Retour d’Espagne

Arrivé en soirée à Balaruc chez Mar­tinez où, selon l’habi­tude, je vais chercher la clef du por­tail, ouvre de l’in­térieur, gare entre les oliviers, referme de l’ex­térieur, tra­verse le jardin des curistes et les cuisines de la pen­sion pour retrou­ver le maître d’hô­tel, sa large tête sur nœud de papil­lon et sa chemise noire. “Bon’­soir! Vous man’gerez tan-tôt?”. Gala demande des huîtres et une table au milieu des plantes. Nous allons à la phar­ma­cie. Dix per­son­nes atten­dent debout, de tra­vers, chenu et trem­blant, bronzé et malade. Ce que doit acheter Gala? Dans tous les cas, c’est urgent. Cela, tous les jours, où que nous soyons. J’achète un litre de bière, avise un banc. Sous les pins, un bouliste joue seul. Il pointe et dégage la boule qu’il vient de jeter dans le sable. Lente­ment, fier de son coup, cher­chant à savoir si les pas­sants l’ont vu faire, il récupère alors son jeu, recom­mence. Vise, lance la pre­mière boule dans le ciel. Elle atter­rit à un mètre d’un enfant qui se promène avec son papa. Ni l’un ni l’autre ne réagis­sent. A nou­veau le bouliste pointe, dégage — je bois. “Il y en a pour un moment”, dit Gala du seuil de la phar­ma­cie. Peu importe, je viens de con­duire sept cent kilo­mètres, j’ai les fess­es su run banc, je suis en sécu­rité. J’en prof­ite: je lui demande ces pilules que j’avale chaque matin depuis que je suis vieux (ce qui remonte à la pre­scrip­tion en mai d’un traite­ment “pour faire baiss­er votre pres­sion Mon­sieur Friederich”). A gauche du banc, une bou­tique de chif­fons bigar­rés et pen­de­lo­ques de coquil­lages. Un cou­ple de curiste regarde les robes au ralen­ti. Prob­a­ble­ment font-ils de même tous les jours. Vers la mairie com­mu­niste, une pizze­ria. Lorsque j’ai décap­sulé ma bière, la ter­rasse était vide, une gamine répé­tait des galipettes sur la pelouse. Main­tenant, dix per­son­nes sont assis­es, la fille prend la com­mande. Quand elle ne com­prend pas les clients, elle crie en direc­tion de la salle de restau­rant:  “maman, je com­prends pas!”. Plus tard, nous man­geons l’assi­ette de char­cu­terie et les huîtres, l’en­trecôte et le canard, les fro­mages et la glace sous un palmi­er, dans le jardin aux tortues. Comme je fais observ­er au maître d’hô­tel, “c’est un jardin excep­tion­nel!”, il me répond: “nous n’ar­rosons jamais.”