Le statut de dissident est accordé à celui qui refuse de participer à un consensus. Il est admis à s’exprimer dans le cercle privé, mais ne peut être entendu au-delà et ne doit pas être suivi. La preuve du risque qu’il représente devient manifeste aussitôt qu’un nombre significatif de transfuges passent du camp du consensus à celui du dissident. Les autorités sont alors placées devant un dilemme: renoncer à leur mainmise sur le réel, et c’est la révolution des esprits, ou emprisonner le dissident (dans nos démocratie, détruire sa position moral par voie de presse.)
Mois : octobre 2013
Béatitude
Rien ne me désole plus, et le cas échéant, me met en colère, que cette complaisance envers des attitudes et des œuvres dont le contenu, primitif par défaut, est tenu pour un modèle de renouveau de notre culture. Ce type de comportement, en plus d’offrir une prise évidente au travail des psychanalystes qui pourraient y configurer et leurs syndromes de culpabilité et de déni du réel, témoigne d’une conscience occidentale qui se coupe de son histoire au point d’être incapable de se souvenir que son état actuel est le fruit mature d’un long travail lequel contient, parmi ses nombreuses étapes, une étape primitive, dont le caractère est universel, constat qui disqualifie tout jugement béat devant la réintroduction du type d’attitudes et d’œuvres que je fustige ici.
Profondeur
Enfant, sur la côte espagnole, ma mère me mit un jour en garde contre les trous d’eau. Avec le recul, je ne saurais dire quel expression elle utilisa alors, mais à compter de ce jour, j’ai toujours pensé qu’en certains endroits les fonds s’ouvraient sur des verticales béantes et que celui qui s’y glisserait aurait accès à une seconde mer cachée sous la première. Or cette semaine, comme je regardais un reportage aquatique sur les nautiles, j’entendais un plongeur nageant par trente mètres de profondeur au-dessus d’un massif de corail expliquer en braquant sa torche dans une crevasse que “là-dessous, parfaitement inaccessible à l’homme, il y a encore six cente mètres d’eau”
Mémoire
Darien, que je n’avais pas revu depuis l’école militaire, il y a trente ans, dit:
- Non, je n’ai aucun souvenir des camarades, aucun visage en mémoire, tu es la seule personne dont je me souvienne et j’ai toujours pensé que nous nous reverrions un jour, et que ce jour-là je te demanderai comment tu pouvais conjuguer en pensée l’anarchie et la réaction.
Encyclopédie
Comme je fais part à Darien de mon scepticisme quant à la possibilité de transmettre le savoir sur un plan horizontal où tout émetteur serait également un récepteur et juge risqué d’abolir la relation maître-disciple, du moins en tant que modèle de formation, il me répond que se rendre en biliothèque, comme je le fais, pour consulter des encyclopédies afin de m’expliquer des notions ou des mots de choses est aberrant. Après avoir mentionné mes rubriques de recherche du jour, l’histoire du droit de la propriété et le néo-plasticime de Mondrian, dans le but de simplifier, je prend malencontreusement l’exemple du pain.
- Mais, s’exclame-t-il, comprendre le pain, c’est le manger.
Position qu’il veut réaliste et adossée au bon sens, mais qui, lui fais-je remarquer, est également d’ordre mystique, d’où l’utilité de démêler les sens en ayant recours à une autorité.
Quoiqu’il en soit, la leçon que j’ai tiré de cette consultation de l’Encyclopédie est que la hiérarchisation offre un avantage par rapport au système de libre contribution mise à la mode par Wikipédia: le savoir est exposé par celui qui est reconnu par ses pairs comme son détenteur exemplaire. Or celui-la profite, par la force des choses, d’une longue formation académique et sait donc exposer le problème dans une langue méthodique ce qui, dans un modèle participatif est impossible, du fait du système d’écriture par couches superposées (apports successifs intégrés par un modérateur).
Képis
Projet de descente du Mékong depuis le lac Qinghai, au sud du Tibet, jusqu’à la mer de Chine, à portée de Saigon. L’agence nationale du tourisme en Chine indique que la région est ouverte et donne un liste en français des monuments. Quant à savoir si on peut y circuler librement, gagner le Yunnan par le fleuve, impossible à dire: dans les faits, personne ne semble y voyager. Nous calculons avec Etan qu’un quart des 4000 kilomètres du cours du Mékong se trouve en territoire chinois. Nous aurions ensuite à passer par la Birmanie, le Laos, le Cambodge et le Vietnam. Nous savons qu’il nous faudra souvent changer de bateau et faire une partie du périple par voie de route, ne serait-ce qu’en raison des barrages et des rapides. Et prévoir des sommes pour obtenir les passes-droits. Nous convenons de prendre contact avec des gens qui ont l’expérience de ces pays, dont Claude Martheler, entré à vélo en Birmanie depuis la Chine. Un peu plus tard, je suis au club de sport, où les téléviseurs diffusent une étape de la course cycliste le Tour de Pékin: le long de la route, tous les vingt mètres, un gardien en képi et uniforme surveille les badauds.
Meubles
Deux couples visitent séparément l’appartement que je dois, renonçant au bail avant échéance, remettre, et tous deux, sans ambages, demandent si je laisse les meubles. Bien entendu, ils paieront, mais tout de même, quelle chose extraordinaire que la disparition de tout rapport affectif aux objets.