Mois : juillet 2014

Arguedas

Encier­ro d’Ar­guedas. A dix-huit heures, nous sommes assis sur une des bar­rières qui ferme la rue. L’arène où aboutit la course est en vue. Dix min­utes déjà que le coup de pétard qui annonce le début du lâch­er a reten­ti dans la cam­pagne. La plu­part des vil­la­geois se tien­nent sur la petite colline qui sur­plombe le cen­tre du vil­lage. De ce promon­toire, on voit les enc­los à la périphérie, la rue prin­ci­pale et l’arène. Le pied de la colline fait rem­part naturel. Les bêtes don­nent quelques coups de cornes dans la terre puis descen­dent la rue pavée en direc­tion de l’arène. Or, un jeune tau­reau fonce et parvient à grimper sur la colline. Le pub­lic crie, tombe, s’en­fuit. Une femme jette son bébé par dessus la bête, le mari le rat­trape et le met à l’abri. Aucun blessé. Le calme revenu, aux comp­toirs des bars, sur les ter­rass­es, dans la rue, tout le monde y va de son commentaire.

Bruxelles

Vil­lafran­ca — Piscine munic­i­pale grande et belle, mais chère, du moins pour les vis­i­teurs, les vil­la­geois ont droit eux à un abon­nement. Afin de se ren­seign­er sur les pos­si­bil­ités d’al­ter­na­tive, sachant que nous auri­ons à pay­er chaque jour vingt Euros pour nous cinq, nous allons à la mairie. Hôtel de ville somptueuse­ment rénové. A l’é­tage, qua­tre dames assis­es devant des écrans. Nous sommes là, devant le comp­toir, elles n’ont pas encore lavé la tête. Celle qui téléphonait, rac­croche. Au lieu de venir à nous, elle com­pile un classeur. Arrivent des femmes Arabes. Laides, gross­es, emmi­tou­flées. Elles vien­nent chercher les sub­ven­tions, les tick­ets repas, les four­ni­tures sco­laires. Image par­faite du tan­dem que l’Eu­rope tech­nocra­tique a mis en place: jus­ti­fi­er un fonc­tion­nar­i­at impro­duc­tif et coû­teux en ramenant des mis­éreux sur le con­ti­nent. Ce que me con­firmera quelques jours plus tard le bar­man de la piscine avec qui je sym­pa­thise: ces secré­taires sont les per­son­nes les mieux payées du vil­lage, elles gag­nent trois fois plus que la moyenne salar­i­ale. Il me faut ajouter qu’après ce moment de flot­te­ment, elles se sont mon­trées tout-à-fait sym­pa­thiques. En revanche, non, pas de solu­tion, nous aurons bien à pay­er vingt euros par jour pen­dant dix-sept jours pour accéder à cette piscine con­stru­ite avec l’ar­gent de Bruxelles.

Tudela

A Tudela pour les fêtes. Le dernier encier­ro a eut lieu en mat­inée. Un des­file de gigantes entraîne der­rière lui les enfants de la ville, puis c’est l’apéri­tif sur le plaza Fueros. Les hommes por­tent le béret, le foulard rouge est noué en tri­an­gle sur la nuque. Pan­talon et jupes, mais aus­si chemise et blous­es, sont blancs. Sauf pour le béret, nous avons respec­té le code: les enfants por­tent tous trois le foulard. Longues heures à boire en ter­rasse après un repas dans un ancien entre­pôt de vin et con­tre le soir spec­ta­cle de corre­dores (toreros qui jouent avec la bête) dans l’arène. Il est six heures et la piste est net­te­ment divisée entre soleil et ombre lorsque le pre­mier ani­mal parâit. Aplo est ent­hou­si­aste, Luv à la fois effrayée et pas­sion­née. Con­tent que cela leur plaise. Excel­lente tra­di­tion. Quand on pense à la tristesse de notre foot­ball com­mer­cial. Sur les gradins, beau­coup de jeunes venus en cou­ple ou en famille. Ce pub­lic con­naît son art et par­ticipe. Des serveurs chem­i­nent entre les rangs un plateau à la main. Nous prenons des glaces et de la bière.

