Jouhandeau constate que ce n’est pas le désir de ceci ou de cela qui vient à manquer, mais le désir; voilà le début de la vieillesse. Le progrès rejoint l’usure.
Mois : juillet 2014
Deutches museum
Le matin je me rends sur l’Isar et prends un billet pour le Deutsches museum, le musée des techniques que m’a recommandé Monami. Avant de commencer la visite, je demande les toilettes. La dame du garde-robe m’indique un passage dérobé. Je descends deux séries d’escaliers et trouve les toilettes. Quand j’en sors, j’ai le choix entre monter vers les salles ou continuer de descendre. Etant déjà loin de la halle d’entrée et sachant que je ne reviendrai peut-être pas, je descends. Un niveau, encore un, puis un troisième. Maintenant la lumière est faible, l’atmosphère lourde, le silence total. Je n’entends que mes pas. Les parois sont de pierre, je suis sous le musée. Je continue de plonger dans les entrailles de la terre. Sans aucun doute, je suis plus bas que le lit de la rivière. J’atteins alors une plateforme d’où part une galerie de forage. Je me baisse et j’avance. Pendant plus de trente minutes, je marche d’un bon pas à travers des boyaux qui débouchent régulièrement sur des salles où se trouvent des machines extraordinaires, dans un décor reconstitué à l’identique, de mines de charbon, de puits de pétroles, de carrière de pierre et de métaux. A l’occasion, je croise un père de famille tenant contre lui ses enfants effrayés ou une gamine anxieuse qui à mon exemple hâte le pas dans l’espoir de trouver une issue à ce labyrinthe.
Augustinerbiergarten
Certains jours, je ne sais pas lire les plans. Ainsi tout-à-l’heure pour gagner la brasserie Augustiner située près de la gare ferroviaire, nous avons fait le tour de la ville par l’Olympiapark. Gala était heureuse: rien que du plat et du soleil, et d’agréables pistes cyclables. Bâtiment de briques sans intérêt, mais intérieur des salles à boire joliment décorés de vieux bois et de cuves en cuivre. Nous demandons la terrasse. Un escalier étroit, aménagé sans grand frais, y mène. D’ailleurs les tables installées sur le toit sont toutes occupées, et d’abord par des touristes ce qui nous décide à prendre place à l’intérieur. Cela n’a pas le charme du Biergarten situé à quelques centaines de mètres et où nous avons bu abondamment l’an dernier avant d’essuyer l’orage, mais vu la température élevée la salle est calme et plaisante. Quand nous reprenons les vélos, nous passons devant le jardin: huit milles personnes sont installées là devant leur bock et des orchestres jouent.
Fleming’s
Retour au Fleming’s hotel dans Schwabing. L’an dernier, nous venions en voiture et le personnel de la réception m’indiquait l’entrée du parking. J’engage la voiture sur une rampe en colimaçon pour aboutir dans une pièce étroite où il s’agit de manœuvrer afin d’entrer son véhicule à reculons sur une plateforme métallique qu’un préposé élève ensuite à la façon d’un ascenseur. Je pourrais remonter la rampe mais il semble encore plus simple de reculer et de se garer. Je tente le coup. En vain. La voiture est trop large, elle rase les murs. Si je force, j’y laisse la carrosserie. Résultat, je remonte à grand peine en surface, tourne dans le quartier, déniche une place à deux kilomètres, reviens au pas de course et trouve Gala dans le fauteuil à lire.
- Tu as fait long.
Cette année, nous sommes à pied. Descendus d’un bus de l’autre côté du pâté d’immeubles et taxi pour les derniers mètres.
“Bienvenue Monsieur Friederich. Je vois que vous aimez notre hôtel. J’ai pour vous une chambre à l’écart, agréable et silencieuse”.
Nous montons, trouvons la chambre. Gala fait une observation. Elle a raison. C’est plus petite que l’été précédent. Je fais remarquer que j’ai choisi le même standing. Gala qui pensait que j’économisais descend alors à la réception. Quelque minutes plus tard nous sommes installés sur cours, dans les meilleures conditions. Nous descendons louer des vélos chez les lesbiennes de Léopold strasse et roulons en direction du jardin anglais. Le soir, sur la terrasse comble du Osterwaldgarten, nous dînons à côté d’un couple à qui Gala fait la conversation avec enthousiasme. Puis la bière lui monte à la tête et elle m’agonit, au point que je ne peux plus manger. Dix fois je lui dis de parler moins fort, de mieux se tenir, d’arrêter de houspiller.
