Mois : février 2016

Images

Cer­cle vicieux de l’i­con­o­clastie: lorsqu’on installe le vide dans l’en­tourage pour l’in­stiller dans les esprits, le cerveau pal­lie au manque par la pro­duc­tion d’im­ages et la main les fabrique.

Hypnose

Et si nous étions hyp­no­tisés par la parole? Et si à force de s’ex­primer sans égard pour le sens, nous étions intox­iqués? Pas une affaire de raison­nement, le con­traire: une parole sans ordre ni poids, dépourvue d’in­ten­tion vraie et qui, cela est neuf, pro­pre au XXIème siè­cle, se préoc­cupe sur ces prérog­a­tives d’at­ta­quer les grands prob­lèmes. Et si l’ère dite de com­mu­ni­ca­tion était, par le fait de son excès, l’é­touf­foir de la rai­son, ain­si de la bonne con­duite des sociétés?

Gobelet

Cet ami, mani­aque absol­u­ment, garde au pied de son bureau depuis six mois un gob­elet qui a con­tenu du café.

Nourritures terrestres

Quand je finis de manger, du bout des doigts, mes pâtes sous-vide, je vois qu’il y avait une fourchette de plas­tique au fond de l’emballage. 
Comme dit ce com­men­ta­teur poli­tique:  
“Mais com­ment peu­vent-ils — Merkel et Erdo­gan — en être arrivés à ce point de putré­fac­tion intel­lectuelle et être encore au pouvoir? 

La pre­mière réponse qui vient à l’e­sprit est celle de la mal-bouffe: à force de bouf­fer de la merde indus­trielle, ça finit par pro­duire de la merde intel­lectuelle qui, à son tour, aggrave la mal-bouffe.”

Debord

Cette intu­ition géniale de Guy Debord que l’on exprimerait ain­si dans les ter­mes con­tem­po­rains: le réel devien­dra un pro­duit cul­turel. Le ciné­ma a joué une rôle cer­tain dans la fab­rique de cette intu­ition. En effet, si l’on peut, avec des moyens tech­niques adéquats (la caméra et les décors des années 1960) pro­duire du réel… Cepen­dant, une chose me chi­cane: doit-on admet­tre que la mise en forme ‑ici théorique quand elle est dans la plu­part des cas don­née dans une fic­tion — de l’in­tu­ition est néces­saire­ment de antic­i­pa­tion que con­firmera par après l’histoire? 

Vélo 5

Retour de l’a­gence, je me tais. Gala ne demande rien. Nous sor­tons manger. Avant de se met­tre au lit, j’an­nonce que j’ai loué l’ap­parte­ment. Que le bail débute le pre­mier mars. Le soir, nous sommes en Suisse. Le lende­main, c’est dimanche. Journée splen­dide passée dans l’ar­rière-bou­tique du mag­a­sin de Lau­sanne, sauf ce pique-nique que nous prenons au jardin sous l’oeil atten­tif des locataires qui, n’u­til­isant jamais led­it jardin (il est com­mun), s’of­fusquent de notre audace. Au cré­pus­cule, je m’équipe pour aller courir.
- Tu ne vas pas aller courir main­tenant? Fait Gala.
- Si, pourquoi?
- Et tu vas où?
- A Saint- Sulpice.
- Mais ça va être long!
- Oui. Enfin, comme d’habi­tude.
- Parce qu’il faut m’amen­er à la gare.
- Tu pars? Où ça? Tu ne pou­vais pas dire?
- Je te l’ai dit.
- Non.
Je cours. Grancy-Ouchy-Saint-Sulpice. Couch­er de soleil mag­in­fique sur les pyra­mides de Vidy, promeneurs issu des 190 pays réper­toriés par l’O.N.U. Au retour, pleine lune. Les eaux du lac sont d’ar­gent.
Gala m’at­tend au milieu de la rue. Elle me tend les clefs du mag­a­sin. Elle a réus­si à trans­porter ses bagages à la gare; cer­taine­ment ce sera-t-elle fait aider.
- Elle me glisse quelque chose comme “jamais je n’i­rai à Mala­ga”, elle tourne les talons.

