Mois : mars 2017

A l’aube

Petits poi­sons. Il sont petits parce qu’ils sont une copie du pre­mier et qu’il a fal­lu ruser pour en faire 7000.
-Oui mais toi, pourquoi n’as-tu pas déje­uné?
-J’é­tais avec Saint-Inconscient.

Extorsion 2

Dans la même logique, celle de l’ex­tor­sion finan­cière: un gen­darme se présente à mon domi­cile, je n’y suis pas. Il se présente un autre jour, je n’y suis tou­jours pas. A la fin, il me joint par télé­phone. Je suis à Paris. L’af­faire réglée, me parvient une fac­ture pour deux déplace­ments. J’ig­no­rais que la gen­darmerie était une entre­prise privée.

Extorsion

La loi n’é­tant pas le droit, j’aimerais que l’on m’ex­plique de quel droit l’on paie, chaque jour un peu plus, dans nos États, ce que l’on a déjà payé. Ain­si, dans la com­mune dont je relève en Suisse, je paie par la con­tri­bu­tion directe la lev­ée des ordures, je la paie par une taxe indi­recte, et enfin par la somme ver­sée l’an­née durant pour l’achat de sacs de l’État. Sommes qui per­me­t­tent à la caisse d’État de sous-traiter à une multi­na­tionale. Un procédé abouti d’ex­tor­sion financière.

Libre et bon

Rousseau dans l’Emile raisonne en homme libre, éduqué, com­plet. Il a donc rai­son. Mais ces qual­ités sont acquis­es. La nature fait bien les choses, comme aimaient à dire les philosophes, qui avaient de la nature une notion toute philosophique. Car pour ce qui est du bon sauvage, les élu­cubra­tion d’un Lévi-Strauss nous ont surtout caché la nature véri­ta­ble de ce qui, prim­i­tif, ne peut au con­tact de la civil­i­sa­tion que se per­ver­tir infiniment.

Rois

Le vocab­u­laire idéologique s’étoffe. Mots-anathèmes, mots-vendeurs, antiphrases, expres­sions figées, néol­o­gismes de marchan­di­s­a­tion. La liste s’al­longe. Il y faudrait un dic­tio­n­naire de la mon­di­al­i­sa­tion. Ce vocab­u­laire, fab­riqué à des­sein, dif­fusé par les moyens de presse, repris par la pub­lic­ité, est bien­tôt adap­té par le com­mun. La parole de l’in­di­vidu le viv­i­fie. Je mets au défi quiconque d’ex­pli­quer le sens de “pop­ulisme” sinon par l’usage. His­torique­ment, les fab­riques con­ceptuelles ont tou­jours précédé les manœu­vres guer­rières. La guerre n’est pas que réu­nion de canons et de corps. Elle peut pren­dre bien des formes. Dans cette phase descen­dante du cap­i­tal­isme, l’idéolo­gie vise pri­or­i­taire­ment à con­serv­er les acquis du sys­tème, ce qui en sit­u­a­tion de réces­sion implique leur con­cen­tra­tion sur une minorité. Analysée à l’aune de ce principe, l’im­mi­gra­tion est avant tout un vecteur de lutte anti-cri­tique et un out­il de démo­li­tion des lib­ertés sociales. Chaque immi­gré importé sur le ter­ri­toire européen ren­force la tiers-mondi­s­a­tion. Or, toutes les sociétés du tiers-monde ont ceci en com­mun: la coex­is­tence sur leur ter­ri­toire de groupes antag­o­niques, l’un majori­taire et mis­érable, l’autre minori­taire et priv­ilégié. Le rap­port entre les deux groupes est arbi­traire. La minorité, proclamée élite, joue le rôle de l’ar­bi­tre. Les cap­i­tal­istes les plus endur­cis de notre vieux monde, entéri­nant un mod­èle post-libéral améri­cain, se pro­jet­tent aujour­d’hui en rois nègres. Le vocab­u­laire trans­forme active­ment nos esprits afin de les pli­er à l’avène­ment de ce nou­veau par­a­digme social.

