Mois : septembre 2018

Retour d’Espagne

Arrivé en soirée à Balaruc chez Mar­tinez où, selon l’habi­tude, je vais chercher la clef du por­tail, ouvre de l’in­térieur, gare entre les oliviers, referme de l’ex­térieur, tra­verse le jardin des curistes et les cuisines de la pen­sion pour retrou­ver le maître d’hô­tel, sa large tête sur nœud de papil­lon et sa chemise noire. “Bon’­soir! Vous man’gerez tan-tôt?”. Gala demande des huîtres et une table au milieu des plantes. Nous allons à la phar­ma­cie. Dix per­son­nes atten­dent debout, de tra­vers, chenu et trem­blant, bronzé et malade. Ce que doit acheter Gala? Dans tous les cas, c’est urgent. Cela, tous les jours, où que nous soyons. J’achète un litre de bière, avise un banc. Sous les pins, un bouliste joue seul. Il pointe et dégage la boule qu’il vient de jeter dans le sable. Lente­ment, fier de son coup, cher­chant à savoir si les pas­sants l’ont vu faire, il récupère alors son jeu, recom­mence. Vise, lance la pre­mière boule dans le ciel. Elle atter­rit à un mètre d’un enfant qui se promène avec son papa. Ni l’un ni l’autre ne réagis­sent. A nou­veau le bouliste pointe, dégage — je bois. “Il y en a pour un moment”, dit Gala du seuil de la phar­ma­cie. Peu importe, je viens de con­duire sept cent kilo­mètres, j’ai les fess­es su run banc, je suis en sécu­rité. J’en prof­ite: je lui demande ces pilules que j’avale chaque matin depuis que je suis vieux (ce qui remonte à la pre­scrip­tion en mai d’un traite­ment “pour faire baiss­er votre pres­sion Mon­sieur Friederich”). A gauche du banc, une bou­tique de chif­fons bigar­rés et pen­de­lo­ques de coquil­lages. Un cou­ple de curiste regarde les robes au ralen­ti. Prob­a­ble­ment font-ils de même tous les jours. Vers la mairie com­mu­niste, une pizze­ria. Lorsque j’ai décap­sulé ma bière, la ter­rasse était vide, une gamine répé­tait des galipettes sur la pelouse. Main­tenant, dix per­son­nes sont assis­es, la fille prend la com­mande. Quand elle ne com­prend pas les clients, elle crie en direc­tion de la salle de restau­rant:  “maman, je com­prends pas!”. Plus tard, nous man­geons l’assi­ette de char­cu­terie et les huîtres, l’en­trecôte et le canard, les fro­mages et la glace sous un palmi­er, dans le jardin aux tortues. Comme je fais observ­er au maître d’hô­tel, “c’est un jardin excep­tion­nel!”, il me répond: “nous n’ar­rosons jamais.”

Dictée

Ren­trée des class­es. De la bière sur les pupitres. Chaque verre est dif­férent. Je cherche le mien. Pour trou­ver ma place, il me fau­dra en out­re crois­er cette infor­ma­tion avec les objets per­son­nels dis­posés sur le pupitre. Quand la chaise est libre, le pupitre net, il me faut encore recon­naître le verre: plusieurs ont la même forme. Le pro­fesseur s’as­soit. Il com­mence la dic­tée. Je prends place. Ne trou­ve pas de papi­er. Devant moi, les feuilles sont pleines d’écri­t­ure. Le pro­fesseur dicte deux, trois phras­es. Tout en cher­chant du papi­er, je répète men­tale­ment. Un voisin me tend un bloc. Il est mac­ulé. Est-ce qu’à la fin de la dic­tée, je pour­rai recopi­er sur un autre élève? Me dis-je. Et tan­dis que la classe tra­vaille, je me représente dés­espéré cette absence de papier.

Vladimir 2

Le 1er juil­let, je fai­sais référence dans une note au dis­si­dent russe Vladimir Boukows­ki, à sa lutte héroïque et à ce texte auto­bi­ographique rela­tant son incar­céra­tion chez les fous pour cri­tique du régime, Une nou­velle mal­adie men­tale en U.R.S.S: l’op­po­si­tion. Il y a quelques années il dis­ait d’ailleurs son inquié­tude face à l’ad­min­is­tra­tion brux­el­loise et ses dogmes anti-démoc­ra­tiques, dis­tin­guant dans cette vaste machiner­ie une réplique du mod­èle sovié­tique des années noires. Il voy­ait juste. La France a franchi le pas ce matin. Dans ce pays, l’op­po­si­tion est désor­mais offi­cielle­ment une mal­adie men­tale. Il ne suff­i­sait pas aux employés locaux du cap­i­tal sac­ri­fi­ciel de nier la race et la reli­gion des immi­grés en référant les meurtres qu’ils com­met­tent sur le ter­ri­toire de l’Eu­rope (et revendiquent sans ambiguïté) à la folie, ils vien­nent d’ex­iger une exper­tise psy­chi­a­trique de Marine Le Pen. Instru­men­tal­isée par les monopoles marchands, l’idéolo­gie col­lec­tiviste installe ain­si la même la ter­reur que la Russie de par­ti unique, engageant les tri­bunaux dans la voie du men­songe et du déni de réal­ité, du fan­tasme et du ressasse­ment des faux sym­bol­es, de la dénon­ci­a­tion des crimes de pen­sée et de la mise à l’é­cart des non-conformistes.

