Mois : juillet 2016

Hors antenne

Fautes de français à répéti­tion sur France-Cul­ture. Ce n’est pas que la nou­velle généra­tion ne sache les règles, c’est qu’elle les tient pour nég­lige­ables. A l’in­stant, au jour­nal de huit heures: “…ce n’est que si seule­ment la sanc­tion…”. Et annonçant l’heure: “…il est douze heure trente et un”. Per­son­ne ne cor­rige. Hors antenne, peut-être?

Adorable

Adorable petite fille qui me demande si je vais bien­tôt avoir des enfants.

Villes

Les villes suiss­es ne sont pas en Suisse; ni les anglais­es en Angleterre; les villes sont désor­mais les car­refours élec­tron­iques d’un réseau. Leur ter­ri­toire ne définit plus leur évo­lu­tion. Ce qui les com­pose — élé­ments matériels et humains — cir­cule de ville en ville à tra­vers le monde plat du cap­i­tal­isme sans pass­er par les cam­pagnes. C’est donc là qu’il faut trou­ver refuge.

Pop-corn time

A l’in­stant, j’é­coutais une con­férence sur inter­net. En même temps, je mangeais des chips. Du moins j’es­sayais, car j’ai bien­tôt aban­don­né. Qu’on m’ex­plique com­ment on peut manger des chips et suiv­re en même temps le raison­nement d’un pro­fesseur qui par­le en chaire. Jusqu’i­ci, je n’ai jamais acheté de ton­neau de pop-corn dans une salle de ciné­ma publique. Il faut que j’es­saie. Si je peux com­bin­er pop-corn et film, cela sig­ni­fiera-t-il que la pos­si­bil­ité de manger en inter­prè­tant des images dépend de la com­plex­ité de ces dernières, ou du dis­cours qui l’ac­com­pa­gne? A Mex­i­co, en 1985, j’ai assisté à la pre­mière du film de John Hus­ton Sous le vol­can. Le pub­lic était venu avec des glaces, des bon­bons, des pop-corn et des bois­sons. Un caphar­naüm. Mais quand le film a démar­ré, ce fut pire. Les gens par­laient. Celui qui com­pre­nait expli­quait au reste de la famille le déroulé des événe­ments. Par­fois la bouche pleine. Ce soir-là, je me sou­viens de m’être dit: il y a des ciné­mas au Mex­ique, mais on ne peut aller au cinéma.

Passage des vivants

Com­ment mar­quer son pas­sage de vivant quand les mar­ques pro­pres sont indus­trielles? Ques­tion qui ne se pose pas pour les indi­vidus par­ti­sans de l’in­dus­tri­al­i­sa­tion de l’homme, ceux qui, nés au milieu d’un mag­a­sin mon­di­al des mar­ques numériques, se sont forgés une per­son­nal­ité pro­pre qui n’est que l’ad­di­tion et la com­bi­nai­son de mar­ques indus­trielles. En d’autres ter­mes, ces indi­vidus jugent inutile le socle human­iste de la civil­i­sa­tion quand ils ne le con­damnent pas au nom de ses crimes. Cela revient à pass­er à la trappe tout ce qui a fait advenir l’homme libre des sociétés occi­den­tales donc l’homme indus­triel. Et cepen­dant, cela peut se faire sans con­tra­dic­tion en arguant d’un change­ment de par­a­digme. Il y a un homme con­tem­po­rain fruit d’un devenir mil­lé­naire et un homme à venir, fruit de la rup­ture avec l’homme con­tem­po­rain. Quelle que soit la posi­tion que l’on adopte face à cette évo­lu­tion, deux choses appa­rais­sent cer­taines. D’abord, dire n’est pas résis­ter, parce que le pro­grès est un dire qui passe à l’acte alors que le dire de la cri­tique n’est qu’un dire sym­bol­ique et que nos valeurs dom­i­nantes sont matérielles. Ensuite, que l’o­rig­ine psy­chologique de cette aven­ture qui s’an­nonce est la fatigue de l’être occi­den­tal dans sa con­fronta­tion héroïque à la mort.

