Mort à vingt-quatre ans, Lautréamont, dont on ne sait à quoi il succombait, est peut-être mort deux ans plus tard. Venu de Montevideo étudier dans les Pyrénées — Pau et Tarbes– puis à Paris où il écrit les Chants, il est inhumé dans une fosse commune en 1871, exhumé l’année suivante, à nouveau enseveli. Etrange constat pour notre époque si proche qui cultive le détail jusqu’à l’aberration, l’acte de décès du poète mentionne “sans autres renseignements”; à distance, cependant les enquêtes, on ne sait toujours pas.
Mois : juin 2018
Francis
Fukuyama avait raison- ce qui confirmerait, c’est mon avis, qu’il était commandité par les think-tanks néo-libéraux- nous touchons à la fin de la dialectique, c’est à dire à l’inopérabilité de l’argumentation dans un système techno-instrumental qui projette toute position de discours sur un écran blanc où aussitôt il s’efface au profit de la narration générale
Simple
Compris. Enfin! Ils — sont plus nombreux. C’est tout. C’est assez. Du moins dans l’esprit des malfaisants. Par voie de conséquence, c’est eux, le nombre, que le pouvoir, pour demeurer pouvoir, favorise. Contre l’Europe mourante. Entendre: ses habitants. Et — par voie de conséquence (toujours) — les communautés résiduelles, égotistes de tous bords, sexualités déviées, écologistes et amis de animaux, anti-cigarette ou pro-éoliennes, mises en service et subventionnées, permettent aux tenants du projet de reconformation du peuple, ces psychotiques découplés, d’occuper la scène et de faire spectacle tandis que le drame — nommons: la destruction de la liberté, celle de la conscience des blancs héritiers de civilisation- s’organise en coulisse.
Allemagne
Station du S‑Bahn Leuchterbergring — si je descends ici, il me faudra marcher le long des chantiers, des immeubles de bureau, longer les routes d’accès du périphérique. Dépliant la carte du réseau, je constate qu’il existe une station Berg-Am-Laim. Pourtant, à l’information de l’aéroport, j’ai bien précisé que c’est là que je me rendais. Extraordinaire, ce sentiment d’être affronté à des gens qui ne font pas leur travail! Auparavant, même situation, cette fois dans une boutique de téléphonie. D’habitude, je n’utilise pas de portable, mais je viens de faire deux mille kilomètres pour rejoindre Gala, mieux vaudrait qu’elle puisse me joindre si elle ne trouve pas l’hôtel. Sauf que la vendeuse fouille son tiroir à la recherche d’une carte SIM pour équiper l’appareil à Fr. 5.- que j’apporte, après avoir retourné ma carte d’identité demande “ce que c’est”, photographie la carte recto-verso, pianote mollement sur son écran et déclare:
-Je ne peux pas, c’est bloqué.
Moi qui ai fait des efforts pour que mes phrases allemandes soient correctes, je ne comprends pas les siennes qu’elles à dû obtenir sur internet en copié-collé avant de venir poser ses fesses dans la boutique.
-What language do you speak? Lui dis-je excédé.
Et je veux dire “de quel tiers-monde sortez-vous?”, ce qui la pique au vif. A quoi elle répond (en allemand d’internet):
-C’est bloqué.
Et voici que les dames de l’aéroport, celles-ci toutes munichoises, ne savent pas qu’il existe une station Berg-Am-Laim. J’y descends. Matériellement, par des escaliers, puisque la voie est aérienne, et me retrouve dans un quartier que je connais pour y être venu plusieurs fois à vélo mais dont je ne sais pas du tout l’insertion dans le plan général de la ville. J’emprunte un tunnel, aboutis sur un chantier. Repars dans l’autre direction. Là, une droguerie et un supermarché que je reconnais, nous y avons bu une limonade avec les enfants en août dernier. A une dame, je demande le Holiday Inn. J’énonce la rue. Elle explique. D’une manière si confuse, que je finis par dire:
-Là, tout de suite… à gauche ou à droite?
Confusion d’autant plus étonnante que la rue recherchée est à cent mètres. Une fois repérée ma direction, je m’installe sur la terrasse d’une Tratoria, commande de la bière et — pour la première fois depuis sept, huit, dix ans? — une pizza. Que je goûte à peine, plongé que je suis, pour la troisième fois, dans la lecture de l’essai de Besnier, “Demain les posthumains?”. Puis l’hôtel, bloc blanc hachuré de vert qui ressemble à un frigorifique (Fr. 160.- la nuit tout de même). La chambre, rectangulaire, vaste, avec écran plat intégré, donne sur un chantier. Au niveau réception, les écrans sont allumés. C’est l’heure des matchs. En passant, le personnel turc, pakistanais, magrébin, lorgne le score. Je tourne une table ronde, la dispose de façon à suivre le match et voir, à travers la baie vitrée, l’allée d’accès au Holiday Inn, celle par où viendra Gala. Tout en avalant une canette de Helles, je pense : “elle ne viendra pas”.