Mer

Tou­jours cette battue des vagues con­tre la rade. Là où des murets de soutène­ment ont été con­stru­its pour faciliter la pas­sage de la route, l’eau éclate à la ver­ti­cale et retombe en gerbes sur le capots des voitures. Devant l’ap­parte­ment, les rouleaux ont trans­for­mé la plage. A force d’être drainé, le sable est lisse comme un miroir. Quelques promeneurs se hasar­dent. Les traces de pas sont vis­i­bles depuis le bal­con. Les per­ro­quets volent la tête en bas. 

Perfection

De la per­fec­tion, qui est une recherche sans atteinte, au per­fec­tion­nisme, qui est un dépasse­ment par l’échec. Ain­si pour­rait-on résumer l’en­tre­prise mon­strueuse de Metal­li­ca tra­vail­lant laborieuse­ment son album de moitié de car­rière. Cela me fait penser au Jeu des per­les de verre de Her­mann Hesse. L’écrivain alle­mand est per­suadé d’écrire un texte qui con­tient toute son esthé­tique alors qu’il perd son lecteur et rompt avec la fac­ture clas­sique, proche de l’ex­po­si­tion, des livres qui ont fait le suc­cès de son œuvre, Demi­an ou encore Nar­cisse et Gold­mund. Et puisqu’il s’ag­it avec Metal­li­ca de musique, il faut revenir sur le cas exem­plaire de ce groupe de néo-folk, par­mi les meilleurs du genre, Mid­lake. Trois dis­ques excep­tion­nels parais­sent, puis le groupe exclut son chanteur. Motif: après une année de tra­vail sur la maque­tte du nou­v­el album, le jugeant impar­fait, celui-ci refuse de le laiss­er paraître. Les autres mem­bres du groupe finis­sent les enreg­istrements et pub­lient sans son accord.

Metallica 3

Au 482ème jour d’en­reg­istrement de l’al­bum Some Kind Of Mon­ster, le psy­ch­an­a­lyste pro­pose une vari­ante pour le titre I destroyed:
-Et si vous appeliez ça, I killed?

Metallica 2

Le chanteur James Het­field, à la veille d’une hos­pi­tal­i­sa­tion de six mois pour alcoolisme, dis­ant à Lars Ulrich, pili­er du groupe: “Je n’ai pas de plaisir à être avec toi dans cette pièce, je n’ai plus de plaisir à jouer avec toi, peut-être que c’est de moi que je suis déçu”.

Metallica

Pas­sion­nant ce film de 2004 sur Metal­li­ca, Some Kind Of Mon­ster. Réu­ni dans un entre­pôt cal­i­fornien après vingt ans de car­rière et nonante mil­lions d’al­bums ven­dus, le groupe engage un psy­ch­an­a­lyste pour régler les con­flits qui opposent ses mem­bres. Dans Huis-clos, Sarte n’of­fre qu’une ver­sion toute idéale de l’en­fer dans lequel dégénère les ami­tiés de sym­biose. Or, il n’y a pas de milieu plus tra­vail­lé par les con­tra­dic­tions intimes, l’é­go­tisme et la folie que celui du rock. A quoi s’a­joute les drogues, l’al­cool, l’ar­gent, la vieil­lesse. Les débats autour du canapé pren­nent des pro­por­tions sur­réal­istes. Le pro­fes­sion­nel de l’e­sprit, bien­tôt dépassé, bal­bu­tie. Atmo­sphère qui devient comique lorsqu’on la met en rela­tion avec l’en­reg­istrement d’un album de heavy-métal, ce que fait ce long-métrage de deux heures. Dans les années 2000, j’avais traduit pour Ker­rang, une biogra­phie alors com­plète des Sué­dois: elle comp­tait quelque vingt pages dans le for­mat du mag­a­zine, mais l’é­conomie impo­sait de tra­vailler sur le cumul de dates et les anec­dotes, plutôt que sur la nature pro­fonde des mem­bres, ce mélange d’an­i­mal­ité, de bêtise et de génie. Il est dif­fi­cile pour quelqu’un qui n’a jamais frayé avec le milieu rock de se représen­ter com­bi­en l’ami­tié qui fait le tal­ent unique d’un groupe est à la mer­ci inces­sante des dis­sen­sions intérieures.