Coslada 2

Fr. 350.- de taxi et courir jusqu’à la porte d’embarquement, mais Gala est à Madrid-Bara­jas ce soir. 

Coslada

Périphérie de Madrid, à l’hô­tel, j’at­tends Gala. Le quarti­er est sans qual­ités, j’aime. Ses immeubles de brique rouge organ­isés en “urban­i­sa­tions” autour d’une piscine, ses échoppes de la loterie nationale, ses ram­blas tron­qués, les cafés-comp­toirs à chaque coin de rue, puis il fait une temps splen­dide, une tem­péra­ture d’été en ce début d’hiv­er. J’achète une bouil­lote gar­nie de four­rure. Pour Gala. Pour rire. Le télé­phone sonne. C’est elle. Mon­tée dans le mau­vais train sur le quai 7 de la gare Lau­sanne, elle arrive à l’in­stant à Yver­don. L’avion décolle de Genève dans deux heures. 

PF

“Vous savez ce que c’est ici?”, demande le patron, une tante qui ressem­ble à Michel Ser­rault dans la Cage aux folles. L’homme veut dire qu’il ne s’ag­it pas d’un restau­rant à menu, pas d’un restau­rant pour tous les jours, il cherche à me faire com­pren­dre sans me vex­er que c’est un restau­rant de prix et il a rai­son au vu de ma dégaine : débar­qué à l’in­stant de la camion­nette après trois heures de con­duite sous la pluie je porte des Bermudes frois­sés, des chaus­sures de chas­se en toile de cam­ou­flage, une veste de dix ans et je ne suis pas rasé. Mais surtout: je mangerais volon­tiers une soupe et des patates. Deux ouvri­ers du bâti­ments me par­lent de la Quin­cail­lerie PF. Un restau­rant? Oui, dans le hangar d’une quin­cail­lerie de la zone indus­trielle de Bur­gos. Assis dans un siège troué, une aimable matrone me sert sur une table ban­cale un bol de salade russe œuf-may­on­naise-olives d’un kilo — sans exagéra­tion. Quand je repousse le bol après en avoir avalé la moitié, elle fait: “vous n’avez pas faim?”. 

Matin

Baig­nade au réveil après le café. Des maîtres qui baladent leurs chiens, une mer agitée de cour­tes vagues, une eau excel­lente et un luxe, des douch­es appro­vi­sion­nées (en camion­nette dans les villes le prob­lème n’est pas aisé). Tol­do sort de sa voiture chi­noise une servi­ette sur l’é­paule. Il entre dans la mer, il nage. Il a des affaires à traiter à Bil­bao, mais d’abord il va dans sa pro­priété de Saint-Jean de Luz où la bonne qui est une cuisinière mer­veilleuse pré­pare ses spé­cial­ités. Nous nous embras­sons. Prochain ren­dez-vous, à Mex­i­co. Le temps de poster du matériel d’hor­logerie chi­nois pour Aplo, je prends la route en direc­tion de Saint-Sébastien, Vito­ria-Gasteiz et Burgos. 

