Mois : février 2016

Décourager

Luv me dit que ses pro­fesseurs d’é­cole entre­pren­nent l’an­née durant de la décourager. Plutôt que de la ser­mon­ner lorsqu’elle reçoit une mau­vaise note et de lui indi­quer la bonne manière de tra­vailler, ils font val­oir qu’avec de telles notes jamais elle ne pour­ra accéder aux études sec­ondaires. Con­sciente ou non, cette façon de s’as­sur­er que seul un nom­bre restreint d’élèves attein­dront le bac­calau­réat cor­re­spond à des direc­tives économiques étab­lis­sant le néces­sité de dis­pos­er d’une part d’élèves dotés d’un savoir pra­tique lié à un méti­er, d’autre part d’une masse d’élèves sans qual­i­fi­ca­tions qui seront posi­tion­nés en fonc­tion de la con­jonc­ture. La cul­ture générale n’ayant qu’une util­ité somp­tu­aire qui coûte plus à l’État qu’elle ne rap­porte, le nom­bre d’élus doit être réduit au maximum.

Sion

A Sion pour dis­tribuer des fly­ers. Arrivé par le train, je gagne le vieux quarti­er et la rue du Grand-Pont. L’am­biance est étrange, trop calme. Est-ce que je me trompe? Serait-ce un jour férié? Non pour­tant, nous sommes lun­di. J’ap­puie ma tête con­tre la vit­re d’une bou­tique de mode. La vendeuse est là, en attente. Plus loin, un marc­hand de salles de bains: il est assis à son bureau, il con­sulte son télé­phone. Je jette un œil à la rue. Une dame s’y promène. Nous sommes donc deux. Il y a vingt ans, lorsque j’al­lais tra­vailler un mois à Ver­banne, dans le mag­a­sin de luxe de Mon­a­mi, je me sou­viens avoir ressen­ti la même chose: quelqu’un va–il venir? Mes fly­ers à la main, je cherche les adress­es dont le client a demandé le ser­vice, des galeries d’art. Les trois pre­mières sont fer­mées. Dans la vit­rine de la qua­trième, on lit au-dessus d’un numéro de télé­phone: “appelez-moi, j’ar­rive en 5 minutes”.

Barbie

Comme je fais remar­quer l’op­por­tunisme idéoloique des fab­ri­cants de la poupée Bar­bie lesquels vien­nent d’in­tro­duire des fig­ures de femmes laides, petites, obès­es et grandes, Aplo remar­que avec per­ti­nence:
- La Bar­bie n’é­tait pas belle, elle était parfaite.

Amour

Au lieu d’écrire “l’amour, je n’ai pas de solu­tions de ce domaine qui n’en a pas”, l’au­teur pro­duit trois cent pages d’analyse.

Architecture des fous

Pas­sion­nante expo­si­tion au musée d’Art Brut de Lau­sanne sur les fous et l’ar­chi­tec­ture. De fait, il s ‘agit plutôt de maisons, d’im­meubles et de cabanes dess­inés de face, de haut, de loin, de près, bâti­ments conçus par addi­tion, telles des sculp­tures du fac­teur Cheval, plutôt que par cal­cul, sauf pour cet artiste qui, avec la rigueur du chef d’en­tre­prise sol­lic­ité par un client for­tuné, donne à son tra­vail ce titre fab­uleux: “plan et devis d’ar­chi­tec­ture sidérale agraire”. 

