Silence-espace

Ver­tu du silence. De l’e­space aus­si, mais du silence. Con­jugués, c’est encore mieux, comme si cha­cun obte­nait toute sa mesure. Les villes. Ah, les villes! Peut-être dans l’his­toire, peut-être quand elles étaient villes des hommes, tapis­series vivantes, mobiles, par­lantes, chan­tantes, mais dans notre siè­cle nou­veau, réduites à des grandes machines ponc­tuées de lois de cir­cu­la­tion et de lois de lib­erté? Et je ne fais pas une apolo­gie de la nature. Il ne s’ag­it pas de chanter un retour, mais bien de pénétr­er dans un espace où les lim­ites du corps et de l’e­sprit sont ressen­ties autrement que comme des cara­paces qu’il faut sans cesse col­mater sous peine d’at­taques, de vio­ls, de défaite de l’intériorité.

Voyage 11

Affreux. Comme prévu. Non, pire. Cela n’é­tait pas prévis­i­ble. Que per­son­ne ne me dise que l’An­dalousie est plate. A la réflex­ion, per­son­ne ne me l’a jamais dit, mais l’im­age d’Epinal y est pour beau­coup: on voit des plages, des vagues, des ter­rass­es et on en con­clut que le pays est plat. Dès la pre­mière heure, au sor­tir de Rute, je monte. Petit col, mais raide. Puis un sec­ond, un troisième. La carte dis­ait vrai. Surtout les chiffres. Avec l’or­di­na­teur embar­qué plus moyen de s’en con­ter. Si la carte indique un som­met à 960 mètres, l’écran affiche ces 960 mètres au moment pré­cis où je passe devant le pan­neau: puer­to de Léon, 960 met­ros. Celui-ci est le dernier, mais je crois bien ne jamais l’at­tein­dre. Tout en mon­tant, je ne cesse de redescen­dre, de plan­er, de redescen­dre et de mon­ter encore: jamais le compte n’est bon. A 940 mètres, il est per­mis de rêver: “il n’en reste plus que 20!” Mais non, je perds des mètres: 938… 920… Ain­si de suite, plusieurs fois. Je pen­sais m’at­tabler chez José, au Marinero, dans mon quarti­er, à l’heure du menu. C’est raté. En fin de compte, je vois le pan­neau du col du Lion, je le touche, j’y suis, et la mer. Alors je descends sur 19 kilo­mètres, freinant à toutes forces, pour raboutir au cen­tre de Mala­ga où je com­mande une bouteille de rouge et de la paella.

Voyage 10

Sen­ti­ment de voir le bout. Un peu comme dans le jeu “à qui ver­ra le pre­mier la mer”. C’est d’ailleurs elle qui est au bout, à Mala­ga, mais il reste deux étapes encore, la sec­onde étant, si j’en crois la carte, red­outable, en ce qu’elle compte cinq à six cols, de faible alti­tude certes, huit cent, mille, neuf cent mètres, mais qui tout de même, addi­tion­nés, n’est-ce pas? Sans compter les 135 kilo­mètres de route… Et dans cet état d’e­sprit, j’ar­rive à Rute, où une aimable récep­tion­niste sué­doise me reçoit dans un hôtel sans clients, puis m’ac­com­pa­gne au bar après m’avoir ouvert la piscine, dans laque­lle, pré­cise-t-elle, per­son­ne n’a encore nagé cette année.

Voyage 9

A Mon­toro, pre­mière ville andalouse où je passe la nuit, je me rends au parc pen­dant les heures chaudes et m’in­stalle à côté d’une famille qui com­mande en ter­rasse des tass­es de thé; lesquelles con­ti­en­nent de petits escar­gots qu’elle aspire goulûment.

Egalité

Que l’on m’ex­plique ce qu’il faut penser d’une femme qui déclare, quelques heures après avoir été nom­mée min­istre de l’é­gal­ité par le chef de file du par­ti social­iste, qu’elle va défendre l’é­gal­ité sinon qu’elle est objec­tive­ment anti­dé­moc­rate et antilibérale?

