Balade sur le chemin de Lorette avec les enfants. Voici venu l’âge des résistances. Ils n’osent pas s’opposer, mais rechignent. Dans la descente des escaliers du funiculaire déjà Aplo se tient avec ostentation à vingt mètres de distance, les bras ballants et l’air embêté. Luv que je tiens pas la main ne me fait pas meilleure grâce. Un instant la curiosité d’Aplo est éveillé par des adolescents qui ont gagné à la nage un groupe de rochers au milieu de la Sarine, puis il se souvient et affiche sa fatigue. Le chemin de Lorette offrant une belle pente, cela n’arrange rien. Comme tout ceci est nouveau, je ne sais trop comment réagir et me contente de les inciter à presser le pas. Mais– je m’en doutais — à mesure que nous nous éloignons de la ville, ils oublient leurs griefs, profitent de la vue sur le basse-ville, visitent la chapelle de Lorette et dans la forêt de Bourguillon s’intéressent à la piste d’obstacles. J’ai compté une heure et demie pour rejoindre la pisciculture du Gottéron; le calcul est arbitraire puisque je n’ai jamais fait la balade. Ainsi je dois m’enquérir auprès d’un couple sorti d’un champ de blé du sentier qui permettra de rejoindre la rivière ce qui ne manque pas de m’attirer des railleries sur la “petite marche”. Vingt minutes plus tard nous traversons un plateau d’orges ondoyants avec pour seule limite les montagnes bernoises et le ciel: un endroit splendide. Cette beauté dont s’enthousiasme Aplo met fin à toute prévention et nous courons torse nu, moi devant, Luv entre deux, Aplo fermant le cortège, les quatre kilomètres d’escaliers et de passerelles qui jalonnent les gorges du Gottéron jusqu’à la place St-jean où dans un grand clame (les citadins ont déserté la ville pendant ce week-end de Pentecôte) nous buvons des limonades et de la bière Cardinale servie dans un bock de grès.
Mois : juin 2014
Amsterdam
Sur la mezzanine dorment des routards parmi lesquels je me promène en culottes sanglé d’une ceinture de combats garnie de magasins, d’un couteau et d’une torche. Je cherche mes habits, lève toutes sortes d’obstacles dans une atmosphère de chambrée puis devine que ceux-ci ont été enfermés dans l’armoire forte qui occupe le fond de la pièce. Alors que j’avance, la vue se dégage et j’aperçois à l’étage inférieur des centaines d’adolescents nus, formant une groupe de corps lascifs, certains en position de coït, mais étrangement résignés, presque fatalistes. Le plancher finit dans l’eau et un instant j’imagine que nous sommes logés sur un ponton. J’atteins l’armoire fortifiée lorsqu’une main saisit mon bras.
- Je ne comprends pas. Comme nous tous, vous êtes descendus à l’auberge de jeunesse d’Amsterdam. Or, depuis trois jours vous ne l’avez pas quittée. Ne souhaitez-vous donc pas connaître la ville?
Remarque dont je ne tiens aucun compte tout en en pensant, “Il est hors de question que je visite Amsterdam!”
Manger
Vision soudaine des épiceries de mon enfance à Saint-Jean-de-Luz: de fromages à profusion, des saucisses en tas, des terrines, des pieds de jambon et de la gelée, des boulangeries chaudes et lumineuses à chaque coin de rue. Arrivant d’Espagne, un pays qui n’a jamais eu la culture de la gastronomie, cette générosité des aliments était frappante. Trente ans plus tard, les ravages de la grande distribution sont visibles: boulangerie aux pains comptés, exposition des fromages interdite et faute de pouvoir d’achat, boucherie peu garnies et sans cochonnaille, disparition des étals de poissons. Dans le Lot-et-garonne où je me suis installé en 1997 se tenait sur la place d’Astaffort chaque lundi un marché de vingt stands. Dix ans plus tard, il en restait quatre. Les règles d’hygiène et de transport des marchandises imposées par Bruxelles avait porté le coup d’arrêt aux activités des producteurs locaux qui redevenus des consommateurs se fournissaient touts au supermarché local. Le fromager par exemple m’avait expliqué avoir à investir 20’000 Euros dans un frigorifique pour se mettre aux normes. Il avait jeté l’éponge. Efficacité de la politique des lobbies industriels.
Plongée
Comme je parle j’écris. En langage direct. Sans rien cacher. Tu peux en juger par le résultat. Regarde mon livre! Voici 14 heures qu’il est dans les mains de ce lecteur et pas une seconde il n’a relâché son attention. C’est simple, s’il s’agit d’un roman policier, le lecteur a la sensation d’accompagner l’inspecteur sur le terrain. A tel point que l’Etat vient d’interdire la vente des mes livres. Trop prenants.
Père
Dans une pizzeria de Lausanne en compagnie de mon père, sa femme et Frère. Le serveur a le physique de Milosevic.
- J’aime beaucoup ce restaurant, dit mon père, il appartient à la maffia.
- …et la raison pour laquelle tu l’aimes?
- Oh, c’est simple. Ces Italiens sont de vrais malins. Ils trafiquent de la drogue comme font les Turcs, mais ils s’arrangent en plus que que le restaurant rapporte de l’argent.
Et plus tard dans la conversation, suivant je ne sais quel raisonnement par devers-soi:
- La vérité est tellement précieuse qu’il faut beaucoup de mensonges pour la protéger!
Tintin
Frère m’apprend que mes albums Tintin se promènent dans le village de Lhôpital. Les passeurs sont les enfants du voisin, venus dans le maison et repartis avec les bande-dessinées. Tant mieux pour eux, et cependant, cela ne peut aller sans un pincement au cœur: ces albums ont beaucoup compté dans ma vision du monde au point que je m’offusque de ce qu’ils ne retiennent aucunement l’attention d’Aplo et Luv.
Vache
Dans le pré de l’Abbaye d’Hauterives, sous un ciel lourd et ensoleillé, une vache aux flancs tapissés de mouches. Sa robe brune et blanche est prise dans une armure tant est fournie la nuée. Comme je m’approche, elle se lève et use de tous les moyens pour chasser les parasites: coups de queues et de langue, tressaillements, bonds — rien n’y fait, les mouches s’acharnent sur la bête que je prends en pitié.
Synthèse
Force est de constater que je comprends aussi mal qu’autrefois ce qui à mon entendement se propose. Ceci vraisemblablement parce que ma capacité de synthèse, ou pour mieux dire sa particulière conformation, m’oblige à emprunter des voies secondaires, compliquées ou originales, tributaire que je suis d’un apprentissage à certains égards autodidacte. De même que je peinais à digérer en début d’études universitaires les grands systèmes philosophiques n’ayant pas été préparé par l’école, je m’étonnais ces derniers temps d’avoir tant de difficulté à assimiler les mouvements de base des sports de combat que d’autres élèves dès la première démonstration reprennent naturellement à leur compte. Au point que ce matin, jouissant d’une heure de loisir sur les bords de la Sarine, j’ai refait mes leçons seul, un livre ouvert à mes pieds, décomposant selon mon bon vouloir ces mouvements, ce qui n’a pas manqué porter ses fruits.