Pour un bombardement de la ville de Lausanne

Quand on déam­bule dans les rues de Lau­sanne, con­cevoir ce qu’elles étaient il y a seule­ment trente ans est impos­si­ble. Ville de métiers, de bistrots, de ren­con­tres, un peu raide dans sa bêtise bour­geoise, paysanne quant au fond, par­lant un  français mau­vais et sym­pa­thique, ville pos­sé­dant une iden­tité, ville dis­tin­guée des autres villes du Léman, sinon excep­tion­nelle, orig­i­nale devant le monde. Aujour­d’hui, elle dégoûte. Celui qui s’y promène est physique­ment gêné de voir tant de laiss­er-aller, de laideur, de médi­ocrité, de duperie, de crainte ren­trée. Car­ac­tères négat­ifs que recou­vrent une pré­ten­tion crasse et une obséquiosité expo­nen­tielle. Que dire d’autre? Les bras m’en tombent. Je n’ai qu’une envie: me sauver. Que voit-on dans le cen­tre de la ville ? Une pop­u­la­tion à peine sor­tie des valis­es, en ape­san­teur, qui par­le toutes les langues du monde et de préférence aucune, une pop­u­la­tion ne man­i­fes­tant envers la cul­ture, la société, le bon­heur, aucune espèce d’in­térêt. Une pop­u­la­tion en pyja­ma qui s’é­ton­nerait qu’on le lui fasse remar­quer et com­ment lui en vouloir? L’État s’est chargé de con­fon­dre domaine pub­lic et privé, délais­sant le pre­mier, con­trôlant le sec­ond. Et der­rière ses éner­gumènes qui rêvent d’a­cheter la pacotille que les indus­triels font fab­ri­quer dans le tiers-monde, un pop­u­la­tion, plus anci­enne, arrivée par l’avion précé­dent, qui pos­sède déjà cette pacotille et en fait éta­lage, prou­vant si besoin était, que la lib­erté promise peut être atteinte. Et ensem­ble, ces deux pop­u­la­tions, s’arrangent pour pro­duire à tous les coins de rues, une nour­ri­t­ure pau­vre, mal­saine, merdique: piz­zas, pâtes, kebab, chi­nois. Un peu plus loin, ceux qui ont lâchés, les intox­iqués. La munic­i­pal­ité leurs octroie un ter­ri­toire exposé, les nour­rit, les torche, les filme. Et dépêche des bon samar­i­tains fonc­tion­nar­isés qui rêvent de sauver le monde, donc les drogués. A la fin de la journée, ces habi­tants de Lau­sanne se met­tent au lit dans des casiers sub­ven­tion­nés, des asiles de nuit, et pour les pen­du­laires français, dans leurs Renault Clio. La ville s’est enfin vidée. Dites moi? Je rêvais, n’est-ce pas? Cela ne va pas recom­mencer demain? Et chaque jour? Cette paupéri­sa­tion des esprits. Ces pyja­mas. Cette cochon­ner­ie de fast-food. “Recom­mencer? Que voulez-vous dire? Ici, c’est Lau­sanne. Mais à Genève, à Paris, à Lon­dres, c’est la même chose, c’est aus­si Lausanne.”

Inconnue

Fasci­nante his­toire que celle de l’in­con­nue de la Seine en ce qu’elle révèle des préoc­cu­pa­tions de voy­ance dans une généra­tion, celle du début du siè­cle, qui à rebours de son affir­ma­tion de lib­erté sociale est mar­quée par un chris­tian­isme mystique.

Boire

Ma mère me dit qu’à boire ain­si, bien­tôt je mour­rai. Une chose est cer­taine: la lit­téra­ture se passe d’adverbes.

Massues

Le per­fec­tion­nement de l’outil divise la société selon une dou­ble critère, la capac­ité intel­lectuelle req­uise pour son usage, le pou­voir économique néces­saire à son aqui­si­tion. Tout le monde peut utilis­er une mas­sue, tout le monde ne peut pas utilis­er un ordi­na­teur. Mais c’est surtout entre sociétés que l’outil à forte valeur tech­nologique installe des divi­sions. Car s’il y a beau­coup d’or­di­na­teurs dans le monde, il y a bien plus de mas­sues. Les rap­ports Nord-Sud dont les sta­tis­tiques mesurent par les chiffres la nature sont aujour­d’hui grevé d’un tel déséquili­bre que com­par­er deux pays, deux peu­ples, deux cul­tures rel­e­vant l’une de la tech­nolo­gie mod­erne, l’autre de la tech­nolo­gie anci­enne, est pure illu­sion. Cela revient à com­par­er un chat et une table, un mon­tagne et un bateau, un bar­il de pét­role et un arbre.

Brutal

Retour bru­tal en Suisse car bru­tale, notre société l’est: rien dans le com­porte­ment des gens qui ne sem­ble dic­té par des impérat­ifs de vitesse, de rentabil­ité, d’ef­fi­cac­ité, de com­mu­ni­ca­tion, cela même dans les fig­ures déchues, symp­tômes tri­om­phants de la réus­site générale, les déchus, les alcooliques, les idiots, les fous, les égarés, les ralen­tis, les drogués.