Mois : juillet 2016

Retrouvailles

Nu, un pan­neau sens inter­dit cachant mon sexe, je m’a­vance en direc­tion du lit où repose Olof­so. Mas­sif, il ressem­ble à un catafalque. A son chevet, notre amie psy­chi­a­tre Anne. Les deux femmes se plaig­nent: je délaisse la mère de mes enfants.
- Je t’aime, dis-je pour ma défense, mais tu es sim­ple.
Plusieurs fois, je répète: je t’aime. Elle se lève con­va­in­cue, me prend la main et m’amène dans le fond de l’ap­parte­ment où le punk Stéphane a sa turne.
- Tu te rends compte, me dit Olof­so, que nous sommes dif­férents de tous les autres?
- A quar­ante ans, je n’é­tais pas dif­férent, mais main­tenant que j’en ai cinquante, oui, je suis totale­ment autre.
Olof­so se met à genou. Elle coupe la musique de Stéphane et passe un vinyle de Crass. Décen­tré sur le plateau, le disque tourne mal. Je me représente ses sil­lons. Com­ment peu­vent-ils dans ces con­di­tions floues ren­dre un son?
Nous mon­tons à bord du train pour Bus­signy. Les voyageurs sont des habitués. Qui peut bien vouloir habiter à Bus­signy? Par la fenêtre, je ne vois que des cam­pagnes. Des ado­les­cents pouilleux por­tant des gui­tares pren­nent la file dans le couloir. Les pau­vres, ils habitent donc à Bus­signy?
Je marche sur la colline. Le vil­lage de Bus­signy doit être dans la plaine, mais je ne vois aucune mai­son. L’essen­tiel est qu’Olof­so sache pourquoi nous sommes là. De même, c’est elle qui con­naît les horaires de l’é­cole. Je l’aperçois avec les enfants. Tous trois emprun­tent un long escalier à tra­vers champ. Aplo et Luv vont devant. Ils sont petits, ils peinent à gravir les march­es de bois. Nous nous rejoignons à mi-hau­teur de la colline. Quand Luv veut se jeter dans mes bras, elle rate une marche et bas­cule dans la boue. Elle a trois ans, un corps de poupée. Je la soulève à la hau­teur de mon vis­age. Ses paupières sont cou­vertes de boue liq­uide, elle ne peut ouvrir les yeux. Je frotte mais la boue résiste. Aplo qui du même élan allait se jeter dans mes bras, attend son tour. J’embrasse Luv, je la pose au sol. Aplo s’ap­puie con­tre ma poitrine. Comme s’il avait médité sa phrase depuis des semaines, il dit:
- J’aime pas le canard. 

Chien nouveau

Par de savantes manip­u­la­tions, on pour­rait fab­ri­quer un chien sans pattes et qui n’aboie pas. Le seul prob­lème serait de con­va­in­cre les ama­teurs de chiens que cet être immo­bile et muet est un chien. C’est ce qu’il est con­venu d’ap­pel­er un change­ment de paradigme.

Exhibition

L’ex­péri­ence répétée de l’autre dans le cer­cle intime — par­ent, amant, ami — per­met de mieux le con­naître que l’on ne se con­naît soi-même — en apparence. Ce qui, du point de vue de ses défenseurs, légitime l’ap­proche com­porte­men­tal­iste. Mais c’est faute de dis­tinguer entre deux types de con­nais­sance, l’une intérieure, l’autre extérieure. Ou, plutôt, étant inca­pable d’user de la con­nais­sance intérieure, de se référ­er à soi comme on se réfère à l’autre.

Bonté

Bon­té des gens sim­ples. Affron­tés à de vraies dif­fi­cultés, ils trou­vent leur con­so­la­tion dans l’at­tache­ment au réel. Or, c’est ce réel que le mou­ve­ment dia­bolique des affaires liqué­fie et assèche. Faute d’être réfléchie, leur révolte vient trop tard. Ils ne poussent les cris que l’on espérait que lorsque le pain leur est retiré de la bouche. Ce qui augure mal de l’avenir, car ce n’est pas le pain qui va man­quer, mais l’appétit.

