Clinique

Dans son insur­rec­tion con­tre le réel, le social­isme ter­mi­nal men­ace pour la sec­onde fois en cent ans la civil­i­sa­tion occi­den­tale. Une mal­adie. Une mal­adie qui pour­rit l’e­sprit pour mieux s’at­ta­quer à la chair. Longue incu­ba­tion. Rav­ages vis­i­bles. A terme le corps social suc­combera. Le con­cept d“autointoxication” chez Slo­ter­dijk, de “court-cir­cuit” chez Stiegler cir­con­scrivent pour par­tie ce phénomène: une liq­ui­da­tion de l’hu­man­ité par la pro­duc­tion assistée des miasmes. Dit autrement : “com­ment ren­dre malade puis entraîn­er le malade à aggraver son état”.

Images

La femme qui organ­ise notre séjour sur cette terre appa­raît sur l’hori­zon. Elle est chevelue et bar­bue. Cheveux et barbe sont noirs. Elles respecte les dis­tances. Nul n’est cen­sé savoir qui elle est. Je trans­porte un sac rem­pli de bouteilles de vin. L’une de ces bouteilles est cassée. Les débris ne me blessent pas le dos, le vin ne coule pas, mais je me représente cette blessure, cet écoule­ment. Je monte l’escalier. Dans l’ap­parte­ment la fête bat son plein et cha­cun se demande: est-ce une fête généreuse? Nous sommes de retour dans la ville. Un bâti­ment s’ef­fon­dre. Un autre. Encore un. Le bâti­ment est là, il n’est plus là. Notre groupe panique. N’im­porte quel bâti­ment peut s’ef­fon­dr­er, nous tomber dessus, nous ensevelir. Je prends la direc­tion du groupe, nous courons en direc­tion de la mer. L’eau monte dans le canal. Le ressac men­ace. Je crie: “tous au para­pet!”. Je m’exé­cute. Je patine dans la boue. Les autres n’ont pas suivi. Ils sont engloutis par les flots. Un Alle­mand instal­lé sur une hau­teur répète en alle­mand: “Gibt es Divi­sion?”. A la suite de Mamère, j’en­tre dans une librairie de plusieurs étages. Mamère monte. Je vais der­rière. Aucun livre. Des employés habil­lés de blanc. Ils me dévis­agent. Tou­jours aucun livre. Occupés à des tâch­es de bureau, les employés se deman­dent ce que je veux. Lorsque j’ar­rive au dernier étage, Mamère est de retour dans l’av­enue. Quelqu’un fait rouler une balle de ten­nis sur la chaussée. Les pas­sants essaient de l’at­trap­er. Les voitures freinent. Elles freinent trop tard, il y a des écrasés. Je me pré­cip­ite. Je tape dans la balle. Elle file. Un polici­er veut la saisir. Les pas­sants sont d’ac­cord: il ne faut pas que le polici­er s’empare de la balle. (Elé­ments: Adama Tra­oré-achat de bouteilles de Viñas del Vero-trem­ble­ment de terre de Turquie-Orda, l’hy­dro­cos­mos-fail­lite de la librairie Gilbert-Jeune de Paris-balle de ten­nis aban­don­née sur le ter­rain de Piedral­ma-émeutes de France con­tre plan de retraite.)

Piedralma 2

Le soleil ne touche le van que vers 10h30. C’est alors que je me lève. Evola est déjà au tra­vail dans la champ. Je reprends mon séca­teur et ma scie à branch­es. Couper ces arbres, éla­guer les pointes, net­toy­er les mouss­es, arracher les grim­pants, cela devient une obses­sion. Au milieu de l’après-midi, je bois un litre de Skol puis je reprends le tra­vail. Avant la tombée du jour, j’ou­vre une chemin jusqu’à la riv­ière et me baigne. Nous allu­mons un feu. Assis de part et d’autre du foy­er sur des chais­es pli­antes, nous regar­dons le tra­vail du jour, la falaise, les sap­ins, sur le haut la route qui émerge du défilé (une voiture est passée hier). Le soir les vau­tours volent en cer­cle au-dessus du ter­rain, à l’aube les oiseaux chantent (j’aimerais savoir leurs noms).

Piedralma

José-Anto­nio le métal­lur­giste, un vieil Espag­nol au physique cour­taud, cul­tive un ter­rain sur les berges de l’Aragon. Il fait le tout du pro­prié­taire pour Evola et son amie et moi, détaille les lop­ins de la serre, oignons, cour­gettes, mel­ons, asperges, explique l’ad­duc­tion d’eau et les engrais, mon­tre ses chiens de chas­se et ses out­ils-machines. Nous repar­tons avec un motocul­teur hissé sur le pont de la Jeep. Le temps est radieux. Vingt-deux le jour. Selon l’habi­tude, je gare mon van sur l’an­ci­enne piste de ten­nis de Piedral­ma (qu’An­to­nio a coulée dans les années 1980 pour ses filles), débar­que table, chaise, cui­sine portable et jer­rycan-fontaine, puis rejoins Evola sur le champ. En qua­tre jours nous labourons le car­ré des patates, traçons les plans à légumes et enter­rons les tuyaux d’ar­rosage. Sur cette terre plaine de cail­loux, le motocul­teur sec­oue comme un bœuf de rodéo. J’es­saie, je renonce. Les stent qu’on m’a plan­tés dans le coeur en novem­bre brû­lent comme des clous enfon­cés au marteau. Evola prend la suite. A la place, je taille les pins et les fruitiers. Il y en a cinquante. Cer­tains sont plus que morts. Un film d’hor­reur, une pochette de dark métal. Le soir, Evola fait du pain. La nuit, il gèle.