Majoritaire
Dans une société du haut-parleur général, la pensée majoritaire ne peut être ignorée. Mais l’acte d’adhésion reste libre. Hélas, il ne suffit pas de le dire, pas même de le savoir. Ce qu’il s’agit de se remémorer à chaque instant, c’est que la pensée majoritaire, d’abord n’est pas la pensée de la majorité, mais une pensée pour la majorité, ensuite que la vérité, parce qu’elle n’existe pas, peut statistiquement coïncider avec la pensée majoritaire, mais que la coïncidence demeure l’exception.
Mobilisation
“Tout est sous le signe de l’action et d’une action qui s’auto-active, d’une action “auto-mobile”. Tout ce qui est potentiel doit se réaliser, rien ne peut rester en réserve. Si bien qu’une pensée critique ne peut même plus en appeler à une autre mobilisation — elle doit être purement et simplement démobilisatrice, car même les éthiques du sujet sont encore des mobilisations”. Yves Michaud, “Humain, inhumain, trop humain”.
Dodge
Déposée vingt jours sur un terrain vague, la Dodge, pourtant noire de carrosserie, ressemblait hier à une vielle meringue constellée comme elle était de toutes les chiures d’oiseaux qui lors du passage dans les couloirs aérien chient de sorte qu’il me fallut décrépir une moitié de pare-brise pour l’amener jusqu’à la station de lavage la plus proche et lui rendre figure. De retour au village, j’inspectai le capot, les portières, les pare-boues, incomplètement satisfait, si bien qu’en soirée, armé de chiffons microfibres et de ce produit de Formule 1 vendu à l’encan pas des gamines en demi-décolleté sur les aires de parking des supermarchés, je sortis pour donner du brillo à la Dodge, persuadé de pourvoir travailler dans la plus grande discrétion. Or, des promeneurs pique-niquaient devant les panneaux de randonnée. Je les saluais et déplaçais la voiture, conscient du ridicule de l’opération, le nettoyage d’un véhicule plus propre que propre. Sur ce, je le positionnais sur le terrain vague, mais là encore, manque de chance et signe de l’été, l’une des maisons accueillait dans son jardin une famille. Tout de même, je sortis ma bombe de mousse, mes chiffons technologiques et commençais de tartiner, de polir. Et je me disais: “peut-on être plus ridicule?” Puis, révisant ce jugement, je me dis: “si c’est ce que tu veux faire, tu n’es aucunement ridicule!” Aussitôt, je relevais la tête et entrepris de briquer la Dodge pour qu’elle ressemble à une pépite.
Vie
Plaisir immense à être seul et silencieux, libre de me mouvoir dans le temps et dans l’espace. Inutile de chercher: la liberté, c’est cela. Immédiatement réalisable à condition d’accepter un haut niveau de solitude et une simplicité quotidienne qui, par définition fragile, peut amener à en rabattre sur les conditions matérielles. Pour autant, jamais plus je n’échangerai ce privilège pour les fausses timbales du carrousel économique. La difficulté, rétrospectivement, étant de défusionner la société et le monde pour s’extraire au forceps de la camisole chimique dans laquelle nous enferme les machinations de ces vampires qui ne vivent que sur le train de l’image, donc sur le pillage des vraies sources de vie.
Prochaine génération
Le voisin, habitant régulier de la ville, a bâti dans son jardin une piscine de la taille de deux baignoires. En début de semaine, le grand-père couvre l’eau, enclenche le dépurateur et coupe les bandes herborisées. Le vendredi, sa femme balaie les dalles. Samedi matin, le couple de retraités débâche et entoure la piscine de son nécessaire: chaises, tablette, parasol. Enfin, arrive leur fils et son enfant, une fille de six ans, cheveux courts, en surpoids, criarde. Elle entre dans l’eau, barbote sous le regard protecteur de la famille. Celle-ci, distribuée autour du bassin, répond à ses moindres caprices. Les pleurs et les cris indiquent assez son niveau d’exigence; auxquels les parents, béats, se plient. L’amusant est que dehors, dans cette société qui déjà tend les bras à la gamine choyée comme une princesse de Maharaja — nous sommes en Espagne — il n’y a pas de travail, pas d’argent, donc aucune possibilité de de construire une vie dans l’ordre du désir et que, dès maintenant, plus de la moitié des demi-adultes de vingt, trente, parfois trente-cinq ans, ne subsistent que grâce au secours de la famille.