Vermont

Ar-en ciel d’une fer­meté, couleur et pureté impec­ca­ble ce soir, devant l’im­meu­ble, avec à son pied, les vach­es ancestrales.

Courte vision

M’ap­pa­raît ceci: je suis heureux de faire ce que je fais, de devenir ce que je suis, d’es­say­er d’al­longer, encore un peu, mes com­pé­tences, je lut­terai donc pour qu’on ne me prive pas de mon état. En même temps, je me réjouis de faire d’autres choses, trans­ver­sales, de l’or­dre du sport, du vagabondage, de la beu­ver­ie ou de la recherche éru­dite, et par­ticiper à l’ef­fort col­lec­tif m’in­téresse peu, non que je n’y souscrive pas morale­ment, mais parce que j’ai la con­vic­tion que le col­lec­tif est aujour­d’hui un pré­texte au non-collectif.

Dorénavant

Il faudrait se remet­tre au tra­vail en accep­tant tous ensem­ble de détru­ire la plus-val­ue qui garan­tit le pour­voi du sur-somp­tu­aire; en évi­tant bien sûr le com­mu­nisme, cette gan­grène (pas de partage ini­tial, de l’ef­fort).

Rewind

Ce que sont nos par­ents, nous le sommes beau­coup et plus, mais il faut pour s’en apercevoir que cela devi­enne con­scient et seul l’âge autorise cet aperçu. Sur le tard, ce sen­ti­ment est don­né comme une évi­dence: nous sommes tout sauf uniques.

Mouvement 22

Tou­jours en haut, dans ce par­adis minus­cule. Sur la pente ce matin, des vach­es. Gala se plaint: “com­ment tien­nent-elles?”. Ce soir, après con­tact, je la ras­sure: elles sont écos­sais­es. Pattes cour­tes, frange basse, cornes effilées. Autre nou­velle majeure? Un arc-en-ciel au cré­pus­cule. Beau. Le dernier soleil donne ses couleurs. Net­teté inouïe des sept com­posants. Un spec­ta­cle que nous voyons depuis la ter­rasse, plusieurs fois, entrant, sor­tant, tan­dis que les chaînes d’E­tat suisse, française, madrilène débitent leurs con­ner­ies (télévi­sion). La journée? Tran­quille. Con­tenue. Pas de rap­port à l’é­tranger, à l’autre, au vivant. Ego­tiste. Un des­tin proche de ce que les meilleurs écrivains d’an­tic­i­pa­tion imag­i­naient pour les encap­sulés de l’e­space : le dia­logue avec la machine.

Mouvement 21

Le matin, réveil lent, peu motivé. Il pleut. Autour de l’im­meu­ble tra­vail­lent des ouvri­ers orangés, au badge com­mu­nal. Que font-ils? Je ne vois pas, je dors. Ils redressent un demi-talus, ils rog­nent une margelle. Je devrais avoir honte: “ne cri­tique pas le tra­vail!”. D’abord les tâch­es de force. Pour ces hommes, j’ai de la sym­pa­thie. D’or­dre mys­tique. Pas com­mu­niste. Juste ami­cale. Et lim­itée: je n’ai, à mon âge, plus aucune envie de m’in­ter­roger sur ces hommes. For­cé­ment, autre­fois, j’é­tais à leur place, pas mécon­tent d’ailleurs — je maçon­nais et creu­sais, je bal­ayais et col­lais. Mais aus­si, dans le décor qui moule ces jours nos paysages, coiffe notre société, impose les mou­ve­ments et met l’é­ti­quette au cou, qu’en ai-je à foutre des ces naïfs qui hon­orent la rou­tine et qui, par déf­i­ni­tion, feraient de même quel que soit le régime? Intéressés par la pelouse, le caill­outis et le génie sim­ple? Oui, je sais… mis­es en écho avec les dif­fi­cultés des pop­u­la­tions du tiers-monde, nos vies en butte avec la “nou­velle nor­mal­ité”, ce con­cept de fab­rique, ne sont que peu de choses. Sauf que nous sommes — nous étions — à dix mille ver­stes-espace de la tenue prim­i­tive des groupes humains: ces sché­mas de vie bar­bo­teux. Et que nous racon­tent les représen­tants pop­u­laires (en Suisse élus, ailleurs à définir) sur la foi de l’ig­no­rance, c’est à dire de la soumis­sion aux experts? Que la prise sys­té­ma­tique d’i­den­tité, que le traçage, que le con­trôle, que l’assig­na­tion à rési­dence et l’empêchement cir­cu­la­toire, que le droit d’ingérence au domi­cile et le menot­tage des récal­ci­trants… Mais pour quoi? La réponse est évi­dente. Matraquée. La presse rabâche ! Que nos vieil­lards (paix à leur avenir) ne meurent pas. Ain­si, cha­cun pour­ra sauver son corps des attaques par­a­sitaires. Et con­tin­uer de marcher, bais­er, boire, manger… Dans quelles con­di­tions? Silence. Il n’en est pas ques­tion. Oui, la société mérite d’être pour­suiv­ie. Et la notre est émérite. Dernier fleu­ron de la démoc­ra­tie (comme ça sonne bien ce slo­gan!). Mais s’il s’ag­it de nous réduire à la sim­plic­ité, au des­tin de l’outil, à la société de con­for­ma­tion ani­male et robo­t­ique (même chose), non, vrai­ment pas. Il faut sol­der ou aller de l’avant.

Pitié-Espagne 2

Comme ailleurs, dans les pays dépourvus d’e­sprit d’an­tic­i­pa­tion, l’er­reur coûte. Et le men­songe suit. Il per­met de con­tin­uer à ven­dre la fable. Les gou­verne­ments rouges (aujour­d’hui la Chine) en ont fait la preuve pen­dant 70 ans. Les pou­voirs cap­i­tal­istes, naturelle­ment, s’en inspirent.

Pitié-Espagne

A l’in­stant, explo­sion d’une usine de chlore à côté d’A­grabuey. Le vil­lage panique. Ordre du gou­verne­ment: calfeu­trez vos maisons! Pen­dant ce temps, à Madrid, les élus font de l’e­scrime devant les caméras.

Colonial

Marc­hand de lames dans le chef-lieu, Dou­blot se reti­ra aux îles Pom­poms pour y cul­tiv­er le gin­gem­bre. Au soleil décli­nant, après des longues journées aux champs, il aimait sirot­er avec d’autres Français un cyn­or­rhodon et jouer au jass. Le same­di, il avait cou­tume d’ap­pel­er Madame Jolie pour retenir Marie-Nihn. Or, ce soir-là, sans dire son nom, un homme expli­qua à Dou­blot que la pro­tégée avait disparu.

Rêve

Pour rejoin­dre l’autre trot­toir, il me fal­lait tra­vers­er un car­refour de qua­tre rues, sur de larges pas­sages pié­tons, empêché par des feux. J’ar­rivais enfin au Parc des Bas­tions et par la petite porte péné­trais dans l’U­ni­ver­sité amé­nagée en salles de bib­lio­thèques à l’am­biance chaude songeant “voilà mon dernier par­age, jamais je n’i­rai ailleurs, c’est ici qu’il faut se tenir”. Cher­chant une table de tra­vail, je croise une femme qui avec des airs d’en­fant se plaint d’une douleur au bras, “ouille! aïe! Mon ami m’a ser­ré”.
-Où est-il cet ami?
-Dis­paru.
-Je cherche les dor­toirs, lui dis-je, déci­dant aus­si de ne pas lâch­er cette fille, de la serrer.