Générosité

Il ne faut pas se mon­tr­er trop généreux avec ses amis. Quand bien même ils ne le man­i­fes­tent pas, ils s’en offusquent; quand bien même ils ne le dis­ent pas, ils vous le reprochent. Cer­tains, afin de prou­ver qu’ils n’ont pas besoin de votre aide, vont jusqu’à la rup­ture : ce sont ceux qui en ont besoin.

District 14

Déblo­qué un vélo de rue pour explor­er les quartiers situés au Nord-est de Buda der­rière la Place des Héros et le zoo. J’ai trou­vé là le décor de mon prochain réc­it, un chaos de bâti­ments admin­is­trat­ifs com­mu­nistes envahis par les herbes, des sta­tions de lavage autos qui tran­spirent des tonnes de mousse et des campe­ments gitans creusés dans des décharges mais surtout, garé sur une voie de chemin de fer qui ser­vait à appro­vi­sion­nait la ville en char­bon (via la gare cen­trale de Nyu­gati pályaud­var) un con­voi devenu hos­pice de nuit pour clochards, longue théorie de cab­ines borgnes où pend du linge et des nour­ri­t­ures. Plus loin, mon­té le vélo sur un escalier en col­i­maçon de trois étages con­damné (une erreur d’ar­chi­tecte); j’aboutis devant la glis­sière d’une dou­ble-voie sur pont qui domine le grand-huit en bois de l’actuel (ou de l’an­cien?) luna­park et une mon­tagne car­ton­née de la taille des Buttes Chau­mont. Je roule le vélo avec une alarme en poche: toutes les 25 min­utes la son­ner­ie se déclenche. Alors, je me mets en quête d’une sta­tion. Je rends le vélo, j’en prends un autre. Ain­si, je ne paie rien — les trente pre­mières min­utes de loca­tion sont gra­tu­ites. Puis je m’aperçois qu’il suf­fit d’ar­rêter le vélo sur place, de le refer­mer le cade­nas élec­tron­ique, de patien­ter quelques min­utes puis de pren­dre un nou­veau con­trat. Sauf que ce dis­trict 14 me plaît tant avec sa cen­trale de police en frich­es, ces lots de vil­las pro­tégés de hauts gril­lages mod­èle prison, ces buf­fets chi­nois sans per­son­nel ni clients ou encore ses bars en cave devant lesquels titubent les ouvri­ers (l’un d’en­tre eux fait la révérence et par­le au trot­toir) que je laisse fil­er le temps et fini par devoir débours­er 3000 HUF.

Enchère

Dans l’ascèse comme dans les actes mineurs, la nature de l’ex­i­gence est définie par le rap­port au tran­scen­dant. Le religieux accom­plit le meilleur le regard tourné vers un Dieu indé­pass­able, le quel­conque le regard tourné vers un mod­èle idéal qui sert de repère.

Dynamique

Gala se couche, elle ne bouge plus un cil durant dix heures. Mon­père me racon­te: “petit, au bout de quelques min­utes, nous te retrou­vions tête en bas dans le lit”. 

Clinique 2

La con­cur­rence pro­duit l’u­ni­for­mité. Struc­ture nou­velle de nos sociétés: Caste crim­inelle, grands dévoués, fonc­tion­naires, pro­duc­teurs, métèques d’Em­pire. A com­par­er avec le mod­èle chi­nois: Bureau cen­tral, par­ti, fonc­tion­naires, pro­duc­teurs, parias régionaux.

Westwind

Qui est le nom d’un cen­tre com­mer­cial géant près de la gare cen­trale de Budapest. Struc­ture à la nip­pone, dix étages d’en­seignes, en par­tie souter­raine une “food-court”: les clients achè­tent des ham­burg­ers. Le plateau à la main ils font la queue en atten­dant qu’une table se libère. 

Avion 2

Hon­grois à mous­tache celte. Il me tend un bon­bon à la régisse: “Pour les oreilles”. Cour­tois, j’ac­cepte. Vingt ans que je n’ai pas sucé de bon­bon. Le Hon­grois s’en­dort, je recrache le bon­bon, l’emballe, l’en­fonce dans la poche du siège. Tout à l’heure j’achèterai un vin, aupar­a­vant, je dois effac­er le goût de la réglisse. Devant moi, un autre Hon­grois. Cou de boeuf, ven­tre rond, épaules car­rées. Il feuil­lette le mag­a­zine de bord, il s’in­téresse aux chips. J’at­trape le même mag­a­zine mais ne trou­ve pas la sec­tion mini-bar. Penché par-dessus le gros Hon­grois, je repère les pub­lic­ités de son mag­a­zine pour trou­ver la page mini-bar dans le mag­a­zine. Je ne trou­ve pas. Le ser­vice com­mence. Le char­i­ot est au niveau des toi­lettes. Juste après il est à ma hau­teur. Aucun pas­sager n’a fait d’achat. Je com­mande un vin rouge Hajós-Bajai. Le Hon­grois à mous­tach­es se réveille: “je sens que nous avons le vent dans le dos, nous allons rat­trap­er notre retard”. 