Opinions

Des opin­ions de cha­cun, il faudrait met­tre sous réserve celles qui relèvent de la défense de l’in­térêt pro­fes­sion­nel; celles qui relèvent de la défense de l’in­térêt amoureux; de l’in­térêt région­al, par­ti­san, com­mu­nau­taire, géo­graphique, religieux, tra­di­tion­nel, nation­al… Prob­lème de l’oignon et des couch­es. Con­tre cette doxa, Descartes institue le doute hyper­bolique: je tiendrai comme faux tout ce dont j’ai la moin­dre rai­son de douter. Et comme cela ne suf­fit pas, il fait appel au Malin Génie (qui me trompe alors que je suis cer­tain de savoir). Que reste-t-il? Le cog­i­to. Quand je pense je sais que je pense. Alors il recon­stru­it le réel, c’est à dire, selon que l’on adhère ou non à son sché­ma épisté­mologique, décou­vre des vérités ou accu­mule des opinions.

Radiohead

La vidéo du nou­veau titre musi­cal des géni­aux Radio­head, Burn The Witch, est un film d’an­i­ma­tion racon­tant la vis­ite au vil­lage d’un homme en cha­peau mel­on. J’ai mon­tré cette vidéo a plusieurs per­son­nes. Cha­cune en a don­né une inter­pré­ta­tion dif­férente. Elle a évidem­ment été conçue dans cet esprit. Conçu n’im­pli­quant pas néces­saire­ment que l’in­ten­tion pre­mière est de brouiller les pistes. Étant don­né l’in­tel­li­gence et la maîtrise du groupe anglais, je plaiderai plus volon­tiers pour un mélange de spon­tanéité et de con­science. Or, cela revient à dire que l’œuvre d’art ouverte sup­pose un homme à l’e­sprit ouvert, un homme qui est l’in­car­na­tion d’un para­doxe: celui qui ne sait pas ce qu’il sait.

