Cercle vicieux de l’iconoclastie: lorsqu’on installe le vide dans l’entourage pour l’instiller dans les esprits, le cerveau pallie au manque par la production d’images et la main les fabrique.
Mois : février 2016
Hypnose
Et si nous étions hypnotisés par la parole? Et si à force de s’exprimer sans égard pour le sens, nous étions intoxiqués? Pas une affaire de raisonnement, le contraire: une parole sans ordre ni poids, dépourvue d’intention vraie et qui, cela est neuf, propre au XXIème siècle, se préoccupe sur ces prérogatives d’attaquer les grands problèmes. Et si l’ère dite de communication était, par le fait de son excès, l’étouffoir de la raison, ainsi de la bonne conduite des sociétés?
Nourritures terrestres
Debord
Cette intuition géniale de Guy Debord que l’on exprimerait ainsi dans les termes contemporains: le réel deviendra un produit culturel. Le cinéma a joué une rôle certain dans la fabrique de cette intuition. En effet, si l’on peut, avec des moyens techniques adéquats (la caméra et les décors des années 1960) produire du réel… Cependant, une chose me chicane: doit-on admettre que la mise en forme ‑ici théorique quand elle est dans la plupart des cas donnée dans une fiction — de l’intuition est nécessairement de anticipation que confirmera par après l’histoire?
Vélo 5
Retour de l’agence, je me tais. Gala ne demande rien. Nous sortons manger. Avant de se mettre au lit, j’annonce que j’ai loué l’appartement. Que le bail débute le premier mars. Le soir, nous sommes en Suisse. Le lendemain, c’est dimanche. Journée splendide passée dans l’arrière-boutique du magasin de Lausanne, sauf ce pique-nique que nous prenons au jardin sous l’oeil attentif des locataires qui, n’utilisant jamais ledit jardin (il est commun), s’offusquent de notre audace. Au crépuscule, je m’équipe pour aller courir.
- Tu ne vas pas aller courir maintenant? Fait Gala.
- Si, pourquoi?
- Et tu vas où?
- A Saint- Sulpice.
- Mais ça va être long!
- Oui. Enfin, comme d’habitude.
- Parce qu’il faut m’amener à la gare.
- Tu pars? Où ça? Tu ne pouvais pas dire?
- Je te l’ai dit.
- Non.
Je cours. Grancy-Ouchy-Saint-Sulpice. Coucher de soleil maginfique sur les pyramides de Vidy, promeneurs issu des 190 pays répertoriés par l’O.N.U. Au retour, pleine lune. Les eaux du lac sont d’argent.
Gala m’attend au milieu de la rue. Elle me tend les clefs du magasin. Elle a réussi à transporter ses bagages à la gare; certainement ce sera-t-elle fait aider.
- Elle me glisse quelque chose comme “jamais je n’irai à Malaga”, elle tourne les talons.
Vélo 4
Depuis le port de Malaga, il faut longer le quai, passer un décrochement de route sur la falaise, traverser une crique où rugit une cimenterie, traverser une seconde crique, revenir sur le bord de mer, monter en direction des terres: là se trouve l’immeuble, blanc et délavé, à flanc de coteau. L’appartement est meublé. Au quatrième. Rempli des photographies d’un couple, de lits de bébés, de jouets d’enfants. Sur les cadres de portes, des photographies de la vierge. La décoration, selon le goût espagnol: désastreuse.
- J’aime beaucoup. Et toi?
Gala est aphone.
Une, deux trois chambres.
- Petites, fait Gala.
- Oui, mais dans la plus petite, je ferai mon bureau. Voyons les terrasses!
L’agent s’empresse. La première donne sur la façade de l’immeuble voisin. Balcons et linges aux fenêtres. Par le temps qu’il fait, gris, on dirait une toile de Rauschenberg, époque drapeaux américains. Un escalier à vis amène sur le toit. Là s’ouvre un solarium de 50 mètres carrés. La mer apparaît au loin. Avec cela, un garage, une piscine commune, un cours de paddle. Je demande à réfléchir jusqu’au soir. L’agent s’en va. Nous descendons au village. Dans l’ordre, voici un supermarché, une boulangerie, une boucherie, des bars, des reastaurants, la plage, la mer.
- Alors? Je demande.
- Très bien, disent les enfants.
Gala se tait.
Vient le soir. Un demi-heure avant le rendez-vous, Gala n’a toujours pas prononcé un mot. Elle se met au lit.
- Gala, dans une demi-heure, je dois donner une réponse.
- Le mieux serait d’aller voir à Torrevieja. Moi, Torrevieja, ça me paraît plus judicieux. D’ailleurs, c’est ce que tu as toujours dit.