Elle conclut:
- Et il est hors de question que nous fassions l’amour avant que tu m’aie présenté des excuses!
Bien entendu, j’ignore de quoi elle parle. Peut-être ces vingt jours qu’elle vient de passer seule, comme s’ils étaient de mon fait. Je pose deux billets, me lève, quitte la terrasse, remonte à vélo vers Schwabing par un raccourci. Au carrefour d’Occamstrasse, Gala surgit. Elle se place dans ma roue, nous rentrons.
Réveil
Sep heures un quart. Fourbu, assommé, je me rase. Le chat grimpe dans les rideaux, les enfants dorment. Je pars à vélo pour l’aéroport, rate une bifurcation, me retrouve dans le trafic des pendulaires, cadenasse enfin au niveau Arrivées et gagne l’entrée du secteur international. Passent dix minutes. Gala devrait être là. Nous avons convenu d’un rendez-vous à huit heures moins le quart. A huit heures, toujours personne. Si elle ne vient pas, je renonce. Oui, mais il est trop tard pour annuler l’hôtel. Et à ce prix-là… D’un autre côté, si je pars seul, que ferai-je à Munich? Huit heures dix. Personne. Et son portable ne répond pas. J’appelle chez son fils. Un enregistreur. Enfin. à huit heures et quart je l’aperçois au bout de l’étage. Elégante, belle. A petits pas. Le port haut. Gala approche. Lentement. Puis elle se place à côté de moi. Ne dis rien.
- Tu fais quoi? On va manquer l’avion!
Elle s’offusque.
- C’est de ta faute, tu as dit que tu me réveillais!
- Que je te… Mais enfin, tu n’es pas assez grande pour te réveiller?
- J’aurai pu ne pas me réveiller. La seule chose que tu devais faire pour moi, tu oublies de la faire!
- J’ai des centaines de choses à faire! Mets le réveil. Et d’abord, pourquoi ne réponds-tu pas au téléphone?
- Tu avais promis que tu me réveillerai!
- Quand?
- Il y a déjà longtemps !
Veille
Je gare la voiture au bureau, écarte la pile des factures, décroche le vélo, gonfle les pneus, passe mon sac de colleur et pars pour Satigny. Vingt jours que je n’ai pas vu les enfants. Depuis le départ pour Détroit. Autant pour Gala. La ville est calme, le trafic dangereux. Il fait chaud. Je roule lentement. Ma chemise doit durer jusqu’au lendemain, j’ai prévu d’acheter le reste sur place, à Munich. Olofoso a appelé la veille:
- Tu pourras nous aider à monter deux meubles?
J’attends le Pré-gentil à cinq heures, les enfans sont là, avec leur mère; elle s’excuse:
- Je n’ai que de la 1664!
Elle propose de sortir la voiture.
- J’irai à pied.
J’en profite pour faire une balade avec Aplo et Luv qui me racontent leurs vacances à Béziers. Puis les voisines défilent. J’ignore ce qu’Olofso leur raconte, mais elles trouvent des prétextes et entrent dans l’appartement pour voir à quoi je ressemble. A vingt-deux heures, Olofso demande si je suis toujours d’accord de monter les meubles. Alors que je comprends: il s’agit de tirer de leurs cartons une quarantaine de planches de contreplaqué et de monter un bureau et une bibliothèque. Moi qui croyais que nous parlions de portage. Quatre heures plus tard, la réserve de bière est épuisée, je suis détrempé, des écrous et des ressorts traînent encore au sol mais pour l’essentiel, le travail est fait. Je me couche dans le canapé. Un chat rôde dans le salon.
Une famille
Gala proteste.
- Nous sommes une famille!
J’acquiesce du bout des lèvres.
- Mais enfin, si tu dois discuter de l’avenir d’Aplo, de sa scolarité, pourquoi avec Olofso? Cela ne dépend que de toi et de moi!
