Mois : février 2016

Hiver

Pas d’idées, aucune prise de notes. Des prom­e­nades dans la ville, tan­tôt avec Luv, tan­tôt avec Aplo, puis les repas, précédés de longs apéri­tifs sur les ter­rass­es. Dès lun­di, la ville s’est ani­mée, mais pour les Andalous ras­sas­iés de soleil le temps est bar­bare: il fait 15 degrés.

14 février

Ce soir, dans un restau­rant ital­ien de la plaza du Perchel. partout des cou­ples, cer­tains joyeux, vol­u­biles, d’autres silen­cieux, les vis­ages fer­més. A notre gauche, une table rem­plie de fleurs attend ses hôtes. Gala rap­pelle aux enfants que nous sor­tons ensem­ble depuis 15 ans jour pour jour. 

Malaga

Dor­mi chez Olof­so avec les enfants et Gala. Nous prenons le taxi à 4h30 pour l’aéro­port. Le chauf­feur me tient un dis­cours sur les radars. Com­bi­en de fois par semaine tient-il ce dis­cours à ses clients? Envol de l’avion à 6h20. A Mala­ga, rafales de vent et vagues gris­es à l’hori­zon. La récep­tion de l’hô­tel annonce que nos cham­bres ne seront disponibles qu’en début d’après-midi. Nous lon­geons cette riv­ière large, asséchée et ordurière qui partage la ville et que per­son­ne jamais ne nomme, atteignons la place du marché Atarazanas, remon­tons la prom­e­nade com­merçante du Mar­qués de Lar­ios, revenons sur la cathé­drale et l’am­phithéâtre romain. La fatigue nous rat­trape Plaza de la Merced. Coif­fés de bon­nets, les gens sont sur les ter­rass­es. Un clar­inet­tiste joue du jazz, un gosse mon­tre des tours de magie qu’Ap­lo nous explique: la ville est toute autre qu’au mois de décem­bre. Lumineuse, enchan­tée à la veille des fêtes, elle est ce dimanche essouf­flée et triste.

Amour liquide

Dans L’amour liq­uide, Zyg­munt Bau­man insiste sur l’an­goisse que génér­erait l’en­gage­ment émo­tion­nel (amis, mais surtout amants). Aucune­ment! L’en­gage­ment qui inclut le risque est tou­jours por­teur de vie. Le prob­lème, c’est le cadre légal de cet engage­ment. Sa dimen­sion poli­tique et admin­is­tra­tive. Pour fil­er la métaphore, le prob­lème, ce n’est pas la liq­uid­ité, ce sont les éclus­es et les ingénieurs sociaux.

Rente

Plusieurs fois que j’en­tends mon col­lègue immi­gré deman­der: “sans nous, que feriez-vous? que deviendrait l’é­conomie suisse?” Nous feri­ons ce que nous voulons faire, vivre et non ce que l’État veut que nous fas­sions, tra­vailler afin que ses per­son­nels puis­sent vivre de la rente de notre travail.

Individualisme

Quel indi­vid­u­al­isme? Masse, oui! Ces soci­o­logues ont-il jamais lu Debord? Ce qu’ils pren­nent pour de la lib­erté, de l’o­rig­i­nal­ité, ce qu’il pren­nent pour des prérog­a­tives de l’in­di­vidu ne sont que des signes fab­riqués à l’échelle indus­trielle (le spec­ta­cle) et accrochés sur l’in­di­vidu comme des orne­ments sur le sapin de Noël. A la société de l’héritage, ils opposent l’ul­tra-indi­vid­u­al­isme. Mais dans la société de char­p­ente tra­di­tion­nelle, ancrée dans un ter­ri­toire, organ­isée autour du père et pérenne par le nom, l’in­di­vidu, parce qu’il est con­traint et pour autant qu’il en ait force, résiste et se con­stitue orig­i­nale­ment. Cette créa­tion de moyens pro­pres chez les meilleurs débouche à l’oc­ca­sion sur de vraies per­son­nal­ités, des fig­ures émi­nentes, pre­scrip­tri­ces d’idées, de com­porte­ment, de pro­jets. A con­trario, cet hyper­indi­vid­u­a­tion dont se pré­va­lent les soci­o­logues est en trompe l’œil.

Sion 2

Quit­tant la rue du Grand-Pont dans le vieux quarti­er de Sion, je remonte la rue de la Mar­jorie. Ces vingt dernières années, je suis venue des cen­taines de fois dis­tribuer des fly­ers et coller des affich­es dans la ville, mais parce que le temps c’est de l’ar­gent, je courais tel un dératé, n’empruntant qu’un réseau de rues com­mu­ni­quantes, évi­tant tout écart qui m’eut retardé. Ain­si n’ai-je jamais vu ce tun­nel sous la mon­tagne qui s’ou­vre en haut de la rue Mar­jorie. Je me retrou­ve rue des Châteaux, face au musée du Valais. Plce éton­nante, intem­porelle, figée dans le gran­it. Les nuages épais qui nav­iguent dans le ciel don­nent au lieu un aspect dra­ma­tique. Dans mon dos, une mai­son de base car­rée sur­mon­tée au dernier étage d’un bois décoré. Une musique joue der­rière un volet. Où que je porte mon regard, je trou­ve de l’an­cien, du vieux, de la pierre, du ciel, du silence. Cette place n’est pas une lieu de pro­duc­tion mais un lieu de vie, et, par la forme tranchée des pans de roc qui enfer­ment les quelques con­struc­tions, un lieu axi­al, enté sur le ciel. Grand bon­heur de se trou­ver là, à l’é­cart du fleuve du temps.

Changement

Que sig­ni­fie ce refus de chang­er une fois que le change­ment est advenu et non-réversible?  Que les choses qui ont été, jamais ne rede­vi­en­nent ce qu’elles furent, je le sais: aus­si ne s’ag­it-il pas de nos­tal­gie. Et d’ailleurs, même si cela se pou­vait, j’ig­nore quelle époque con­nue j’isol­erai pour la mon­ter aux nues. Non, c’est autre chose, de plus  per­ni­cieux: le refus de se laiss­er entraîn­er dans une direc­tion qui ne val­orise du passé que les élé­ments médiocres. Un refus de par­ticiper à un raison­nement faux débouchant sur un avenir truqué. Car c’est bien d’une erreur de logique dont il est ques­tion. Com­ment un passé aus­si riche et promet­teur peut-il don­ner lieu à un présent terne et machinique, et cela sans sus­citer dans l’homme une mou­ve­ment de révolte? C’est comme si les prémiss­es d’Aris­tote, posées en bon ordre, aboutis­saient en fin de démon­stra­tion à une con­clu­sion plaquée.

Téléphone

Le télé­phone portable per­met de s’isol­er de la foule donc de la sup­port­er. Rien ne s’op­posant plus au fait de faire foule, le foule augmente.

Architecture des fous 2

Par­cours inédit de ces dérangés dont le musée d’Art Brut expose les oeu­vres. Untel, orphe­lin, jar­dinier puis maçon, père de famille puis vagabond, se réfugie dans le mutisme. Pen­dant trente ans, il ne prononce plus un mot. Absent au monde, vis­ité par des émi­nences obscures et tran­scen­dantes, il crée jour après jour sous la dic­tée de forces spirites.