Immigrés

La plus grande escro­querie de ce début de siè­cle: l’ap­port cul­turel des immigrés.

Ruse

Qu’il ait fal­lu plus de vingt ans pour s’apercevoir que l’an­tiracisme n’avait rien à voir avec le racisme témoigne de la sub­til­ité des rus­es qu’emploient les milieux marchands pour tromper le monde.

Premières manoeuvres

Pre­mières manœu­vres ne vue de l’an­nu­la­tion des élec­tions prési­den­tielles français­es de 2017. Le pre­mier secré­taire du par­ti social­iste, Jean-Christophe Cam­badélis, a déclaré suite à l’an­nu­la­tion de l’u­ni­ver­sité d’été de la for­ma­tion à Nantes sous pré­texte de men­aces : « Ça pré­fig­ure une cam­pagne très com­pliquée pour tout le monde, le PS n’est pas le seul objec­tif, c’est la démoc­ra­tie dans son ensem­ble qui est visée ».

Humanisme lettré

Intéres­sant d’ap­pren­dre que l’un des motifs qui aurait poussé Peter Slo­ter­dijk a redéfinir l’hu­man­isme face aux per­cées des biotech­niques (dans ses Règles pour le parc humain puis dans La mobil­i­sa­tion infinie) serait le fait que les longues let­tres qu’il écrivait à ses amis let­trés restaient sans réponse. Qui n’a ressen­ti dans notre généra­tion, cet aban­don de la dis­pute épis­to­laire comme moyen de partager ses inter­ro­ga­tions et de soupeser sa pensée?

Historicisme 3

Les ana­ly­tiques ont rai­son: il n’y a de vérité que comme équiv­a­lence. Vérité math­é­ma­tique. Tout autre usage est métaphorique. Appliquée à un sys­tème philosophique ou, pour le dire en ter­mes con­tem­po­rain, à un ensem­ble de thès­es philosophiques, la vérité ne désigne que la con­for­ma­tion logique des énon­cés et à leur capac­ité à faire ensem­ble. C’est égale­ment la rai­son pour laque­lle, à s’en tenir à la déf­i­ni­tion stricte de la vérité, les ana­ly­tiques ne peu­vent rien dire sur le monde: leur rig­orisme logique leur rav­it l’ob­jet qu’ils se pro­posent d’é­tudi­er. Mieux vaut enten­dre la philoso­phie — ce que nous faisons d puis plus d’un siè­cle dans l’ap­proche human­iste — comme un ensem­ble de propo­si­tions man­i­fes­tant sous forme rationnelle des enjeux cachés. D’où la part mag­ique que joue l’in­tu­ition (dont se privent les ana­ly­tiques, ce qui les trans­forme en savants d’un monde savam­ment modélisé).

Historicisme 2

Ce qui dis­qual­i­fie la philoso­phie comme sys­tème de la vérité c’est sa con­di­tion his­torique de pro­duc­tion (le fait qu’elle ne sait pas encore ce qu’il fau­dra savoir pour que la vérité soit vérité du tout) d’où la révo­lu­tion que représente l’his­tori­cisme de Hegel (il intè­gre pour mémoire tous les sys­tèmes antécé­dents et se donne comme leur syn­thèse), mais lui-même étant la pro­duc­tion d’un esprit his­torique se rel­a­tivise à mesure que le temps s’é­coule. Les sys­tèmes de vérité de la philoso­phie, en tant que suc­ces­sifs et non-con­tra­dic­toires (à con­di­tion de ne retenir que les philoso­phies qui s’in­tè­grent dans l’His­toire de la philoso­phie) éclairent donc autant vers l’ex­térieur (par la puis­sance de la rai­son) que vers l’in­térieur (comme incar­na­tion de la psy­cholo­gie d’un esprit indi­vidu­el et social).