Sauf que Gala est sur la Côte-d’Azur et que c’est en Suisse que les problèmes se règlent, en Suisse que je rencontre les professeurs et le directeur d’établissement qui menacent d’envoyer Aplo en apprentissage au prétexte que la scolarité obligatoire est finie et que l’Etat ne me doit plus rien, en Suisse qu’il s’agit de monter au créneau et de se faire entendre. D’ailleurs Gala ne compte pas revenir à Fribourg avant le départ pour Munich.
- Revenir? pour quoi faire? Tu es occupé, non?
- Non!
- Oui, enfin, tu as ta boxe, ton livre.
- J’ai fini.
-… de toute manière, il pleut.
- Oui.
- Et que ce soit bien clair, si tu veux que je m’occupe encore d’Aplo, comme je le fais depuis qu’il est né, à l’avenir je serai présente à chaque nouveau rendez-vous!
- Il y en a un lundi, au cycle.
- Et tu ne pouvais pas me le dire avant!
- Je l’ai appris hier!
- Et voilà, c’est ce que je disais!
- Tu disais?
- C’est scandaleux!
Puis Gala décide de ne pas rentrer. Nous nous verrons directement à l’aéroport de Cointrin, me dit-elle. Si c’est comme ça, elle ne rentrera à Genève que pour prendre l’avion. Elle a exigé des vacances à Munich, un repas pour son jour d’anniversaire — à Munich. Elle veut faire du vélo. A plat. E, comme elle me l’explique su un ton d’évidence: tu pars en Espagne sans moi j’ai donc droit à des vacances. Elle oublie de dire qu’en avril, lorsque j’ai fait valoir qu’il était grand temps de s’inquiéter d’un échange de maison pour l’été, elle a retenu Berlin et Munich.
- Et si ça ne marche pas? dis-je.
- Et pourquoi ça ne marcherait pas?
- Parce que les Allemands ont envie de mer et de soleil et que que nous offrons un appartement à Fribourg.
- Et alors?
- Rien, ce n’est pas gagné, c’est tout.
- Mais si!
- Dans ce cas-là, tu peux t’en occuper!
- Je ne sais pas faire.
- C’est très simple…Laisse-moi te montrer!
- Mais enfin, tu ne peux pas t’en occuper?
Quinze jours plus tard, après que j’ai envoyé quinze demandes dûment argumentées aux familles offrant des appartement et des maisons en Allemagne comme le souhaite Gala:
- Pas une seule réponse positive. Si nous ne prenons pas une décision, nous allons restez le bec dans l’eau. J’ai une proposition pour la Navarre.
- En Espagne? Il fera trop chaud! Je ne viens pas!
- La Navarre est une des régions les plus tempérées d’Espagne en été, ce n’est pas Tolède!
- Tu mens. Il va faire 40 degrés. Vas‑y seul avec les enfants et tu m’emmèneras à Munich pour mon anniversaire!
Fordétroit
Mis un point final au manuscrit de Fordétroit. Une affaire bien menée, une écriture enthousiaste. Quand je songe aux tergiversations que suscite la reprise du roman. Que de tâches n’inventè-je pas pour retarder le moment d’y travailler. Dès lors pour quoi y insister? Je ne sais pas. Il est là, achevé ou presque, et cela depuis deux ans. Le plus étrange est que je le crois bon. A ce jugement se mêle un fort sentiment d’inutilité. Il me semble corrigé le texte d’un autre. Un chapitre et j’éprouve des haut-le-cœur. Alors que le livre sur Détroit… Inséparable des errances dans la ville, lumineux, satisfaisant. Un miroir. Le nuit, comme je ne peux dormir, je cherche le titre de la première partie. C’est un jeu plaisant car je sais que je vais aboutir. Avant le départ, dans le carnet qui m’a servi à noter les premières phrases, j’avais inscrit ce titre. Or il a disparu. J’ai beau feuilleter les dix pages annotées du carnet, il ne s’y trouve plus. Il me faut un mot en cinq syllabes (pour l’effet de symétrie le titre de la deuxième partie: décarcération) qui signifie à la fois “voiture” et “fermeture”. A la fin — trois jours et trente néologismes — j’opte pour immofermeture.