Vu tout à l’heure Full Metall Jacket de Kubrick. Aucun souvenir de ma première vision sinon le lieu et l’odeur de la salle, place de la Riponne à Lausanne. Je n’en pensais rien l’année de sa sortie, je ne n’en pense toujours rien. Pas du tout mon image du drame que représente la guerre. Et puis, au milieu des dialogues, la plupart criés, cette remarque pleine de sens: “nous sommes au Vietnam, déclare un engagé, pour faire apparaître dans chaque homme de ce pays l’Américain qui sommeille en lui”.
Mois : mai 2017
Solitude
Ma vocation n’étais pas de vivre aussi seul. En moine- en faux moine. Et pourtant, lorsque je défile dans mes rues après une longue stase, je m’étonne de voire ces gens aimables assis aux terrasse, assis sur la promenade et dans les parcs, en groupe, entre amis, en famille. Ce qui m’étonne, c’est le temps qui passe à travers eux. Il passe et se traduit en paroles légères, en gestes désinvoltes, en attentes béates. Ils n’ont pas le métier de vivre, mais une forme de bonheur naturel accompagné de drames et d’accidents. De ces occurrences, ils se défient à coups de bonne humeur. Je ne comprends pas bien. Ou si je comprends, je ne saisis pas. Les yeux au ciel, je cherche mon fardeau,
Dévaloir
Parvenus au plus haut degré de l’échelle de la complexité, quelques-uns lorgnant vers le sol voyaient s’amasser la foule des branleurs à grandes mains. A voix haute pour confondre la peur, ils se disaient :
“Au-dessus, rien! Nous avons tout passé au dévaloir des siècles! Mais alors quoi? Quoi d’autre?“
Et dans la nuit, ils criaient:
- Ne nous ramenez pas contre terre, ne nous affublez pas une fois encore d’un groin!
Pain
Ma sympathie pour le pain. Le mystère de sa fabrique dans la nuit, le pétrissage, l’eau amenée, l’exception de ce travail mené en silence, la vente à la parution du jour. Puis la distribution, le pain rompu, la mastication autour de la table. La viande aussi, mais il y a la mort. Le piège. La soustraction de lumière. Alors que le blé blond, vivant et vaste, forme devant le regard un horizon. Une promesse.
Cees Noteboom 2
Comment mieux dire? Il me lit! Hélas: simple télépathie des âmes aux prises avec le mystère de l’universelle psychologie.
”“Le spectacle d’un écrivain seul dans son bureau a quelque chose d’indiciblement triste. Tôt ou tard dans la vie d’un écrivain vient le moment où il doute de ce qu’il fait. Le contraire serait peut-être surprenant. Plus un individu avance en âge, plus la réalité devient envahissante, et en même temps moins elle l’intéresse — il y en a tant. Faut-il encore y ajouter quelque chose? Doit-on vraiment entasser de l’inventé sur l’existant pour l’unique raison que, jeune encore et n’ayant guère tâté de ce qu’il est convenu d’appeler la réalité, on a imaginé soi-même une pseudo-réalité et que tout le monde, dès lors, vous a baptisé écrivain?”
Le chant de l’être et du paraître.
Apprentissage
L’apprentissage: un composé d’éducation, d’enseignement et d’apprentissage, chaque étape précédente étant requise pour accéder à la suivante. Au sens étroit (seconde mention du terme dans la phrase), l’apprentissage est une affaire d’expériences. Il implique une capacité à extraire une leçon des faits, à mettre en mémoire ces leçons afin de les appliquer à bon escient Or, au vu de l’évolution de la situation, je me demande si le sens général de l’apprentissage n’est pas en voie redéfinition. Dans une société où les réflexes et la compulsion l’emportent sur l’intelligence complexe, on peut imaginer doter les natifs d’un apprentissage dont la teneur imite la boîte à outils. Pratiquement, cela signifie que ces individus sont appariés à des circonstances dont les potentialités ont été théorisées. Par voie de conséquence, cela signifie que cet apprentissage ne permet aucunement d’apprendre — il répète une condition existentielle. Paradoxe, pareille reconfiguration de l’apprentissage présuppose une pensée complexe acquise par un apprentissage complet comprenant les étapes initialement mentionnées.
10000 tonnes de métal
Vendredi, je suis retourné avec Monami au Lemmy’s bar, ce caveau sombre adossé au quartier des fêtes de Malaga dont les habitués ont pour dieu tutélaire le chanteur de Motörhead. Il était vingt-trois heures. Trop tôt pour les Espagnols. Le serveur buvait dans son coin. Un copain est venu montrer ses derniers achats de vinyles, des albums de Amon Amarth. A Monami, j’ai raconté comment, en 1998, j’ai atterri dans ce bar après avoir passé un mois au Maroc sans avaler un verre d’alcool, puis comment Monfrère, opiniâtre, au terme d’une dizaine de visites, a persuadé la patronne de lui céder le T‑shirt original à l’effigie de Lemmy imprimé pour l’inauguration du lieu. Il était sous verre, dans un cadre, au-dessus de la caisse. Jaune, miteux, enfumé. Je raconte l’anecdote au serveur. Il finit par comprendre, se verse une bière et désigne le nouveau T‑shirt, une exemplaire noire et rouge. Puis raconte:
- Seulement, je n’ai plus les tailles. L’autre jour, à onze heures le matin, deux mille hard rockers descendus de la croisière 10000 tonnes de métal ont traversé la ville et se sont pointés ici. Ils ont bu jusqu’au soir. Et ils ont tout raflé. Tu parles si j’ai été surpris quand ils ont poussé la porte, je vomissais les restes de la veille!
Méditation
Style inimitable de Descartes. Cet après-midi je lisais la deuxième méditation. « Je suis, j’existe : cela est certain ; mais combien de temps ? A savoir, autant de temps que je pense ; car peut-être se pourrait-il faire, si je cessais de penser, que je cesserais en même temps d’être ou d’exister. » Entre toutes, ma phrase préférée. Et cela ne date pas d’hier. Avant tout, parce que je la crois vraie. A voler aujourd’hui à une telle vitesse, nous perdons notre lustre; nous écrivons, nous parlons sans prendre le temps de penser. L’art ne s’en ressent — mais les idées!