Stabulations

Gala est repar­tie aujour­d’hui. Je dois la rejoin­dre dans trois jours en Suisse. Nous pren­drons ensuite la voiture pour aller à Munich. A la fin du mois, nous irons chercher les enfants à Genève et par­tirons pour Edim­bourgh. Puis retour en Espagne.
S’il n’y avait pas les enfants, je ferais autrement: je resterai dan mon bocal tout l’été, tra­vail­lant à mon bureau le matin, dînant d’un menu au restau­rant du coin, faisant la sieste puis du sport selon un horaire inaltérable. Puis à l’au­tomne, quant tout le monde reprend le tra­vail, je par­ti­rais vers l’Est atteignant Bangkok à Noël. L’été n’est pas une péri­ode prop­ice aux voy­ages. Et en Europe moins qu’ailleurs où les rythmes oblig­a­toires ouvrent la porte des sites de diver­tisse­ment à la foule. Pen­dant les grandes vacances, mieux vaut rester à l’abri.
Gala aime l’Eng­lish­er Garten. Parc mag­nifique que j’aime aus­si, et je me vois déjà assis, un litre de bière sur la table, face au lac; mais c’est l’am­biance trans­for­mée de la cap­i­tale bavaroise que je red­oute.
Voilà qua­torze mois que se déversent quo­ti­di­en­nement des mis­érables importés de l’Est et du Sud : mil­liers d’ado­les­cents maliens, lybi­ens, maghrébins, pak­istanais et irakiens, aux­quels les asso­ci­a­tions ajoutent quelques femmes cou­vertes por­tant des bébés pour ali­menter les pre­mières pages de la presse de pro­pa­gande. Cette expo­si­tion uni­verselle des tares de ce monde que nos dirigeants vam­piriques organ­isent au pied des quartiers ressem­ble chaque jour plus à une puni­tion: “bande d’im­bé­ciles bour­geois, nous assè­nent-ils, ne com­prenez-vous pas qu’il faut con­som­mer plus sans quoi nous, les élites déver­gondées, ne pour­ront plus nous vivre de votre tra­vail!“
Et autres insultes au peu­ple.
Bref, dans cette ville faite pour la joie de vivre, voilà qua­torze mois que les hos­til­ités ont été déclenchées con­tre les Alle­mands. Insultés par la présence de ces hordes d’anal­phabètes qui ne savent pas dans quel pays elles se trou­vent (il a suf­fit que les mis­sion­naires leurs expliquent que les bil­lets de banque pous­saient sur les arbres), les Muni­chois sont priés de faire acte de con­tri­tion. Gala veut me faire croire que ces “gens-là” comme elle appelle pudique­ment les envahisseurs sont can­ton­nés aux abor­ds des gares. J’aimerais qu’on me dise com­ment on peut can­ton­ner un mil­lion de per­son­nes aux abor­ds des gares. La réac­tion courante de ceux qui n’osent pas avouer franche­ment que cette inva­sion est insup­port­able, réac­tion d’ailleurs hon­teuse, est de dire que l’on peut éviter les quartiers où s’in­stal­lent ces “gens-là”. En d’autres ter­mes, le voyageur sec­on­dant ici l’habi­tant dans son déni de la réal­ité, est cen­sé surim­pos­er à la carte de Munich une carte des quartiers fréquenta­bles.
N’est-ce pas exacte­ment ce que vivent les Améri­cains depuis qu’ils ont aboli l’esclavage et insti­tué le racisme ordi­naire? Mais réjouis­sons-nous: il y a pire.
Il y a les petits pays. La Hol­lande, le Dane­mark, la Suisse. Alors, faute de place, il n’est pas ques­tion d’établir des zones. D’où le maître-mot de tous les dis­cours: la tolérance.
Con­tre ce sys­tème de stab­u­la­tions qui se met en place à tra­vers l’Eu­rope, il faut préfér­er le voy­age dans le désor­dre, sans cir­cuit de vis­ite, sans zones sécurisées ni ghet­tos, sans parcs dédiés ni règle­ments de bonne con­duite. Un voy­age où l’autre, ce n’est pas le rési­dent qu’on expulse de sa vie, mais le voyageur qui tra­verse l’in­con­nu. Avant de dis­paraître pour une longue péri­ode (qui cor­re­spon­dra à l’ex­pan­sion, à l’ef­fon­drement, puis au reflux du cap­i­tal­isme), ce type de voy­age devrait être pos­si­ble quelques années encore pour qui aime l’ef­fort et con­sid­ère que les décep­tions comme les sur­pris­es font par­tie de la tra­ver­sée des territoires.