­er­gumène exhibant son out­il, c’est lui qui avait gueulé dans la mon­tagne après nous avoir dépassés. Parce que le guide, passé le bref échange, avait pris une pho­to de son out­il. “Et main­tenant, demande le guide, où est-il?” . En effet, on ne le voit plus. Or, l’én­er­gumène n’a pu dévaler aus­si vite. Nous avons 330 mètres de sen­tier, et vis­i­ble. Inqui­et, le guide fait: “Alexan­dre, ce type s’est embusqué, il m’at­tend, il va surgir!”.