Rendez-vous

La porte vit­rée du Parador d’Hon­darrabía coulisse, voici Tol­do. Chauve (plus que moi), sere­in (à son habi­tude), il se tam­ponne la bouche d’une servi­ette de coton et me guide à tra­vers la salle des armures. Sa nou­velle femme Ale­jan­dra est au petit-déje­uner avec Daniel, l’homme du télé­phone, un gourou spir­ituel comme Tol­do nomme les sages qui l’ac­com­pa­g­nent. Nous sor­tons sous la pluie. Une pluie basque, longue et drue. Les rigoles inon­dent les façades, le pavé est noyé, les arbres trem­blent. Nous promenons dans la vielle ville, sous les maisons en colom­bages, les Mex­i­cains sous des para­pluies acquis à l’in­stant, moi le col relevé, la cas­quette sur les oreilles. Dernier ren­dez-vous avec Tol­do, en 2004, dans ses bureaux de Polan­co. Depuis, il a fait fruc­ti­fi­er ses négo­ces, banque dig­i­tale, con­sult­ing financier, Mont-de-piété et insti­tut de yoga, en a aban­don­né d’autres, fer­mes biologiques et club de vin, mais fab­rique du Mez­cal et donne plus que jamais dans sa pas­sion native, l’his­toire pré-colom­bi­enne du Mex­ique. “Tu vois, me dit-il, au moment de l’indépen­dance, le gou­verne­ment a voté un nom de bap­tême pour le pays, mais les Mex­i­calis (pronon­cer “mechi­calis”) étaient une tribu bar­bare du Nord, rien à voir avec l’o­rig­ine toltèque du pays anahuac. Aujour­d’hui je sauve­g­arde la lit­téra­ture ances­trale, la fait traduire, et j’ou­vre des écoles où l’on enseigne selon la méth­ode indi­enne du “rêve con­scient”. Il con­clut. “il faut que je t’en par­le”. Et je me retrou­ve sur la digue de la Bidas­soa, aux côté de Daniel, qui m’ex­plique le motif de ses voy­ages en Alle­magne, en Suisse, en Hol­lande: “recréer l’u­nité de la per­son­ne par la voie”. D’abord, je ne suis pas sûr de bien com­pren­dre, puis cela s’é­claircit: Daniel par­le de la voix, pas de la voie. Il insiste: “Que de la pra­tique! Je chante les notes du piano, je lis dans la voix pour com­pren­dre quand la per­son­ne est sincère, j’es­saie de sup­primer la dépen­dance, de met­tre le vivant à l’u­nis­son.” Et Daniel de bross­er un por­trait des alié­na­tions occi­den­tales. “Toi”, demande Tol­do?. Seize ans de péripéties — que racon­ter? Le plus sim­ple: l’écri­t­ure, le vélo. “nous avons une vil­la sur le Paci­fique, fait Tol­do, nous irons à vélo depuis Mex­i­co. Ensuite tu vien­dras dans le Yucatan, c’est là que j’habite trois semaines par mois”. Rue des pêcheurs, der­rière le port, nous prenons un “almuer­zo”, puis nous mar­chons encore, lente­ment, con­tre la mer. Vient l’heure du déje­uner. Car Tol­do a une reli­gion: la cui­sine. “Si nous sommes au pays basque, dit-il, c’est pour manger”. Con­duits par un GPS à la voix asex­uée à bord d’une voiture élec­trique et chi­noise, nous rejoignons les collines. Tol­do gare la navette sur un ter­rain vague. Le ciel est gris, il pleut sur la prairie. Ale­jan­dra: “Tu crois que…?”. Tol­do lève la bras, désigne un trou­peau de mou­tons ruis­se­lant: “C’est là”. En effet, der­rière une grange, il y a un restau­rant de luxe, le Maria Mari. Le chef toqué présente un pois­son rouge à gueule de boule­dogue, je com­mande une côte de bœuf au char­bon, nous dégus­tons les hors d’œu­vre (qua­tre anchois bien larges et du cochon noir de Gui­je­lo nour­ri aux glands), Tol­do choisit le rouge de la Rio­ja avec le som­me­li­er. Plus tard, en France, nous nous promenons longue­ment et lente­ment sur le haut quai de Saint-Jean de Luz, Tol­do achète des tisanes, sa femme du papi­er japon. La journée finie, retour à Hon­darrabía, je ren­tre dans ma camion­nette, je décap­sule mes litres de bière, je regarde la mer sous la pluie depuis un park­ing de six cent places entière­ment vide.