Vélo 4

Depuis le port de Mala­ga, il faut longer le quai, pass­er un décroche­ment de route sur la falaise, tra­vers­er une crique où rugit une cimenterie, tra­vers­er une sec­onde crique, revenir sur le bord de mer, mon­ter en direc­tion des ter­res: là se trou­ve l’im­meu­ble, blanc et délavé, à flanc de coteau. L’ap­parte­ment est meublé. Au qua­trième. Rem­pli des pho­togra­phies d’un cou­ple, de lits de bébés, de jou­ets d’en­fants. Sur les cadres de portes, des pho­togra­phies de la vierge. La déco­ra­tion, selon le goût espag­nol: désas­treuse.
- J’aime beau­coup. Et toi?
Gala est aphone.
Une, deux trois cham­bres.
- Petites, fait Gala.
- Oui, mais dans la plus petite, je ferai mon bureau. Voyons les ter­rass­es!
L’a­gent s’empresse. La pre­mière donne sur la façade de l’im­meu­ble voisin. Bal­cons et linges aux fenêtres. Par le temps qu’il fait, gris, on dirait une toile de Rauschen­berg, époque dra­peaux améri­cains. Un escalier à vis amène sur le toit. Là s’ou­vre un solar­i­um de 50 mètres car­rés. La mer appa­raît au loin. Avec cela, un garage, une piscine com­mune, un cours de pad­dle. Je demande à réfléchir jusqu’au soir. L’a­gent s’en va. Nous descen­dons au vil­lage. Dans l’or­dre, voici un super­marché, une boulan­gerie, une boucherie, des bars, des reas­t­au­rants, la plage, la mer.
- Alors? Je demande.
- Très bien, dis­ent les enfants.
Gala se tait.
Vient le soir. Un demi-heure avant le ren­dez-vous, Gala n’a tou­jours pas pronon­cé un mot. Elle se met au lit.
- Gala, dans une demi-heure, je dois don­ner une réponse.
- Le mieux serait d’aller voir à Tor­re­vie­ja. Moi, Tor­re­vie­ja, ça me paraît plus judi­cieux. D’ailleurs, c’est ce que tu as tou­jours dit.

Vélo 3

Je relève des annonces, con­tacte des par­ti­c­uliers, prend des ren­dez-vous. Un pre­mier apparte­ment nous passe sous le nez. Loué en une heure. Près d’Atarazanas, en vit­rine, je trou­ve une offre pour un duplex au cen­tre-ville. “Réservé!”, s’ex­cuse l’a­gent. Il nous fait asseoir, dirige son écran d’or­di­na­teur vers nous, égrène des annonces qui répon­dent à notre critères. Après la sieste, nous visi­tons un apparte­ment dans l’an­cien quarti­er rouge. Au ren­dez-vous, le pro­prié­taire. Grison­nant, l’air débor­dé, un avo­cat, un notaire ou un chômeur déguisé: après tout, la tra­di­tion picaresque n’es pas morte. J’en prof­ite pour exposé à Gala le con­cept de Señori­to chez José Orte­ga y Gas­set. Nous mon­tons.
- Après vous!
Gala passe devant, je lui emboîte le pas. Le pro­prié­taire bal­ance sa servi­ette de cuir au bout du bras et donne dans les super­lat­ifs: la cui­sine est extra­or­di­naire, le quarti­er par­faite­ment silen­cieux, les voisins agréables, d’ailleurs pré­cise-t-il, il n’y en a pas, vous êtes au dernier étage.
Oui, mais cela ne va pas: trop petit, et puis il n’y a pas où installer un ate­lier de pein­ture.
De retour à l’a­gence, j’aperçois une autre offre. Elle est en vit­rine.
- Et ça?
- Oh, mais il fal­lait dire que vous ne visiez pas exclu­sive­ment le cen­tre!
L’a­gent déplie une carte:
- Voilà, ce duplex se trou­ve au Rin­con de la Vic­to­ria. Atten­dez que je cal­cule la dis­tance… Là! Il est à douze kilomètres.