Avion

Arrivé au guichet d’en­reg­istrement de Wizz air trois min­utes avant la fer­me­ture. Jusqu’au moment où l’employé referme la main sur mon bagage, je me demande: va-t-il l’ac­cepter? Il ne resterait qu’une solu­tion: aban­don­ner la valise pour mon­ter dans l’avion. Tout s’en­chaî­nait bien pour­tant depuis le départ d’A­grabuey, voiture, train région­al, train nation­al, jusqu’au métro à Barcelone… Trois liai­son par heure Sants-El Prat. Le train est en retard. Il n’ar­rive pas. Quand la rame démarre, elel lam­bine à tra­vers une ban­lieue en travaux. En fin de compte, je fran­chis les obsta­cles, mais dans quel état. Essouf­flé, décoif­fé, détrem­pé (cou­ru à tra­vers les ter­minaux la valise à la main), je prends place par­mi les Hon­grois qui atten­den d’embarquer pour Budapest, j’ou­vre une bière, j’avale des pilules pour le cœur, une annonce reten­tit: l’avion est encore au-dessus de Londres. 

Nuit

Veille de voy­age, l’heure pro­jetée au pla­fond de la cham­bre indique que je me suis réveil­lé sept fois d’af­filée au bout de sept min­utes de som­meil. Le mécan­isme est le suiv­ant: je lis l’heure, plonge dans le som­meil, sept min­utes et je me réveille; je lis l’heure, je rep­longe pour sept min­utes. Il est pos­si­ble que la séquence soit pro­duite par le rythme san­guin. Les joncs que j’ai sec­tion­né sur les berges de la riv­ière (exer­ci­ce d’une forte pres­sion pour obtenir des coupes nettes sur des diamètres de 4 et 5 cen­timètres) ont entraîné une douleur lanci­nante dans l’artère opérée. Peut-être même que les stents ont bougé. 

Labour

Plan­té les patates ce matin alors qu’Evola et Shalo­ma dor­ment dans leur car­a­vane. La veille, après la gril­lade et la coupe de fruits, je me suis retiré — il était une heure. Arrivé devant le van, je fais mon lit, je lis quelques pages de Zweig (“Con­science con­tre vio­lence”), j’éteins. Ciel étoilé, lune bleue, der­rière les arbres glisse l’eau de la riv­ière. Un pre­mier rêve. Je me réveille, je me ren­dors. Le som­meil qui suit est léger. Un homme paraît dans le rêve. Il m’empêche de me repos­er. Il pose des ques­tions, toutes sortes de ques­tions. “Un instant, lui dis-je, je sors piss­er et on reprend”. Je me réveille et sors du van par la porte latérale. Nu sur le ter­rain (à demi endor­mi), je me félicite de ma ruse : quand je reviendrai dans le van, le per­son­nage de rêve se sera évanoui. Fin des ques­tions, retour au som­meil. Et les patates? C’est le matin, je des­sine qua­tre rangées dans la terre meu­ble. Sur les berges, je coupe au séca­teur des roseaux que je hache en sec­tions. Ces sec­tions ser­vent à mar­quer l’ex­trémité des rangées. Je creuse les sil­lons à la pelle de jar­dinier. A Puente, j’ai acheté des tuber­cules hol­landais et Arag­o­nais. J’en plante 20 sur qua­tre rangées, reste neuf kilos de planc­tons. Si chaque tuber­cule donne six patates, nous aurons cent-vingt patates en sep­tem­bre. Evola fait ses patates selon une autre méth­ode con­forme au livre améri­cain sur l’a­gri­cul­ture auto­suff­isante: planter en sur­face des tuber­cules ger­més en cui­sine, pailler, arroser la paille. Pen­dant que je tra­vaille la manière tra­di­tion­nelle, je lorgne sur la car­a­vane. Il est midi, il est une heure… Rien ne remue. Cela finit par m’in­quiéter. Je frappe à la porte de la car­a­vane. Un grogne­ment, le cou­ple émerge. Quand Evola paraît sur le champ, il annonce que lui et Shalo­ma ont par­lé, fumé et bu jusqu’à l’aube.