Sommeil

S’en­fouir dans le som­meil non pour y trou­ver un sec­ours mais un oubli aus­si long que le temps.

Voyage au Congo

Descrip­tion de la remon­tée du fleuve Con­go que donne Gide dans ses car­nets. Elle est pic­turale, presque d’un pein­tre. A l’op­posé des réflex­ions cul­tivées de l’au­teur. L’écrivain sem­ble aba­sour­di devant tant de nature. Forêts, vil­lages, ciels, ani­maux, tout est brut et inas­sim­i­l­able pour un esprit affiné. D’où cette approche rétini­enne que dépar­ent les lec­tures de l’au­teur, éru­dites: “Le Ruby est flan­qué de deux baleinières aus­si longues que lui, chargées de bois, de caiss­es et de nègres. Il fait frais, moite et ter­ri­ble­ment orageux. Dès que le Ruby se met en marche, trois nègres com­men­cent un assour­dis­sant tam-tam, sur une cale­basse et un énorme tam­bour de bois long comme une couleu­vrine, grossière­ment sculp­té et pein­turluré.
Relu l’o­rai­son funèbre de Marie-Thérèse d’Autriche. Admirables pas­sages; je crois bien que je le la préfère à celles des deux Henriettes.” 

Boxe

Same­di à Las Vegas, spec­tac­u­laire match de boxe entre les deux cham­pi­ons de la caté­gorie poids moyens Saul Cane­lo Alvarez, le Mex­i­cain et Gen­nady Golovkin, le Kaza­kh. Tech­nique, puis­sant, pré­cis. Résis­tance impres­sion­nante des com­bat­tants, volon­té sans pareil. Cela, dans le respect de l’esthé­tique de ce sport entre tous le plus exigeant.

Dix semaines

Enfin la pluie après l’or­age. Des gouttes épaiss­es semées de grêlons. De la tour de l’église roulent des trombes d’eau. L’eau rebon­dit sur les march­es, envahit la rue, va à la riv­ière. Chez Igna­cio les pommes trem­blent, les pétales de ros­es volent. Il pleut égale­ment au salon, sur le téléviseur, la con­sole, le clavier. Dix semaines qu’il n’é­tait rien tombé. 

Existence

Un exis­tence dure le temps qu’il faut pour pren­dre con­nais­sance de l’ensem­ble des choses qui en font par­tie y com­pris les spécu­la­tions sur les alter­na­tives et le con­stat de l’impossible.

Pain

Du beurre sur le couteau, je suis le pre­mier arrivé dans la boulan­gerie. La vendeuse est absente. Dans les machines, dans la farine, des sil­hou­ettes de femmes. Aucune ne fait le ser­vice. Les clients s’en­tassent. J’af­frète une bus, nous mon­tons. La boulangère à emprun­té le même cir­cuit: il faut la ramen­er.
-Mets l’au­to­toire, dit mon copi­lote.
Je ne bouge pas.
-L’au­to­toire!
-Quoi? Qu’est-ce que c’est?
-L’au­to­toire, l’au­to­toire!
Furieux, je lui jette des bouteilles à la fig­ure:
-Parce que toi tu as lu les cinq cent pages du manuel, tu les as lues? Eh bien moi non plus!
-L’au­to­toire, dit-il d’un air désolé, c’est la fonc­tion qui nous recon­duit le véhicule à la boulangerie.

Samizdat 2

Dans une cri­tique de la NRF de 1987, Lau­rand Kovacs com­mente le livre d’Ax­ionov Un petit sourire s’il vous plaît: “Il mon­tre com­ment les valeurs qui fondent le pou­voir, et le pou­voir lui-même, sont con­fisqués au prof­it d’une caste de con­ser­va­teurs et de ren­tiers de la Révo­lu­tion. De leur côté, tant qu’ils restent sages, les artistes béné­fi­cient d’a­van­tages con­sid­érables: ils sont les ali­bis stipendiés de l’or­gan­i­sa­tion qu’ils nar­guent en un défi permanent”.