Vélo 2

Tou­jours j’ai pen­sé qu’une endroit quel­conque, pour peu qu’il offre une niveau raisonnable de con­fort, est ce qui con­ve­nait le mieux à l’écri­t­ure. D’où mon choix de Tor­re­vie­ja. Un cli­mat con­stant, un mer belle, des habi­tants sans ambi­tion, des quartiers pop­u­laires, un marché excep­tion­nel, des prix bas et tout ce qui a dis­paru de notre société sous le coup de boutoir des grandes entre­pris­es: des épiceries, des salons de coif­fure tenus par des coif­feurs, des boulan­geries, des restau­rants de famille, des pois­son­niers-pêcheurs, des bouch­ers qui ne don­nent pas dans l’art con­tem­po­rain. Mais Gala n’a cessé de dire qu’elle s’y ennuy­erait, que c’é­tait un lieu sans cul­ture ni imag­i­na­tion, que l’es­pag­nol est une langue aux sonorités gut­turales, en défini­tive un idiome laid qui empêche de dormir. Je fai­sais val­oir l’ex­cel­lente cui­sine à base de pro­duits frais que nous pour­rions y faire, la facil­ité de la vie et la pos­si­bil­ité de louer un apparte­ment avec solar­i­um (ter­rasse en toit) fin d’y installer des chevalets de pein­ture (je veux pein­dre). Main­tenant que nous sommes au Tin­tero II, sur le bout extrême du quai de Mala­ga, dans le soleil, que la mer brasse, que le ciel est pro­fond, Gala me per­suade que c’est ici qu’il con­vient de s’in­staller, à Mala­ga, une ville qui offre les mêmes qual­ités que Tor­re­vie­ja mais qui est aus­si un lieu de cul­ture, grâce à ses musées, ses ciné­mas, et sa pop­u­la­tion, autrement plus réveil­lée que dans les faubourgs d’Alicante.

Vélo

Voilà deux ans que Gala me rabâche les oreilles avec son Munich. Quand vous lui deman­dez pourquoi elle veut y aller vivre, elle vante le Schwabing des années 1980. Je fais remar­quer qu’il a dis­paru (nous l’avons con­staté dès notre pre­mier séjour, en 2012).  “Oui, objecte-elle, mais cela ne change rien: il y a le Jardin anglais. Du reste, jus­ti­fie-t-elle, maman était blonde et dans la famille, à Padoue, nous avons tou­jours aimé la Bav­ière. Je fais remar­quer que Schwabing et le Jardin anglais sont les quartiers les plus hup­pés de la cap­i­tale, donc les pus chers. Pour peu qu’un Alle­mand (cela s’est pro­duit plusieurs fois lors de notre récent du voy­age en Asie) fasse val­oir qu’aux yeux des habi­tants des autres Län­der, Munich est un ville de tra­di­tions, peu tolérante, riche et onéreuse, Gala rétorque: “en fait, je veux aller habiter à Munich pour faire du vélo à plat.” Or, c’est ce que nous faisons aujour­d’hui, sur sa demande, à Mala­ga: nous louons qua­tre vélos Plaza de la Mari­na, tra­ver­sons le port de plai­sance, dou­blons le phare, explorons la jetée où mouil­lent à la sai­son haute les bateaux de croisière, ces bateaux-immeubles de 4000 pas­sagers (il n’y en pas en févri­er), revenons sur la plage de la Malague­ta, roulons jusqu’au Bal­n­eario — dis­tance que je con­nais bien puisque le tracé du marathon emprunte ce quai — et nous instal­lons con­tre les blocs de brisée pour boire de la bière sous un soleil radieux. Aux enfants, je mon­tre les garages sur le bas côté de la route, squat­tés il y encore peu par une com­mu­nauté de clochards qui béné­fi­ci­aient ain­si d’un ouver­ture impren­able su la mer, allumaient des feux, buvaient et dan­saient, tan­dis que Gala con­quise ne par­le plus que de Mala­ga, de sa lumière, de sa cul­ture et du vélo qu’on peut y faire à plat. Nous roulons ensuite sur cinq kilo­mètres, le long des anci­ennes habi­ta­tions de pêcheurs et man­geons au Tin­tero II, ce restau­rant de mer où les plats son ven­dus à la criée.