Villafranca

Nous quit­tons l’au­toroute à Tudela. Le paysage est aride, la terre jaune. Mais ce n’est pas la Castille. Plusieurs fleuves ali­mentent la région dont l’E­bre et les champs cul­tivés sont partout: tomates, blé, orge, maïs. Au tra­vail der­rière des tracteurs dont les roues lèvent la pous­sière, des Maro­cains. Peu après nous trou­vons le vil­lage où nous allons pass­er les vacances: Vil­lafran­ca de Navar­ra. Mon­frère engage la voiture dans une ruelle . Bien­tôt il faut s’ar­rêter. Des buveurs ont assem­blés leur chais­es sur le pas­sage. L’un d’en­tre eux nous indique la calle Paja. (Le lendemain,et tous les jours quand je passerai mon pain sous le bras ou de retour de la piscine, l’homme est là, assis au milieu de la route, dans l’om­bre de cette rue étroite, devant le bar, son verre à la main.) Nous pour­suiv­ons, mais il faut deman­der une deux­ième fois. Un groupe de per­son­nes en habits devant une vit­rine opaque. Il est dix-sept heures. Il faut une bonne rai­son pour met­tre le nez dehors à ce moment de l’après-midi. Un homme se détache du groupe et nous indique le chemin. Lorsque nous démar­rons, je com­prends: il se tien­nent devant le tana­to­rio. Nous atteignons la rue Paja. Elle est longue de quar­ante mètres, com­mence devant le porche de l’église pour s’achev­er devant un sole plan­té au cen­tre d’une petite place. Un cou­ple assis sur les marche de l’église vient à notre ren­con­tre. Ce sont les per­son­nes avec qui j’ai cor­re­spon­du, Inès et Anto­nio. Ils ouvrent la porte de leur mai­son, nous remet­tent les clefs, Inès me tend les foulards rouges dont nous auront besoin pour aller aux fêtes tau­rines de Tudels. Le cou­ple nous accom­pa­gne pour la vis­ite, mon­tre la vais­selle, les pro­duits de net­toy­age, les linges, l’huile et l’ail, puis s’en va. La semaine prochaine la famille part pour Fri­bourg où elle séjourn­era dans mon appartement.

Calatayud

Nous dînons à Calatayud, petite ville sans charme. Mon­frère qui à l’oc­ca­sion des ces tra­ver­sées à pied de l’Es­pagne a séjourné dans la plu­part des régions se sou­vient de l’hô­tel où il a dor­mi. Il y aurait a prox­im­ité une restau­rant de qual­ité. Mais l’heure passe et il nous faut renon­cer à chercher. Nous prenons place dans une salle à manger au-dessus des ram­blas: tables ron­des, ser­vices d’ar­gent, nappes ami­don­nées, téléviseur sus­pendu et un menu de 10 Euros.

Autoroutes

Nous roulons en direc­tion de Saragosse et de la Navarre sur des autovias liss­es et désertes. En par­al­lèle court une autopista. A l’ap­proche des péages, des pan­neaux annon­cent des rabais sur les prix afin d’a­madouer le client. Aucun auto­mo­biliste ne déboîte. Le seul avan­tage est de pou­voir con­duire sans lim­i­ta­tion de vitesse: la police ne con­trôle pas les sec­tions payantes. Depuis le début de la réces­sion, le débat est récur­rent: l’E­tat espag­nol doit-il racheter ces infra­struc­tures? Les com­pag­nies privées qui avaient obtenues des con­ces­sions à l’époque où la con­som­ma­tion bat­tait son plein se plaig­nent désor­mais de déficit chronique et men­a­cent de se met­tre en fail­lite. Mais com­ment l’E­tat entre­tiendrait ces routes lux­ueuses alors qu’il manque de moyens ne serait-ce que pour entretenir le réseau public? 