Rendez-vous

La porte vit­rée du Parador d’Hon­darrabía coulisse, voici Tol­do. Chauve (plus que moi), sere­in (à son habi­tude), il se tam­ponne la bouche d’une servi­ette de coton et me guide à tra­vers la salle des armures. Sa nou­velle femme Ale­jan­dra est au petit-déje­uner avec Daniel, l’homme du télé­phone, un gourou spir­ituel comme Tol­do nomme les sages qui l’ac­com­pa­g­nent. Nous sor­tons sous la pluie. Une pluie basque, longue et drue. Les rigoles inon­dent les façades, le pavé est noyé, les arbres trem­blent. Nous promenons dans la vielle ville, sous les maisons en colom­bages, les Mex­i­cains sous des para­pluies acquis à l’in­stant, moi le col relevé, la cas­quette sur les oreilles. Dernier ren­dez-vous avec Tol­do, en 2004, dans ses bureaux de Polan­co. Depuis, il a fait fruc­ti­fi­er ses négo­ces, banque dig­i­tale, con­sult­ing financier, Mont-de-piété et insti­tut de yoga, en a aban­don­né d’autres, fer­mes biologiques et club de vin, mais fab­rique du Mez­cal et donne plus que jamais dans sa pas­sion native, l’his­toire pré-colom­bi­enne du Mex­ique. “Tu vois, me dit-il, au moment de l’indépen­dance, le gou­verne­ment a voté un nom de bap­tême pour le pays, mais les Mex­i­calis (pronon­cer “mechi­calis”) étaient une tribu bar­bare du Nord, rien à voir avec l’o­rig­ine toltèque du pays anahuac. Aujour­d’hui je sauve­g­arde la lit­téra­ture ances­trale, la fait traduire, et j’ou­vre des écoles où l’on enseigne selon la méth­ode indi­enne du “rêve con­scient”. Il con­clut. “il faut que je t’en par­le”. Et je me retrou­ve sur la digue de la Bidas­soa, aux côté de Daniel, qui m’ex­plique le motif de ses voy­ages en Alle­magne, en Suisse, en Hol­lande: “recréer l’u­nité de la per­son­ne par la voie”. D’abord, je ne suis pas sûr de bien com­pren­dre, puis cela s’é­claircit: Daniel par­le de la voix, pas de la voie. Il insiste: “Que de la pra­tique! Je chante les notes du piano, je lis dans la voix pour com­pren­dre quand la per­son­ne est sincère, j’es­saie de sup­primer la dépen­dance, de met­tre le vivant à l’u­nis­son.” Et Daniel de bross­er un por­trait des alié­na­tions occi­den­tales. “Toi”, demande Tol­do?. Seize ans de péripéties — que racon­ter? Le plus sim­ple: l’écri­t­ure, le vélo. “nous avons une vil­la sur le Paci­fique, fait Tol­do, nous irons à vélo depuis Mex­i­co. Ensuite tu vien­dras dans le Yucatan, c’est là que j’habite trois semaines par mois”. Rue des pêcheurs, der­rière le port, nous prenons un “almuer­zo”, puis nous mar­chons encore, lente­ment, con­tre la mer. Vient l’heure du déje­uner. Car Tol­do a une reli­gion: la cui­sine. “Si nous sommes au pays basque, dit-il, c’est pour manger”. Con­duits par un GPS à la voix asex­uée à bord d’une voiture élec­trique et chi­noise, nous rejoignons les collines. Tol­do gare la navette sur un ter­rain vague. Le ciel est gris, il pleut sur la prairie. Ale­jan­dra: “Tu crois que…?”. Tol­do lève la bras, désigne un trou­peau de mou­tons ruis­se­lant: “C’est là”. En effet, der­rière une grange, il y a un restau­rant de luxe, le Maria Mari. Le chef toqué présente un pois­son rouge à gueule de boule­dogue, je com­mande une côte de bœuf au char­bon, nous dégus­tons les hors d’œu­vre (qua­tre anchois bien larges et du cochon noir de Gui­je­lo nour­ri aux glands), Tol­do choisit le rouge de la Rio­ja avec le som­me­li­er. Plus tard, en France, nous nous promenons longue­ment et lente­ment sur le haut quai de Saint-Jean de Luz, Tol­do achète des tisanes, sa femme du papi­er japon. La journée finie, retour à Hon­darrabía, je ren­tre dans ma camion­nette, je décap­sule mes litres de bière, je regarde la mer sous la pluie depuis un park­ing de six cent places entière­ment vide.

Toldo

Le matin, Daniel au télé­phone: “tu peux être à Hon­darrabía pour neuf heures?”. Je con­sulte ma mon­tre. Il pleut des vers­es, le ter­rain vague n’est que boue, le vent du large fou­ette les pins, le brouil­lard enve­lope le van et je suis sur le Mont Jaizk­i­bel: “Daniel, il est neuf heures moins dix!”. 

- Oui, je sais. Alors, dès que possible? 