Vélo 3
Je relève des annonces, contacte des particuliers, prend des rendez-vous. Un premier appartement nous passe sous le nez. Loué en une heure. Près d’Atarazanas, en vitrine, je trouve une offre pour un duplex au centre-ville. “Réservé!”, s’excuse l’agent. Il nous fait asseoir, dirige son écran d’ordinateur vers nous, égrène des annonces qui répondent à notre critères. Après la sieste, nous visitons un appartement dans l’ancien quartier rouge. Au rendez-vous, le propriétaire. Grisonnant, l’air débordé, un avocat, un notaire ou un chômeur déguisé: après tout, la tradition picaresque n’es pas morte. J’en profite pour exposé à Gala le concept de Señorito chez José Ortega y Gasset. Nous montons.
- Après vous!
Gala passe devant, je lui emboîte le pas. Le propriétaire balance sa serviette de cuir au bout du bras et donne dans les superlatifs: la cuisine est extraordinaire, le quartier parfaitement silencieux, les voisins agréables, d’ailleurs précise-t-il, il n’y en a pas, vous êtes au dernier étage.
Oui, mais cela ne va pas: trop petit, et puis il n’y a pas où installer un atelier de peinture.
De retour à l’agence, j’aperçois une autre offre. Elle est en vitrine.
- Et ça?
- Oh, mais il fallait dire que vous ne visiez pas exclusivement le centre!
L’agent déplie une carte:
- Voilà, ce duplex se trouve au Rincon de la Victoria. Attendez que je calcule la distance… Là! Il est à douze kilomètres.
Vélo 2
Toujours j’ai pensé qu’une endroit quelconque, pour peu qu’il offre une niveau raisonnable de confort, est ce qui convenait le mieux à l’écriture. D’où mon choix de Torrevieja. Un climat constant, un mer belle, des habitants sans ambition, des quartiers populaires, un marché exceptionnel, des prix bas et tout ce qui a disparu de notre société sous le coup de boutoir des grandes entreprises: des épiceries, des salons de coiffure tenus par des coiffeurs, des boulangeries, des restaurants de famille, des poissonniers-pêcheurs, des bouchers qui ne donnent pas dans l’art contemporain. Mais Gala n’a cessé de dire qu’elle s’y ennuyerait, que c’était un lieu sans culture ni imagination, que l’espagnol est une langue aux sonorités gutturales, en définitive un idiome laid qui empêche de dormir. Je faisais valoir l’excellente cuisine à base de produits frais que nous pourrions y faire, la facilité de la vie et la possibilité de louer un appartement avec solarium (terrasse en toit) fin d’y installer des chevalets de peinture (je veux peindre). Maintenant que nous sommes au Tintero II, sur le bout extrême du quai de Malaga, dans le soleil, que la mer brasse, que le ciel est profond, Gala me persuade que c’est ici qu’il convient de s’installer, à Malaga, une ville qui offre les mêmes qualités que Torrevieja mais qui est aussi un lieu de culture, grâce à ses musées, ses cinémas, et sa population, autrement plus réveillée que dans les faubourgs d’Alicante.
Vélo
Voilà deux ans que Gala me rabâche les oreilles avec son Munich. Quand vous lui demandez pourquoi elle veut y aller vivre, elle vante le Schwabing des années 1980. Je fais remarquer qu’il a disparu (nous l’avons constaté dès notre premier séjour, en 2012). “Oui, objecte-elle, mais cela ne change rien: il y a le Jardin anglais. Du reste, justifie-t-elle, maman était blonde et dans la famille, à Padoue, nous avons toujours aimé la Bavière. Je fais remarquer que Schwabing et le Jardin anglais sont les quartiers les plus huppés de la capitale, donc les pus chers. Pour peu qu’un Allemand (cela s’est produit plusieurs fois lors de notre récent du voyage en Asie) fasse valoir qu’aux yeux des habitants des autres Länder, Munich est un ville de traditions, peu tolérante, riche et onéreuse, Gala rétorque: “en fait, je veux aller habiter à Munich pour faire du vélo à plat.” Or, c’est ce que nous faisons aujourd’hui, sur sa demande, à Malaga: nous louons quatre vélos Plaza de la Marina, traversons le port de plaisance, doublons le phare, explorons la jetée où mouillent à la saison haute les bateaux de croisière, ces bateaux-immeubles de 4000 passagers (il n’y en pas en février), revenons sur la plage de la Malagueta, roulons jusqu’au Balneario — distance que je connais bien puisque le tracé du marathon emprunte ce quai — et nous installons contre les blocs de brisée pour boire de la bière sous un soleil radieux. Aux enfants, je montre les garages sur le bas côté de la route, squattés il y encore peu par une communauté de clochards qui bénéficiaient ainsi d’un ouverture imprenable su la mer, allumaient des feux, buvaient et dansaient, tandis que Gala conquise ne parle plus que de Malaga, de sa lumière, de sa culture et du vélo qu’on peut y faire à plat. Nous roulons ensuite sur cinq kilomètres, le long des anciennes habitations de pêcheurs et mangeons au Tintero II, ce restaurant de mer où les plats son vendus à la criée.