Racket

Acci­den­té, je suis au lit. Le lit est poussé con­tre une paroi. Il fait nuit. Assis dans le lit, je roule le lit jusque dans la pièce voi­sine où dort Mon­frère. Il est absent. Je véri­fie les toi­lettes. Il est absent. Je vais au ray­on pulls du Chi­nois, passe en revue les pulls, les trou­ve médiocres — “d’ailleurs, me dis-je, je les ais tous”. Une vendeuse chi­noise me con­trôle. Elle a détec­té mon lit au moyen des caméras de vidéo­sur­veil­lance. Il y a une autre cliente. Un femme. Elle est jeune, elles est rapi­de. Elle s’en va. “Un vieil­lard alité, me dis-je, et cepen­dant, cette femme ignore que je me lève quand je veux et court et vole!”. Retour dans la pièce d’habi­ta­tion. La vit­rine donne dans la rue. C’est la nuit. Un homme ouvre la porte de l’ex­térieur. D’autres hommes suiv­ent. Toute une bande. Des mal­frats. Le chef exige que je paie où il me cogn­era. “Je n’ai pas oublié la somme que je dois à Devian le Juif, lui dis-je, com­bi­en?”. Deux cent francs. “C’est drôle, lui dis-je, vous jouez cette scène d’ex­tor­sion comme dans un film améri­cain”, lui dis-je. Me tour­nant vers les enfants: “Vous voyez les enfants, avec la pros­ti­tu­tion, le rack­et est le plus vieux méti­er du monde!”. Effrayée, ma fille Luv cherche de l’ar­gent dans son porte­feuille. “Luv, lui dis-je tout m’aperce­vant que je viens de pronon­cer son nom, il ne faut jamais dire son nom!”. 

Bascule

Les élites d’é­cole instal­lées de l’Oc­ci­dent seront défaites par les élites des pays nou­veaux. Dans leur con­quête du pou­voir, ces dernières ont besoin du peu­ple. Elles lui redis­tribuent la part néces­saire. Arrivées par coop­ta­tion, les pre­mières croient pou­voir se pass­er du peu­ple : c’est lui qui se passera d’elles. 

Terrain

Six mois que nous par­lons de labour­er le car­ré aux patates de Piedral­ma. En octo­bre, j’ai com­mencé de retir­er les feuilles de plas­tique encore enter­rées suite au démon­tage de la serre. Tra­vail long et pénible. Il faut tir­er avec soin sur ces langues opaques si l’on veut éviter de les bris­er. A Noël, nous décid­ions de deman­der à un paysan de venir avec son tracteur. Ramass­er les miettes coûterait moins d’e temps d’ef­forts que les extraire. Début du mois, Evola en revient à ma pre­mière solu­tion: louer un motocul­teur. Hier, veille du ren­dez-vous le ter­rain de cet après-midi, il dit: “J’ai lu le Guide de l’au­to­suff­i­sance, labour­er est inutile, c’est de l’il­lu­sion indus­trielle, il faut faire de la per­ma­cul­ture, on mélange les plantes, on laisse les racines, on utilise les mau­vais­es herbes…”. 

Malasañas

Hommes à demi-femmes qui se promè­nent en culottes et se frot­tant le torse dans la Madrid nocturne.

Barajas-Madrid

Dans un parc pub­lic, sur un banc, en face de la sta­tion de métro de Bara­jas, près de l’aéro­port de Madrid. J’at­tends Aplo. L’avion a du retard. Non loin, un jeune homme au télé­phone. Il enchaîne les appels. Dans la con­ver­sa­tion, il est ques­tion de tar­ifs à l’heure, d’abon­nement, d’a­van­tages. Au bout d’une heure, il est sat­is­fait. Il range son télé­phone, sort de son sac à dos une vais­selle de plas­tique, déballe couteau et fourchette. Je lui souhaite un bon appétit. A peine a‑t-il com­mencé de manger, le télé­phone sonne. Cette fois la con­ver­sa­tion ne laisse aucun doute: “elle t’at­ten­dra devant l’hô­tel, si vous pou­vez entr­er séparé­ment c’est mieux, pour le tarif c’est comme d’habi­tude…”. Le type est un prox­énète. Quand il a fini son repas, il roule trois cig­a­rettes, allume la pre­mière, empoche les autres, se lève: “alors bonne journée Monsieur!”.

Route 4

Fin d’é­tape à Con­sue­gra, dans la Province de Tolède. L’e­s­planade des car­a­vanes se trou­ve en dessous des moulins, la ville est à mes pieds. Un pas­teur promène ses chèvres. Bruits de voix qui mon­tent des rues. Soleil orangé. Les ram­pes du stade s’al­lu­ment, des goss­es jouent au foot. En direc­tion de Mas­caraque, la piste de cor­ri­da. C’est dans cette cam­pagne que se déroule mon His­toire des trois tables isocèles de Fran­cis­co l’An­choa, le roman picaresque écrit pour l’an­niver­saire des vingt ans de Luv.