Comprendre

Que la stratégie du coup d’é­tat per­ma­nent orchestrée par la tech­nocratie (virus, élec­tric­ité, nour­ri­t­ure, fémin­isme, immi­grés…) vise à saper les droits pour établir via les “solu­tions néces­saires” des potentats.

Euskadi

Van instal­lé au-dessus du port d’Hon­darra­bia sur le mont Jaizk­i­bel, je débar­que chaise et table, bois un thé, lis L’homme seul de Frochaux et bronze. Le temps est superbe, le lieu rem­pli de pique-niqueurs, les enfants jouent au bal­lon, c’est dimanche. Plus tard, matériel de sport sous le bras, j’emprunte le chemin de ronde de la forter­esse Guadalupe. La citadelle creusée de dou­ves doit béné­fici­er d’une vue sur la France, Hen­daye et Saint-Jean de Luz mais de l’ex­térieur impos­si­ble d’en juger et ce jour elle est fer­mée aux vis­i­teurs. Ce que l’on devine, c’est une struc­ture en quin­conce aux allures de bête archaïque. Elle est cou­verte d’herbe mousseuse, elle est enfon­cée dans la terre. Ici et là sur­gis­sent un pan de muraille ou un cha­peau de tourelle. La taille est d’un colosse, le poids inouï ain­si que le sen­ti­ment d’inu­til­ité. J’é­tudie les entrées afin de me cacher: je n’aime pas dérouler mes exer­ci­ces en pub­lic. Au bout d’une travée, près d’une grille à hers­es, je trou­ve le lieu idéal. Entre deux talus, j’en­traîne mes rou­tines tan­dis que sur le chemin haut défi­lent invis­i­bles les touristes. Le soir je décroche le vélo, descends à Hon­darrabía, j’achète une bouteille que je bois sur le port. Au retour, la pluie me rat­trape. J’ai sous-estimé la mon­tée : il y a près de cinq cent mètres de dénivelé depuis la mer. Puis j’ai oublié mes phares et mon casque. J’ar­rive sur le Jaizk­i­bel trem­pé. Tout le monde est par­ti ou presque; reste un cou­ple de Berlin et ses chiens à bord d’un MAN vert cam­ou­flage et des hip­pies arc-en-ciels dans un Duca­to en forme de meringue. La nuit, le télé­phone sonne. C’est Daniel. Qui est Daniel? L’émis­saire de Tol­do. “Tol­do t’ap­pellera demain matin”, dit Daniel. 

Navarre 6

Col de l’In­fer­nuko. Mérite son nom. Route de dévi­a­tion au sor­tir d’une val­lée trans­ver­sale de la Bidas­soa, elle se dresse sur des pentes de dix-neuf pour-cent jusqu’à une haute forêt mar­quée de coupes som­bres. Des mou­tons blancs à tête mar­ron sont au pacage. Au som­met, un pan­neau défon­cé par la chevro­tine indique: Eli­zon­do. Je con­nais, j’ai dor­mi dans l’église de ce vil­lage il y a trente ans. Je roule en bas de la mon­tagne, bois un Coca-Cola au super­marché et attaque le retour. Et quel retour! Les sept cent mètres de mon­tée débu­tent par une rampe de vingt-et-un pour-cent. A cinq à l’heure sur l’u­nique plateau, la roue lève!

Navarre 5

Com­posé dans le demi-som­meil un poème sur la mort. Ni volon­té comme il m’ar­rive pour me dis­traire durant les insom­nie ni jeu comme à l’oc­ca­sion je fais pour m’a­muser. Jamais d’ailleurs je n’avais com­pos­er sur la mort. Les deux pre­miers vers venus sous l’ef­fet de l’in­spi­ra­tion. Puis une pause et la suite. Longue de six stro­phes. Bal­ancées, musi­cales, imposantes. Poème dur. Som­bre. Lumineux. Effrayant. Que je récite pour mémoire. “Tente de retenir les pre­miers vers”, me dis-je. Je les répète — en vain: un seul en mémoire au réveil, le pre­mier et pas le moin­dre sou­venir des qua­trains qu’il déroulait.