La revanche du cuisinier mexicain

Emis­sion de cui­sine à la télévi­sion. For­mat court. La reporter que la chaîne dépêche s’en­tre­tient avec un Mex­i­cain de Madrid spé­cial­iste de la limande frite. En général, intimidé par le micro, le pro­fes­sion­nel annone. Ici, c’est le con­traire. Le Mex­i­cain prend le pou­voir: il joue, sur­joue, par­le et frit, jon­gle avec les poêles, les farines et l’huile, ébouil­lante, allume, coupe et découpe si bien et si vite que la reporter prend peur, bafouille et se tasse.

Spécialité

Spé­cial­ité de Gala, don­ner une échéance qu’elle recule sans cesse. D’abord cela con­cerne les ren­dez-vous puis le jour où elle pour­ra fix­er un ren­dez-vous, enfin, le jour où elle appellera pour dire quand elle fix­era un rendez-vous.

Métier

-Ton méti­er?
-Je nour­ris Fred et Kévin.
Des hip­popotames, dans un zoo.
-Et tu fais quoi?
-Je leur donne du four­rage devant les vis­i­teurs en divisant le tas de foin en dix por­tions égales pour que les familles aient le temps de pren­dre des photos.

Voyage 8

Chute. Pourquoi, je l’ig­nore. Heureuse­ment, je ne roulais qu’à 25 kilo­mètres-heure. Pre­mier réflexe, le vélo! Car dans la Manche à part des moulins, enfin, des éoli­ennes et des champs raison­nés, il n’y a pas grand chose. Les tas de nuages indiquent les toits de villes, mais toutes n’ont pas de marc­hand de cycle. Je me relève. Main tor­due, en sang, épaule heurtée, douloureuse, cuis­sard déchiré — rien de plus. Si, main­tenant que je roule je con­state que le guidon s’est déplacé. Prob­lème tout de même — j’écris cela quinze jours plus tard — le bras, l’é­paule et la main sont tou­jours affaib­lis, signe que la chute n’é­tait pas si bénigne.

Voyage 7

Une erreur tout de même sur ce voy­age, d’au­tant plus coupable que je sais: il ne faut jamais emprunter un axe prin­ci­pal. Cela dit, l’er­reur n’é­tait pas toute évitable. D’abord j’ai tra­ver­sé trois fois l’Es­pagne d’Oviedo à Mala­ga avec Mon­frère en roulant sur la nationale 630 et nous ne croi­sions, selon les provinces (en rai­son des dépens­es folles du gou­verne­ment, lequel, béné­fi­ciant de la manne de l’Eu­rope, a dou­blé la route d’une autoroute, puis l’au­toroute d’E­tat d’une autoroute privée), pas plus de dix voitures à l’heure; d’autre part, faisant étape à Puer­tol­lano et placé face à une série de cols, il n’y avait qu’un itinéraire de pos­si­ble sauf à rebrouss­er chemin. Ain­si, je me suis engagé sur une nationale. Des voitures? Peu. Des camions? Oui, des camions, mais là encore, peu. Se référ­er à la Suisse ne donne pas la mesure: quand bien même l’Es­pagne approche désor­mais des cinquante mil­lions d’habi­tants, plus de la moitié vit dans les villes, ce qui vaut à ce pays de demeur­er en par­tie vide. En l’oc­cur­rence, là est le prob­lème. La route était tracée à l’améri­caine, à tra­vers un plateau de 60 kilo­mètres. Placé à son début, j’en aperce­vais pour ain­si dire le bout, au pied de la mon­tagne. Et donc, réflexe naturel, surtout quand on a la route pour soi, les auto­mo­bilistes mon­taient à 130, 140, 150 km/h. Lorsqu’on roule trois fois moins vite sur la bande côtière avec un vélo de huit kilos, l’ef­fet d’aspi­ra­tion est mon­strueux. Mais plus que tout, c’est l’an­goisse qui pèse. Elle pèse si bien qu’à la fin de l’é­tape, s’a­joutant à la fatigue ou plutôt, libérée de l’ef­fort, elle m’empêcha de dormir la moitié de la nuit.