Retrouvailles

Nu, un pan­neau sens inter­dit cachant mon sexe, je m’a­vance en direc­tion du lit où repose Olof­so. Mas­sif, il ressem­ble à un catafalque. A son chevet, notre amie psy­chi­a­tre Anne. Les deux femmes se plaig­nent: je délaisse la mère de mes enfants.
- Je t’aime, dis-je pour ma défense, mais tu es sim­ple.
Plusieurs fois, je répète: je t’aime. Elle se lève con­va­in­cue, me prend la main et m’amène dans le fond de l’ap­parte­ment où le punk Stéphane a sa turne.
- Tu te rends compte, me dit Olof­so, que nous sommes dif­férents de tous les autres?
- A quar­ante ans, je n’é­tais pas dif­férent, mais main­tenant que j’en ai cinquante, oui, je suis totale­ment autre.
Olof­so se met à genou. Elle coupe la musique de Stéphane et passe un vinyle de Crass. Décen­tré sur le plateau, le disque tourne mal. Je me représente ses sil­lons. Com­ment peu­vent-ils dans ces con­di­tions floues ren­dre un son?
Nous mon­tons à bord du train pour Bus­signy. Les voyageurs sont des habitués. Qui peut bien vouloir habiter à Bus­signy? Par la fenêtre, je ne vois que des cam­pagnes. Des ado­les­cents pouilleux por­tant des gui­tares pren­nent la file dans le couloir. Les pau­vres, ils habitent donc à Bus­signy?
Je marche sur la colline. Le vil­lage de Bus­signy doit être dans la plaine, mais je ne vois aucune mai­son. L’essen­tiel est qu’Olof­so sache pourquoi nous sommes là. De même, c’est elle qui con­naît les horaires de l’é­cole. Je l’aperçois avec les enfants. Tous trois emprun­tent un long escalier à tra­vers champ. Aplo et Luv vont devant. Ils sont petits, ils peinent à gravir les march­es de bois. Nous nous rejoignons à mi-hau­teur de la colline. Quand Luv veut se jeter dans mes bras, elle rate une marche et bas­cule dans la boue. Elle a trois ans, un corps de poupée. Je la soulève à la hau­teur de mon vis­age. Ses paupières sont cou­vertes de boue liq­uide, elle ne peut ouvrir les yeux. Je frotte mais la boue résiste. Aplo qui du même élan allait se jeter dans mes bras, attend son tour. J’embrasse Luv, je la pose au sol. Aplo s’ap­puie con­tre ma poitrine. Comme s’il avait médité sa phrase depuis des semaines, il dit:
- J’aime pas le canard.