Mois : avril 2019
“Luxury Hotel”
Activité 2
Dans un chariot dont elle actionne les roues au moyens de manettes, une handicapée, femme vieille, joyeuse et vive, arpente les rues du centre de Vientiane à l’heure où je m’installe devant l’épicerie. Le premier jour, un chien noir paraît avant son arrivée. Le lendemain, il paraît après son arrivée. Le jour suivant, il marche à côté du chariot, part et revient. Quand la femme pousse sur les manettes pour s’en aller, il est couché au sol. De l’autre côté du carrefour, elle lui parle. Le chien ouvre l’oeil, dresse l’oreille, se tourne. Il hésite. Il semble demander conseil. Je ne bouge pas. Une autre phrase de la femme, longue, une sorte d’explication, et le chien se décide.
Activité
A Vientiane, chaque après-midi, lorsque la température passe sous la barre des 40 degrés, je prends place sur un banc de étal devant une épicerie qui garde de la Laobeer au frais. Les chauffeurs, les gardiens de porte, et les maçons qui construisent l’immeuble voisin achètent des jus de mangue, de melon et d’ananas frappés avec de la glace. Dès le troisième jour de ce rituel de fin de journée — saluer la dame qui se tient dans son antre parmi les paquets de chips et les savons, ouvrir l’armoire, prendre une Laobeer, payer 10’000 Kip, s’asseoir sur le banc — la dame s’est aperçue qu’elle pouvait aussi bien transformer son épicerie en café, elle a donc sorti une table et des chaises sur le trottoir. Le reste du temps, le menton dans les mains, elle regarde des reportages sur les animaux polaires, ours de Sibérie, Rennes lapons, loups kazhaks.
Sidéral
Sans Dieu, et il n’en faut pas, l’homme n’a que son énergie native, c’est à dire, face aux obstacles du temps et de l’espace, la perspective de s’éteindre. Il produit ainsi moins de lumière qu’il n’en produisait à la surface de la terre quand il levait les yeux vers le ciel, le dirigeait vers les grottes ou fermait les yeux. Il vit, en gaspillant son énergie, une apogée. Le cerveau panique. Et le corps. C’est bien. C’est juste. Des facteurs de vitesse et d’entropie. La lumière s’éteint. Preuve qu’elle a éclairé. L’homme ne vit que pour mourir. Tel est son humanité, un héroïsme. Hélas, il y a encore sur l’écorce habitable de larges fractions de primitifs qui prient du bois.
Grünewald
Monfrère donnait la bastonnade au Christ.
-Enfin, disais-je, il a un problème de couple, c’est une affaire privée, laisse-le vivre!
Alors, pour protéger le Christ, je l’embrassais. Je le trouvais caricatural et sanglant, poisseux et poussiéreux, et couronné d’épines comme dans les peintures de Grünewald.
Indiens
Lieu calme. Mesure, courtoisie. Là où je suis en cet instant, à l’étranger, en Asie du sud-est. Arrive un Indien d’Inde. Parlé du Commonwealth, peau orange. Il envahit. Gesticule. Occupe. Comme s’il était une foule. Phénomène biologique. Contagion. A se battre à domicile avec la foule on a sur soi ses stigmates. Bombay, New-Delhi, Calcutta — des termitières. Chinois: avec quelques nuances, même effet de masse, même niveau sonore, même agonie existentielle, et cela même si l’individu est projeté dans le monde telle une météorite, c’est à dire seul, touriste seul (ce qui est rare): ils occupent à la fois l’espace et le temps.