Mois : octobre 2013

Tension

Tan­tôt, comme je me prom­e­nais dans les bois, je croise Han­nah. Elle est seule, nous par­lons, puis cha­cun pour­suit dans sa direc­tion. De retour dans l’ap­parte­ment du Criblet, je m’aperçois que le charme est rompu. L’an dernier, per­sis­tait une aura liée à notre brève rela­tion, non parce qu’elle avait été brève, mais parce que n’ayant pas été assez con­som­mée, cha­cun ressen­tait, mal­gré lui, cette ten­sion heureuse que pro­duit la représen­ta­tion d’un désir disponible. Il vient de disparaître.

Shakespeare

La semaine dernière, B., jour­nal­iste indépen­dant qui four­nit des arti­cles cul­turels à des pub­li­ca­tions de gauche sol­licite l’écrivain Rus­sel Banks. Ren­dez-vous est pris. B. s’in­stalle sur la ter­rasse du Grand hôtel Kempin­s­ki où l’Améri­cain est descen­du aux frais de la Ville de Genève et aver­tit la serveuse:
- Vous serez bien aimable de ne pas nous déranger pen­dant la demi-heure qui suit, j’in­ter­viewe un des plus grands écrivains améri­cains.
La gamine réflé­chit.
- Shake­speare?
Au bout d’un quart d’heure, tan­dis que l’en­reg­istreur tourne et que la dis­cus­sion va bon train:
- Tout va bien Messieurs, vous n’avez besoin de rien?

Cosmétique de la vache

Con­férence pleine de sens sur l’él­e­vage indus­triel des vach­es et l’a­gres­siv­ité qu’elle sus­cite dans les trou­peaux, mais surtout envers l’homme qui, prévenant tout risque, écorne les bêtes, opéra­tion dan­gereuse pour l’évo­lu­tion de leurs cerveaux et dont les suites sont inconnues.

Acablar

Encore et tou­jours inqui­et à l’idée de repren­dre Aca­blar tant il est dif­fi­cile de se fray­er une voie dans l’é­pais­seur et la con­fu­sion des sujets levés.

Communauté

Nul ne savait pourquoi la porte de bois trou­vée ce matin-là par le paysan effrayait à ce point les vil­la­geois, mais la plu­part refusèrent désor­mais d’emprunter le sen­tier du puits et la com­mu­nauté, lente­ment, se mit à dépérir.

Ennemis

Imbé­ciles tri­om­phants qui au nom des utopies sub­ven­tion­nées déclar­ent urgent l’in­stau­ra­tion de couloirs human­i­taires entre l’Afrique et l’Eu­rope. Ennemis.

Cassations

Relec­ture de Cas­sa­tions, texte de 2002 dont j’avais tout oublié, que le poète et con­struc­teur de satel­lite Désag­uli­er pub­lie en revue à Paris. Le ton lyrique des pre­mières pages gêne. Par endroits je crois enten­dre le “Nathanaël…!” de Gide. Puis je me laisse entraîn­er par le rythme du solil­oque et goûte cette péri­ode de nar­ra­tion qui évoque la vie au vil­lage de Gim­brède, les collines et les colombes du Gers, le feu et la corvée de feuilles sur la place aux mar­ronniers. Non seule­ment, je me retrou­ve dans ma mai­son, mais aus­si dans mon per­son­nage d’ autre­fois, ravi et décalé, ne par­tic­i­pant au monde qu’à la façon du spec­ta­teur, sen­ti­ment qui ne m’a pas quit­té, mais qui, j’imag­ine sous la pres­sion des pou­voirs de société, n’est plus du tout vécu sous un aspect posi­tif et por­teur de rêveries.

Course

Des navettes bondées achem­i­nent sur la ligne de départ des coureurs por­tant le dos­sard. Je me représente ce trans­port, cette foule, et cela me paraît absurde. Puis je m’en­dors. A neuf heures le lende­main, je quitte les enfants vêtu court, le front ceint d’un tis­su, le chronomètre au poignet. De la gare des bus de Fri­bourg, la navette me dépose dans la Grand-rue de Morat. Le coup de pis­to­let reten­tit, la course com­mence, agréable, par temps doux, au milieu de haies de spec­ta­teurs qui applaud­is­sent et agi­tent des cloches. Je vais à mon rythme, qui est moyen, et réfléchis aux prob­lèmes que sus­cite l’écri­t­ure d’Aca­blar. Or, chaque fois je trou­ve une idée, il se pro­duit comme un appel d’air, ma foulée grandit. Puis je reviens à la nor­male, jusqu’à l’idée suiv­ante. Alors, à nou­veau, j’ac­célère. Et ain­si de suite. Devant Fri­bourg, à l’ap­proche de la porte de Morat, j’aperçois une arche gon­flable  mar­quée Arrivée. Aus­sitôt, je m’élance, dou­ble les autres con­cur­rents, passe sous l’arche, m’ar­rête. Et con­state que la course n’est pas finie, que seul entre tous j’ai accéléré, que la mon­tée de la rue des Alpes est devant nous. Le soir un bénév­ole me dira:
- J’ ai fait sig­nalé  l’er­reur à l’or­gan­i­sa­tion, mais ils n’ont en pas tenu compte. Enfin, l’essen­tiel est que cela n’ait gêné personne.

Insomnie

Insom­nies. Je pour­su­is dans le som­meil mon chantier lit­téraire et suis donc ramené à la veille. Les bruits de la ville se sont tus, il est 4h30, j’ou­vre la fenêtre, ne peux plus dormir, lis Calaferte puis les bêtis­es de quelques jeunes auteurs que la pré­ten­tion dirigeait vers le tra­vail en banque et l’achat de voitures haut de gamme: on les sent press­er de met­tre un point final à leurs pages pour touch­er en nature la rançon de leur prouesse. Puis j’ai faim. Dans les armoires je ne trou­ve que des nour­ri­t­ures saines, énergé­tiques, con­cen­trées: choco­lat, corn-flakes, jus. Je reprends mes lec­tures, mais les car­ac­tères flot­tent sur la page. Deux­ième moitié de la nuit vis­itée de rêves qui aga­cent les nerfs avec des motifs de désirs frus­trés, et quand vient le matin, il pleut, les paupières sont lour­des, j’é­coute les voix vives et décidées d’un cou­ple de dames qui passe dans la rue, ne doute pas de sa direc­tion, con­quiert chaque jour une sit­u­a­tion qui se livre dans la répéti­tion des gestes, des heures, des cama­raderies, et j’admire.

Technocratie

His­toire fasci­nante des villes-états de la Grèce antique dont les mod­èles d’or­gan­i­sa­tion poli­tique suff­isent à dénon­cer presque trois mille ans plus tard les dévoiements cal­culés de nos démocraties.