Alcala

Près de Madrid, dans un hôtel d’Al­cala d’Henarès avec les enfants et Mon­frère. Bâti­ment de taille posé devant un ter­rain vague. A vue, l’église de briques rouge et une chapelle romane. Elles mar­quent le cen­tre de l’an­cien vil­lage désor­mais noyé par­mi des routes d’ac­cès, des hangars de com­merce, des sta­tions ser­vices. La taille de l’hô­tel laisse songeur: trois cent cham­bres. Or, nous sommes les seuls clients. A la récep­tion, un per­son­nel pris de tor­peur, atti­tude inhab­ituelle en Espagne. Même impres­sion que l’an dernier à Avi­la lorsque je fai­sais mes excur­sions dans les mon­tagnes pour trou­ver des Ver­ra­cos: inutile de lut­ter, nous sommes cap­tifs, l’é­conomie va à vau-l’eau, l’hô­tel fini­ra par fer­mer. Le prix que nous payons pour de mag­nifiques cham­bres au mobili­er design n’est pas ras­sur­ant: beau­coup trop bas. A Fri­bourg, cet argent per­met tout au plus d’of­frir d’une tournée de bières. En nous ren­dant en voiture vers une ter­rasse de restau­rant dont les lumières appa­rais­sent au loin, nous remar­quons un Cen­tre des con­grès, ce qui explique les dimen­sions du bâti­ment de l’hô­tel, mais peut-être demeure-t-il lui aus­si vide à l’an­née. Il est près de minu­it, les tables du restau­rant sont occupées, le ser­vice agréable, nous man­geons. Le lende­main matin, comme nous récupérons la voiture, une Opel Insigna couleur bor­deaux, Mon­frère remar­que une longue éraflure. De la pein­ture blanche reste sur mon doigt. On dirait que cela vient d’avoir lieu. Si tel est le cas, nous vien­dri­ons de per­dre quelque deux mille francs.

Dépendance

La régie appelle. Les palettes, dans le garage, c’est à vous? Et de m’ex­pli­quer que cela gêne: le voisin ne peut se gar­er.
- Et pour cause, il ne sait pas con­duire?
- Je crois que vous avez déjà eu des ennuis avec lui?
- Oui, il m’a enfon­cé qua­torze fois ma voiture.
- Mais depuis?
- Rien. La police a fait son con­stat, il est respon­s­able, il va pay­er.
- Ah, je croy­ais… Parce que sa femme n’ose plus sor­tir dans le jardin.
- Sor­tir dans le jardin?
- Oui, elle a peur.
- Extra­or­di­naire.
- Bref, pour ces palettes?
- Je vais les déplac­er.
Sur ce je laisse pass­er deux jours. D’une part je manque de temps, d’autre part je ne sais où ranger les trois cent cadres rangés sur les palettes, mais aus­si par principe. Et l’a­vant-veille du départ pour l’Es­pagne, j’at­trape mes gants et je descends dans le garage où je con­state que le voisin, inca­pable de manœu­vr­er pour gare sa voiture à sa place, l’a alignée con­tre les palettes. Je pour­rais déplac­er mon matériel en le pas­sant par dessus le capot de sa voiture, mais il est tout de même ques­tion de quelques trois cent kilos. Je sonne à sa porte. Pas de réponse. Je sonne encore. De retour au garage, je m’at­telle à la tâche. Deux heures plus tard, lorsque je remonte à mon apparte­ment érein­té et suant, le voisin et sa femme m’at­ten­dent sur la pas de portes encadrés de deux policiers. Ceux-ci me deman­dent s’ils peu­vent m’ac­com­pa­g­n­er. Je les en prie.
- Ils nous ont appelé car ils ont peur.

 

Pinacothèque

Nou­velle pina­cothèque de Munich. Voilà une année que Gala me par­le de vis­iter les col­lec­tions, que dis-je, deux ans. Aujour­d’hui dimanche, nous prenons nos entrées. Or, dès les pre­mières salles, elle hâte le pas. Elle n’aime pas les fresque his­toriques, a le roman­tisme alle­mand en hor­reur, trou­ve les toiles trop vastes, trop mil­i­taires, trop maniérées.
- On ne va pas tout vis­iter aujour­d’hui, n’est-ce pas?
Ce qui sig­ni­fie: par­tons et ne revenons pas. 

Raison

Lorsqu’on a choisi d’avoir rai­son envers et con­tre tout force est d’asseoir sa cer­ti­tude sur la cul­pa­bil­ité d’autrui.