Stabulations

Gala est repar­tie aujour­d’hui. Je dois la rejoin­dre dans trois jours en Suisse. Nous pren­drons ensuite la voiture pour aller à Munich. A la fin du mois, nous irons chercher les enfants à Genève et par­tirons pour Edim­bourgh. Puis retour en Espagne.
S’il n’y avait pas les enfants, je ferais autrement: je resterai dan mon bocal tout l’été, tra­vail­lant à mon bureau le matin, dînant d’un menu au restau­rant du coin, faisant la sieste puis du sport selon un horaire inaltérable. Puis à l’au­tomne, quant tout le monde reprend le tra­vail, je par­ti­rais vers l’Est atteignant Bangkok à Noël. L’été n’est pas une péri­ode prop­ice aux voy­ages. Et en Europe moins qu’ailleurs où les rythmes oblig­a­toires ouvrent la porte des sites de diver­tisse­ment à la foule. Pen­dant les grandes vacances, mieux vaut rester à l’abri.
Gala aime l’Eng­lish­er Garten. Parc mag­nifique que j’aime aus­si, et je me vois déjà assis, un litre de bière sur la table, face au lac; mais c’est l’am­biance trans­for­mée de la cap­i­tale bavaroise que je red­oute.
Voilà qua­torze mois que se déversent quo­ti­di­en­nement des mis­érables importés de l’Est et du Sud : mil­liers d’ado­les­cents maliens, lybi­ens, maghrébins, pak­istanais et irakiens, aux­quels les asso­ci­a­tions ajoutent quelques femmes cou­vertes por­tant des bébés pour ali­menter les pre­mières pages de la presse de pro­pa­gande. Cette expo­si­tion uni­verselle des tares de ce monde que nos dirigeants vam­piriques organ­isent au pied des quartiers ressem­ble chaque jour plus à une puni­tion: “bande d’im­bé­ciles bour­geois, nous assè­nent-ils, ne com­prenez-vous pas qu’il faut con­som­mer plus sans quoi nous, les élites déver­gondées, ne pour­ront plus nous vivre de votre tra­vail!“
Et autres insultes au peu­ple.
Bref, dans cette ville faite pour la joie de vivre, voilà qua­torze mois que les hos­til­ités ont été déclenchées con­tre les Alle­mands. Insultés par la présence de ces hordes d’anal­phabètes qui ne savent pas dans quel pays elles se trou­vent (il a suf­fit que les mis­sion­naires leurs expliquent que les bil­lets de banque pous­saient sur les arbres), les Muni­chois sont priés de faire acte de con­tri­tion. Gala veut me faire croire que ces “gens-là” comme elle appelle pudique­ment les envahisseurs sont can­ton­nés aux abor­ds des gares. J’aimerais qu’on me dise com­ment on peut can­ton­ner un mil­lion de per­son­nes aux abor­ds des gares. La réac­tion courante de ceux qui n’osent pas avouer franche­ment que cette inva­sion est insup­port­able, réac­tion d’ailleurs hon­teuse, est de dire que l’on peut éviter les quartiers où s’in­stal­lent ces “gens-là”. En d’autres ter­mes, le voyageur sec­on­dant ici l’habi­tant dans son déni de la réal­ité, est cen­sé surim­pos­er à la carte de Munich une carte des quartiers fréquenta­bles.
N’est-ce pas exacte­ment ce que vivent les Améri­cains depuis qu’ils ont aboli l’esclavage et insti­tué le racisme ordi­naire? Mais réjouis­sons-nous: il y a pire.
Il y a les petits pays. La Hol­lande, le Dane­mark, la Suisse. Alors, faute de place, il n’est pas ques­tion d’établir des zones. D’où le maître-mot de tous les dis­cours: la tolérance.
Con­tre ce sys­tème de stab­u­la­tions qui se met en place à tra­vers l’Eu­rope, il faut préfér­er le voy­age dans le désor­dre, sans cir­cuit de vis­ite, sans zones sécurisées ni ghet­tos, sans parcs dédiés ni règle­ments de bonne con­duite. Un voy­age où l’autre, ce n’est pas le rési­dent qu’on expulse de sa vie, mais le voyageur qui tra­verse l’in­con­nu. Avant de dis­paraître pour une longue péri­ode (qui cor­re­spon­dra à l’ex­pan­sion, à l’ef­fon­drement, puis au reflux du cap­i­tal­isme), ce type de voy­age devrait être pos­si­ble quelques années encore pour qui aime l’ef­fort et con­sid­ère que les décep­tions comme les sur­pris­es font par­tie de la tra­ver­sée des territoires. 

Dernières rencontres

Si au moment de mourir, on me demandait qui je veux revoir, mon choix se porterait sur des per­son­nes que je n’ai vue qu’une fois dans ma vie et par­fois quelques min­utes seulement.

Premier capitalisme

Sous le règne d’Hen­ri VIII (1509.1507), au moment des pre­miers développe­ments de l’é­conomie marchande, rap­porte Karl Marx dans le Cap­i­tal, les vagabonds sont fou­et­tés et empris­on­nés; à la pre­mière récidive ils ont en out­re la moitié de l’or­eille coupée; à la sec­onde récidive ils ont pen­dus: d’après Hollinshed, soix­ante-douze mille l’au­raient été sous le règne d’Hen­ri VIII.
En Angleterre, à la fin du XVème siè­cle sont créées des Work­hous­es, maisons de tra­vail for­cé. Si le tra­vail est oblig­a­toire, c’est d’abord parce que chaque indi­vidu est con­sid­éré comme mem­bre de la richesse publique. Ain­si, nul n’a le droit d’être à charge. Ceci dans une société boulever­sée, où les paysans sont chas­sé de leurs ter­res et ne trou­vent pas à s’employer à la ville.